« La Paix des Dames de 1529 est un moment singulier de l’histoire des relations internationales, où des femmes de haut rang, Louise de Savoie et Marguerite d’Autriche, respectivement mère et tante de deux souverains ennemis, François Ier et Charles Quint, ont servi d’intermédiaire pour rétablir la paix. Le cas de 1529 sert dès lors à élargir l’étude sur une thématique plus générale, « faire la paix » à la Renaissance, et à s’interroger sur la place des femmes dans la politique de l’époque. Le traité, remis dans son contexte plus vaste des Guerres d’Italie et de la rivalité entre la France et l’empire des Habsbourg, est étudié sous plusieurs angles : personnalités impliquées, conséquences géopolitiques, cérémonial et communication, réalité matérielle des documents et processus juridiques en cours d’affirmation dans les relations diplomatiques. Le cas de 1529 sert dès lors à élargir l’étude sur une thématique plus générale, « faire la paix » à la Renaissance. Le fait que les négociations aient été conduites par deux princesses amène à s’interroger sur la place des femmes dans la politique de l’époque, les mutations à l’œuvre dans le personnel administratif et politique au service des souverains, et sur la mémoire que les traités ont laissés derrière eux, tant dans l’imaginaire collectif que dans les ressources mobilisables par les praticiens de la diplomatie (archives royales, patrimoine familial des clans servant la couronne). Les différentes contributions rassemblées dans le volume permettent de répondre à une partie de ces questions, et mettent en lumière la professionnalisation progressive d’une nouvelle discipline à la charnière du Moyen Âge et de l’époque moderne. »
« Culture de la haine ou culture de l’amour ? Sociétés prédatrices ou sociétés du don ? Les oppositions tranchées ne peuvent rendre compte de la complexité des sociétés médiévales, mais l’amitié, qui s’identifie alors à l’amour, permet de comprendre mieux comment les populations concevaient alors leur monde et vivaient leurs relations.
Les sociétés médiévales sont souvent décrites comme des sociétés de face à face, où les nécessités de l’honneur et de la vengeance poussent aux violences, où la guerre semble une nécessité existentielle pour les élites. Il est vrai que dans les sociétés occidentales qui se sont développées sur les ruines de l’empire romain, la guerre et l’honneur ont été de puissants facteurs d’identité collectives et des marqueurs sociaux. En même temps, l’amitié antique n’a pas disparu et les valeurs du christianisme étaient fondées sur l’amour divin que célébraient les prêtres et que magnifièrent les grandes cathédrales. Culture de la haine ou culture de l’amour ? Sociétés prédatrices ou sociétés du don ? Les oppositions tranchées ne peuvent rendre compte de la complexité des sociétés médiévales, mais l’amitié, qui s’identifie alors à l’amour, permet de comprendre mieux comment les populations concevaient alors leur monde et vivaient leurs relations.”
« À propos de l’ekphrasis dans la
Viennis de Ioannes
Damascenus (1717) par Florian Schaffenrath, professeur associé à l’Université
d’Innsbruck
Pour la
littérature polonaise néo-latine des XVIIe et XVIIIe
siècles, les événements de 1683 ont constitué un moment central : le roi
de Pologne s’est précipité au secours de l’empereur et a sauvé l’ensemble de
l’Europe chrétienne de l’invasion turque – c’est du moins le récit qu’en ont
fait de nombreux auteurs polonais de l’époque. »
“Le
piariste Jan Kaliński (Ioannes Damascenus), qui était prédicateur de la cour et
recteur du collège piariste de Dąbrowica, est l’un d’entre eux. Son œuvre
épique majeure, la Viennis (Varsovie,
1717), narre le deuxième siège de Vienne par les Turcs en 1683.
Comme tant d’épopées néo-latines, elle
comporte une ekphrasis. La particularité de celle-ci est de ne pas décrire une
œuvre d’art plastique, comme un relief ou une tapisserie, mais un livre qui
captive longuement le héros du poème, le roi polonais Jean III Sobieski, héros
de la guerre contre les Turcs : à la fin du chant IV, Sobieski s’arrête au
château de Juliusburg et se voit présenter par son hôte un livre dont il est
dit : codex iste
[...] cuncta docebit.
Le roi en lit quatre livres entiers pendant toute une nuit, et ce n’est qu’au
début du neuvième livre qu’il laisse tomber sa lecture et retourne à sa tâche.
La conférence portera sur la place de cette ekphrasis dans l’ensemble de
l’œuvre, et tout particulièrement sur la signification que peut avoir le fait
que le déclencheur en soit un livre, et non une œuvre d’art.”
« Même les personnes qui ne connaissent pas les épopées médiévales ont probablement entendu le récit du neveu de Charlemagne, Roland, et de sa mort héroïque dans les montagnes pyrénéennes. Elle aurait même été chantée aux soldats de Guillaume le Conquérant, à la veille de la bataille d'Hastings. Près de 1000 ans plus tard, elle est toujours reprise dans des cours universitaires ou réinventée dans des romans fantastiques populaires. Lorsqu'on évoque la Chanson de Roland, on pense d'abord à sa version courte et archaïque. Pourtant, elle a été presque entièrement perdue et n'est conservée que dans un seul manuscrit, bon marché et d'aspect amateur, copié quelque part près d'Oxford dans la première moitié du XIIe siècle. Pourquoi ne conservons-nous qu'un seul manuscrit de cette illustre version, alors que nous possédons 10 manuscrits des versions rimées ultérieures, dont certaines ont été copiées en Italie près de 200 ans plus tard ?
Il ne s'agit pas d'un cas isolé de texte perdu, ou presque, depuis les livres bibliques perdus jusqu'à la majorité de l'Histoire de Rome de Tite Live, en passant par l'épopée de Beowulf ou le roman Iseut de Chrétien de Troyes.
Cela soulève une question importante sur la transmission de la culture et des textes : quel est le rôle du hasard et des facteurs sociaux, culturels, textuels ou matériels dans la transmission de la culture et dans la survie, l'évolution ou l'extinction des œuvres littéraires ?
Les philologues, comme les biologistes et les linguistes, ont adopté depuis le XIXe siècle l'arbre généalogique comme métaphore pour représenter les relations entre les différents documents contenant une œuvre donnée, telles qu'elles peuvent être déduites des innovations (erreurs, mutations) qu'ils présentent. Depuis au moins Joseph Bédier en 1928, il a été observé que ces arbres présentent des formes très particulières et très déséquilibrées, difficilement explicables intuitivement.
Ce problème des « arbres déséquilibrés » est également présent en biologie, où il a fait l'objet de beaucoup d'attention et de recherches.
Pour répondre à cette question de longue date, un nouveau projet de recherche, appelé LostMa, démarre à l'École des chartes et sera présenté au cours de cet exposé. Il adopte une méthodologie entièrement révisée, combinant l'expertise philologique avec la modélisation mathématique et les simulations informatiques, l'analyse des données philologiques et l'intelligence artificielle pour l'analyse des manuscrits.
Ce projet vise à évaluer le rôle des facteurs sociaux et culturels, tels que les changements dans la production des livres, l'autorité, ou les différents contextes des cultures insulaires ou continentales. Enfin, il espère ainsi mieux comprendre la « vie et la mort » des artefacts culturels et les pièces manquantes du puzzle qui sous-tendent la plupart de nos connaissances sur les cultures du passé. »
Leçon inaugurale de Pierre Toubert prononcée le 19 mars 1993. Pierre Toubert fut professeur du Collège de France, titulaire de la chaire Histoire de l'Occident méditerranéen au Moyen Âge.
« Conférence du 21 mars 2022 donnée par Dominique Bourg, Professeur honoraire, Université de Lausanne et Johann Chapoutot, Professeur d’histoire contemporaine, Sorbonne Université.
Assistons-nous simultanément à la fin de la « fin de l’histoire » et au début de la fin du futur ?
En cette période qui a vu la curieuse concomitance entre la parution du rapport complémentaire du GIEC et le déclenchement d’un conflit armé majeur au cœur de l’Europe, l’Université de Genève et l’Association des étudiant-es en développement durable vous convient à un dialogue en ouverture de la « Semaine de la durabilité 2022 ».
