Ce 21 janvier 2021 pour le souvenir de
la mort de Louis XVI, une belle messe de requiem se tint en la cathédrale de
Mirepoix, ville où réside l’actuel comte de Paris. A ce moment sortait le
dernier ouvrage de Jean-Clément Martin (L’exécution du roi) qui revisite
avec nuances et tempérances, la décennie révolutionnaire : biographie sur
Robespierre, livres sur la Vendée, conférences autour de la
« Terreur » et de la Révolution dans son ensemble.
Précisons d’emblée que L’exécution du
roi raconte les circonstances dans lesquelles on y aboutit et non le procès
en tant que tel du souverain déchu. Effectivement, Louis XVI n’y apparait pas
en personnage central. Il est, si j’ose l’écrire, une boule de billard que les
joueurs se renvoient jusqu’à la fin de partie. Les lecteurs de ce livre ne
pourront y trouver de matière supplémentaire à connaître les détails du procès
du Roi, ni le déroulé de son emprisonnement au Temple (Charles-Eloi Vial, La
famille royale au Temple, Perrin, 2018), pas même les plaidoiries des
avocats de Louis XVI ni celles des députés intervenants qui furent plus
imprimées que lues pour accélérer le procès.
L’exécution du roi de Jean-Clément Martin pose sa
trame sur celle avancée, sans le citer, par Emmanuel de Waresquiel (Sept
jours, 17-23 juin 1789, la France entre en révolution, Taillandier, 2019)
le choix tellurique pris par quelques hommes du Tiers-Etat de se déclarer
assemblée nationale augurant d’un bouleversement colossal, à savoir la mise de
côté, avant sa déchéance, du Roi. Un terme qui n’explose pas d’emblée à la face
de la France mais qui y fait son lit (Alexandre Maral, Les derniers jours de
Versailles, Perrin, 2018) dès juin, juillet, octobre 1789. Le retour
contraint en octobre 1789 du Roi à Paris oblige l’assemblée nationale à le
suivre en novembre. Ce déplacement de l’exécutif et du nouveau législatif, loin
de débuter une stabilité fait entrer sur la scène un autre acteur majeur, la
commune de Paris au sens large (la mairie, les assemblées municipales, les
Sans-culottes, les gardes nationaux, la presse, l’opinion publique)
Le retour royal avec l’assemblée face à
la commune seront trois entités où chacune d’entre elle ne présentera aucune
unité mais où s’épanouiront dans chaque camp, les divisions, les oppositions,
les adversités, les surprises.
Les députés mettront deux années pour
écrire la première constitution celle du 3 septembre 1791, la seconde sera
celle de l’An I (24 juin 1793) qui restera lettre morte, une troisième en l’an
III (22 août 1795), la quatrième celle du 22 frimaire an VIII (13 décembre
1799) installera le Consulat prélude à l’Empire.
Ce rappel chronologique pour souligner
le chaotique institutionnel français où le vide prédomine : d’abord entre juin
89 et septembre 91 puis ce moment inédit où l’assemblée abolit la royauté le 13
août 1792 avant de proclamer la République le 21 septembre 1792 puis de rester face
à une Constitution de 1793 non effective…..
L’obsession de la Révolution, outre celui
du complot, est la peur de l’émergence d’une tête. Du 17 juin 1789 à 1799 (coup
d’Etat des 17-19 Brumaire an VIII), il est clair que les différents et nombreux
acteurs de cette période historique vont se déchirer, s’entretuer autour,
notamment, de cette hantise d’un retour du tyran, du despote. La situation
explosive de la fin de l’été et de l’automne 92 fera que l’assemblée se
défoulera contre Louis XVI en l’accablant de tous les noms, les furies orales
masquant les méfiances réciproques entre girondins, entre jacobins (futurs
montagnards) et les uns-vis-à-vis des autres sans oublier les sections
sans-culottes, la commune de Paris tiraillée entre une mairie plutôt girondine
et des assemblées plus radicales. Ainsi sur le papier, le Roi aurait-il pu
tirer parti de ces effervescences multiples y compris lors de son procès mais
comme pour la période allant de juin 89 au 10 août 92, plus personne n’avait
prise sur rien. Louis XVI pouvait charger Radis de Sainte-Croix d’acheter
certains acteurs ceux-ci n’étaient que des individus : aucun n’avait une
clientèle à l’inverse de l’époque de la Fronde.
Le procès du Roi se déroulera dans une
« position voisine de l’impeachment américain, puisque rien dans la
Constitution de 1791n’avait été prévu pour le juger politiquement et qu’il
fallait des preuves tangibles de sa mauvaise conduite pour engager une
procédure légale -par exemple, se mettre à la tête d’armées étrangères. Le roi
avait dû être réduit à une personne privée pour être justiciable, ce qui avait
été l’objet de débats jusqu’aux premiers jours de décembre. Une fois le procès
ouvert, la Convention se trouve dans un cas de figure échappant à la justice
ordinaire. Il n’y a plus de légalité au sens strict, faute de Constitution,
seule reste la légitimité née de l’insurrection du 10 août, c’est-à-dire la
Révolution. »1Et c’était bien là le problème !
