Des maires de petites villes et communes ont pris des arrêtés pour que les commerces non-essentiels selon le gouvernement ouvrent : dans la plupart des cas, c’est l’accès aux livres qui est le prétexte. Bien évidement les maires des grandes villes : Paris, Lyon, Bordeaux, Lille se taisent sauf Anne Hidalgo qui communique sur ce sujet se gardant bien de sauter le pas...Cela en dit long sur ces édiles aux mains gantées vertes.
Le livre que d’aucun nous affirme comme ancien face aux lectures électroniques et désaffecté auprès des jeunes garderait donc toute sa puissance historique. La librairie autrefois éditeur et garde dépôt des premières presses, par sa vitrine et les ses rayonnages parfois étranges que l’on parcourait avec une idée précise ou bien pas. La librairie comme la bibliothèque est un voyage ou un déplacement salvateur.
Les fondateurs de la FNAC, misaient sur la richesse et la variété des ouvrages avec de vrais libraires. Aujourd’hui, la FNAC s’est « dartysée », choix limité, dans la norme, dans la ligne « du parti ». C’est donc avec raison que les libraires ont protesté contre son ouverture pendant le reconfinement qui vend davantage des aspirateurs que des livres et dont le département informatique n’est guère attractif.
Le livre est un voyage absolument pas remplacé par l’écran. Quand je passais mes journées aux archives diplomatiques, l’accès aux ouvrages et correspondances d’époque était habituel puis est venu cette manie de tout microfilmer, de lire donc sur un écran : autant lire sur un support papier était instructif et nous concentrait autant le microfilm lassait vite par sa sécheresse sans lien mémoriel. Un document sur papier est vivant, un livre a une odeur, sur microfilm ou écran il est mort. Pour bien écrire, il faut ressentir, être en contact, nous en priver, c’est nous assécher.
Dans notre monde qui engage et entretient les déconcentrations ou zappings multiples et où Internet n’est plus un espace de liberté mais de surveillance comme on le vit avec Twitter, Facebook et Instagram qui décidèrent arbitrairement d’effacer tel ou tel intervenant, telle ou telle conversation, le livre bat et la librairie garde son havre précieux : c’est une barrière de corail fragile.
Les GAFAM se veulent agora librairie planétaire. Est-elle avec le sens qu’avait ce mot au XVIIIe siècle : la censure ? En France, la direction de la Librairie désignait les censeurs royaux qui étaient plus des conseillers éditoriaux que des proscripteurs d’auteurs. Les GAFAM sont, parce qu’anglo-américains plus proches de ce XVIIIe anglais qui officiellement ne censurait pas, faisant pâmer nos philosophes et folliculaires, mais développait la notion juridique de la diffamation au point que dans les années 1770, les révoltes sanguinaires éclatèrent, notamment lors de l’affaire Wilke.
A notre époque, on est davantage dans cette notion diffamatoire dont s’est emparée la Victime (minorité) de tout lui permettant de demander réparation, de damner le cas échéant.
Je ne sais pas si les maires ont conscience de ce qu’ils font mais puisque c’est leur inconscient respectif qui guide leur signature, il faut saluer ce reste mémoriel de résistance et d’identification du livre comme une liberté essentielle. On ne brûle plus les ouvrages au pied du parlement ou en place de Grève, on les brûle virtuellement, dans des deux cas, ce sont des flammes symboliquement nocives ; Le livre est un relais de la main à la main, le libraire sa halte où l’on y peut conjurer, discuter, échanger face à face. C’est un contact humain de sens et d’énergie.
Qu’un gouvernement ne considère pas la librairie comme un commerce essentiel est symptomatique de sa pathologie paranoïaque et de sa logique ultra-libérale regardant les multinationales comme les seules dépositaires des courroies intellectuelles, un danger !
Jean Vinatier
Seriatim 2020