Interroger le récit prométhéen, la notion d'anthropocène, ainsi que le moment particulier que nous vivons depuis les années 1970 avec les premières alertes argumentées et étayées à propos de la catastrophe environnementale en cours, sera au cœur de l’échange entre le philosophe Dominique Bourg et l’historien Johann Chapoutot.
Est-il encore possible de faire coïncider le temps court de notre présence sur terre, le temps long de la nature et des civilisations et le temps géologique au sein d’un même récit ? »
« Critique de l’ouvrage pour La vie des idées par Bertrand Lançon auteur, notamment de La chute de l’Empire romain, une histoire sans fin (Perrin, 2017:
Passerelle entre l’Empire romain tardif et le haut Moyen Âge, charnière entre l’Orient romain et les royaumes de l’Ouest, Ravenne a été davantage qu’une capitale : une entité politique au croisement de plusieurs mondes.
C’est une heureuse initiative qu’ont eue les éditions Passés composés de publier une traduction du livre que Judith Herrin a consacré à Ravenne entre le IVe et le IXe siècle, paru chez Penguin Press en 2020. Il s’agit d’une belle édition, agréablement traduite, superbement illustrée de planches en couleur, avec notes et index. La bibliographie sélective de trois pages apparaît comme sa seule faiblesse, car les sources sont parfois incomplètement référencées.
Cette somme de plus de 500 pages vient combler en France une lacune éditoriale devenue criante pour quiconque s’intéresse à l’Antiquité tardive et au haut Moyen Âge, période où les historiens placent la genèse de l’Europe. Ravenne y tient une place éminente et originale, qui méritait une telle monographie, sous le signe de la longue durée (pas moins de cinq siècles).
Un mélange original
Mettons d’emblée à la corbeille le bandeau « à l’estomac » choisi par l’éditeur, « Quand l’Occident naît des ruines de l’Empire romain » : il est suranné dans les erreurs qu’il véhicule. L’Occident existait déjà auparavant et l’Empire romain n’a pas pris fin dans les ruines. Ravenne est une passerelle entre l’Empire romain tardif et le haut Moyen Âge. Son mélange original entre Italie ostrogothique, prolongation byzantine, intervention lombarde et tutelle carolingienne, dessine un creuset européen pluriséculaire.
De ce point de vue, l’auteure combine avec talent les deux polarités historiographiques qui tentent souvent les historiens anglo-saxons : la Ravenne de l’Antiquité tardive était-elle un sarcophage de la romanité ou le creuset d’un nouveau monde ? Une bipolarisation simpliste n’est pas de mise, car les deux termes ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. C’est en tant que foyer culturel romano-byzantin rémanent qu’elle a nourri les empreintes ostrogothiques, lombardes et franques. Comme Rome avait préalablement digéré l’héritage culturel hellénique.
Le plan adopté par Judith Herrin, byzantiniste britannique émérite, est chronologique. Il dessine de ce fait une ligne claire, classique, qui apparente parfois son livre à un manuel. Le mérite en est que Ravenne est étudiée et racontée dans ses contextes successifs. Elle n’est pas qu’une ville, qui plus est capitale, mais une entité politique au croisement de plusieurs mondes. La perpétuation de son lien avec Constantinople en a fait un reliquat romano-byzantin dans l’Occident des royaumes romano-barbares. En témoigne la richesse des vestiges monumentaux que conserve la ville aujourd’hui.
2021 : Judith Herrin, « Ravenne et Constantinople aux VIe-VIIIe siècles : influences et détracteurs grecs »
« Dans cette conférence illustrée (donnée aux membres et sympathisants de la Ligue le 30 mars 2021), le professeur Judith Herrin aborde le statut de Ravenne comme avant-poste de l'empire en Occident ; son importance pour les liens diplomatiques, militaires et culturels avec Constantinople et la culture grecque ; et la preuve de la connaissance et de l'appréciation du grec du début du Moyen Âge au sein de la ville. Elle nous fait découvrir quelques-uns des principaux monuments et vestiges de la ville du VIe au VIIIe siècle.»