Révolution : pour certains il
fallait donc exécuter Louis Capet au nom de l’insurrection, pour d’autres, il
fallait y mettre les formes d’où le procès. Si la Gironde parvient à mettre en
place le jugement du roi, c’est dans une assemblée de « 700 hommes en
colère » que Jean-Clément Martin répartira en six groupes : « les
légalistes, les progressistes, les républicains, les hésitants, les
intransigeants, les tyrannicides »2 où le roi n’est
plus que le catalyseur de tous les emportements et les ardeurs. C’est la
seconde tragédie pour Louis XVI, un martyr qui explique sans doute pourquoi, il
ne parut pas acteur de son procès.
« Le jugement du roi est bien la
partie visible de la lutte entre groupes révolutionnaires pour déterminer le
sens de la République à venir et délimiter les parts respectives des hommes du
10 août, des Jacobins et des Girondins. »3
Comment analyser les votes qui
scellèrent le sort du roi qui devait disparaitre sans que soit levée « l’opposition
entre le projet girondin, celui d’une république républicaine, et le projet
jacobin, qui serait plutôt celui d’une révolution mystique et romantique […..]Les
Girondins voulaient supprimer la fonction et le symbole monarchiques, sans
toucher éventuellement le corps physique du roi […..], les Jacobins
confondaient les deux corps du roi, la personne physique et la personne
politique, ce qui rendait le sacrifice nécessaire»4
Cependant, si l’assemblée, toujours
girondine, condamnera le roi, elle en laissera l’exécution à la commune de
Paris : aucun député n’assistera place de la révolution au 21 janvier.
C’est peu dire, le malaise, le je-ne-sais-quoi qui n’aurait pas dû conduire ces
hommes et le roi à ce 10H22 du 21 janvier 1793.
Pensez que six mois plus tôt, au Champs
de Mars, le 14 juillet 1792, Louis XVI, moins impopulaire après la journée du
20 juin, trônait pour la Fête de la Fédération !
Mystère de la psychologie des
foules ? Longtemps, on crut que Varennes en juin 1791 avait détruit la
royauté, mais sans doute pas. Les députés à l’instar de la France entière
avaient le tournis débuté un 17 juin 1789.
Ce matin du 21 janvier ne réglera en
rien les antagonismes politiques.
La chute de Robespierre le 27 juillet
1794, après celles des girondins, des hébertistes, des dantonistes, puis en
1795 la mise au pas des sans-culottes puis des babouvistes en 1796 (conjuration
des égaux) marquent le début d’un Directoire réactionnaire qui règle ses
comptes avec le peuple appelé aux armes en juillet 1789 et qui ne voulait plus
les rendre. La révolution bourgeoise des 17-23 juin 1789 faillit périr corps et
bien entre 1793 et 1794 avant de reprendre pas à pas les rênes quitte à, comme
l’écrivent si bien Marc Belissa et Yannick Bosc dans leur ouvrage, à assumer un
Directoire ou une « république sans la démocratie »5 pour remettre in fine les clés à un
général Bonaparte, via un coup d’état financé par des banquiers franco-suisses6.
La révolution bourgeoise se terminait, elle s’installait dans les palais des
lys et ne les quitterait plus jusqu’à nos jours : tous les régimes qui se
succédèrent furent entre leurs mains. La bourgeoisie, on l’oublie, est une
classe sociale d’une violence extrême voire totale qui n’a rien à envier à des
« rouges » ainsi les répressions, le 10 juin 1848, en mai 1871 contre
la Commune.
Ce détour pour revenir à cette Exécution
du roi que Jean-Clément Martin a exploré, décortiqué avec rigueur, se
frottant à l’impartialité, rappelant le premier destin des grandes phrases qui,
au départ, tombèrent à plat, avant que la postérité ne les relève et ne les place
aux frontispices. Il reste sur une conclusion interrogative sur cet après
républicain du 21 janvier : « l’urgence du moment, l’incapacité de
penser autrement le lien social et les ambitions personnelles peuvent expliquer
ce résultat ambigu dont nous avons hérité. » Mais est-ce la République
qui en sort renforcée ou bien une classe sociale ?
Terminons en notant qu’entre 1792 et le
début du Consulat, la France a vécu certes avec des gouvernements, des organes
collectifs (Comité de Salut Public, Directoire, Consulat) mais sans un
chef de l’Etat, un Président de la République : peut-être est-là que se
situe le point culminant de cette Révolution : ni dieu, ni maître ?
et qu’il fallait donc la tête d’un roi ?
In Seriatim 4 décembre 2020:
http://www.seriatim.fr/2020/12/sept-jours-17-23-juin-1789-par-emmanuel.html
Notes :
1-
In
Martin (Jean-Clément) L’exécution du roi, Paris, Perrin, 2021, p.
255
2-
Ibid., chapitre 6
3-
Ibid., p. 223
4-
Ibid.,
pp. 317-318
5-
Belissa
(Marc, Bosc (Yannick) : Le Directoire -La république sans la
démocratie, Paris, La fabrique éditions, 2018 ;
6-
Sur
le coup d’état de brumaire et son corollaire la création de la banque de France,
banque privée jusqu’en 1936, on lira les mémoires du comte Mollien, ancien
secrétaire du chancelier de Maupeou célèbre pour la réforme des parlements
décidée par Louis XV.
Jean Vinatier
Seriatim
2021