Info

Nouvelle adresse Seriatim
@seriatimfr
jeanvin22@gmail.com



vendredi 4 décembre 2020

Sept jours (17-23 juin 1789) par Emmanuel de Waresquiel N°5036 14e année

Après le travail précis en 2019, d’Alexandre Maral sur Les derniers jours de Versailles qui couvrait la période allant de l’ouverture des Etats généraux au retour du Roi à Paris, Emmanuel Waresquiel l’auteur d’ouvrages remarqués, notamment, sur Talleyrand, Fouché et le procès de la Reine lance le lecteur dans un marathon de sept jours au cours duquel les coureurs du Tiers-Etat laisseront sur le carreau le Roi cavalier, Louis XVI.

On sait qu’on est en révolution après l’avoir faite. Sur le moment, dans le feu de l’action, les discours et les actions, les hommes sont comme les soldats sur un champ de bataille empêchés de voir tellement la fumée occupe la scène meurtrière, ils vont à l’instinct. Comme à la bataille, ce sont les cris, les rumeurs, les bruits qui posent le décor ici en devenir révolutionnaire : les colères, des émeutes sporadiques, des rebellions, des frondes, des insubordinations. Les tumultes croissent parce que les hommes, animaux qu’ils sont, sentent la faiblesse du pouvoir, en devine les blessures et les égarements et qu’ainsi un camp pousse l’avantage parfois jusqu’à la fin : la révolution.

Emmanuel de Waresquiel dessine à grands traits énergiques les prodromes de juin 1789 avec un retour bienvenu sur les années 1787 et 1788 pendant lesquelles s’amorcent en parallèle, au départ, deux crises violentes : l’une frumentaire, la seconde, politique avec l’échec des deux assemblées des notables (mars 87, décembre 88) qui amène la convocation des Etats généraux en mai 89. Louis XVI a bien senti, qu’avec l’affaire du Collier de la Reine, le royaume commençait à donner du gite. L’année suivante le voyage triomphal du Roi à Cherbourg a été ce chant du cygne dont le souverain voudra en garder les saveurs en juin 1791.

La royauté a mal estimé ce qui s’engageait avec l’appel aux Etats généraux et y a vu davantage la réunion temporaire d’un immense parlement où chaque corps opinerait in fine lors d’un lit de justice solennel, que l’allumage d’une mèche révolutionnaire. Le gouvernement a laissé libre la tenue des cahiers de doléances, a permis le doublement du Tiers-Etat. Louis XVI a interdit à ses frères et parents d’intervenir dans les débats des Etats généraux ce qui était une faute majeure. Quand la Régente Marie de Médicis inaugure ceux de 1614, le jeune ministre Richelieu est à la manœuvre. Là, rien. La naïveté royale est confondante. On peut même dire et l’auteur l’écrit très bien, le pouvoir royal offrit sur un plateau une audience au Tiers-Etat, la salle commune des Menus-Plaisirs où les visiteurs se rendirent en masse quand le clergé et la noblesse délibèrent, conformément au règlement desdits Etats dans des salles closes. C’est une brèche dans laquelle s’engouffreront tous ces juristes et magistrats. On peut le dire, dès les premiers jours, le Tiers-Etat occupera la scène publique, la seule que les Français entendront, la seule que les parisiens écouteront via les crieurs qui répéteront tout y compris les fables d’une façon continuelle, une sorte de France-info ou de BFMTV avant la lettre.

En trois coups, le 17 juin proclamation de l’Assemblée nationale, le 20 juin serment du jeu de paume et proclamation de l’assemblée constituante, le 23 juin, suite à la séance royale, les députés déclarent l’assemblée inviolable et sacrée. D’une monarchie absolue, c’est-à-dire parfaite (ce qui ne signifie pas que le régime était sans défaut sans injustice), on arrive à une assemblée d’où est exclu tout César, tout souverain, toute couronne. Louis XVI refuse de les expulser, Dreux-Brézé dit « merde » à Bailly et Mirabeau refait sa phrase pour la postérité. Mais tandis que politiquement naissait un espace tout à fait neuf partout en France dans les campagnes comme dans les villes les colères contre la vie chère s’entouraient très rapidement d’une haine de classe, du soupçon, d’appel aux violences et aux délations. La France de 1789 voit se conjurer, après tant d’années de remise en cause de la royauté absolue par les élites comme les bourgeoisies montantes, et de la société qui en découlait, deux fleuves dont la rencontre provoquerait la grande chute. Intellectuellement, socialement, économiquement, religieusement (poids du jansénisme) le royaume n’en pouvait plus des carcans et des expériences ministérielles. La tâche devant Louis XVI était colossale. Joël Felix dans son excellent ouvrage, Louis XVI et Marie-Antoinette, un couple en politique, a bien exposé leur incapacité à devenir d’un coup de baguette magique monarque sans absolu. De même n'était-il pas insensé de croire que des élus deviendraient comme par enchantement des parlementaires chevronnés rompus aux usages des assemblées à l’instar des anglais, des néerlandais qui mirent un siècle…?

1789 est effectivement quelque chose d’unique indubitablement plus fort que la « révolution » anglaise des années 1640 qui est plus un compromis sanglant et religieux, que celle de 1917 en Russie qui ne renversait qu’un régime ancestral ne s’appuyant que depuis peu sur le droit. La France de 1789 était un état de droit (le roi en ses conseils), où les élections corporatives sont nombreuses, dont émergent Etat et nation.

Emmanuel de Waresquiel en quatre cents pages vives déroule la prise de pouvoir par la bourgeoisie et les nobles et clergés libéraux à coup de discours, d’intrigues, de soupers et de chapeau mais qui ne considèrent pas et ne voient pas les couches populaires, urbaines, rurales, entrées aussi sur la scène et qui feront dérailler la révolution bourgeoise en 1792 avec les cohortes des massacres ainsi celui des enfants à Bicêtre le 2 septembre, des insurrections terribles où tant de français s’entrégorgeront. 

Le grand perdant est Louis XVI, le Roi balayé et écarté, bientôt seul. C’est un triptyque inédit : un Roi sans parti, une Assemblée sans peuple, un peuple que l’on laisse recevoir la reddition de la Bastille, que l’on tente de mettre sous contrôle via la garde nationale puis qu’on fusillera le 17 juillet 1791, qu’on guillotinera aussi ce qu’on oublie….

De cette semaine inouïe, nous en vivons aujourd’hui les conséquences et plus difficilement qu’en 1789 car la France était alors une nation jeune, prospère, sure d’elle-même, souveraine, un volcan aux laves puissantes exportatrices. Depuis 1789 il n’y a plus rien de séculaire.

 

 

Waresquiel (Emmanuel de) Sept jours, 17-23 juin 1789, la France entre en révolution , Paris, Tallandier,  2020  Prix :22,90€

Lire aussi: Maral (Alexandre) Les derniers jours de Versailles, Pars, Perrin, 2019

Jean Vinatier

Seriatim 2020

 

 

 

 

Aucun commentaire: