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vendredi 29 février 2008

La Turquie s’étire les yeux ouverts N°151 - 1ere année

Tel un félin qui s’étire en allongeant ses pattes avant de les faire revenir, la Turquie rappelle à la communauté internationale son existence par sa seconde intervention dans le nord de la Mésopotamie contre les camps des kurdes du PKK. En janvier, l’armée turque n’avait fait qu’une avancée rapide ; en février, elle déplaçait un véritable corps d’armée.
Ankara a des accords particuliers et anciens avec Washington et Tel-Aviv. S’ils ne varient pas, ils subissent quelques retouches quand les intérêts stricto sensu de la Turquie sont trop en jeu. Ankara n’admettra jamais un Kurdistan indépendant, pas davantage, elle ne voudra regarder le génocide arménien comme de son fait : la République rappelle toujours que ce sont des forces impériales ottomanes – et parmi elles, les Kurdes - qui « déplacèrent » les Arméniens et non le régime kémaliste.
La république kémaliste ne variera pas davantage au sujet de Chypre. A la lecture de ces lignes, ne conclurait-on pas que ce pays s’est immobilisé sur des principes qu’ils jugent intangibles ? Ce serait une vue fausse.
La Turquie, des années 1920, de l’après-guerre ne se reconnaîtrait pas dans celle de 2008. Depuis la fin de l’URSS, elle n’est plus le seul flanc sud de l’OTAN ; elle est, maintenant, le centre et la plate-forme à partir de laquelle les cercles concentriques du système eurasiatique prennent forme.
Sa politique en direction des républiques turcophones est forte. Le professeur Pahlavi de l’université Mc Gill l’expose clairement. Ankara construit, petit à petit, un « panturkisme » ainsi qu’un alphabet panturque
« pour fédérer les peuples turciques ». Sa chaîne de télévision, T.R.T-AVRAZYA est l’un des plus gros diffuseurs transnationaux dans le monde. Mais, elle se doit d’agir avec prudence parce qu’elle se heurte dans cet espace géographique aux ambitions de la Chine, du Pakistan, de la Perse, de la Russie, des Etats-Unis et même, indirectement, à celles de l’Union européenne.
Dans le Caucase et l’Asie centrale, les enjeux sont colossaux en termes économiques, financiers, stratégiques. Et la Turquie se trouve au carrefour de toutes les questions pour le contrôle du continent eurasiatique.
Envers les Etats-Unis, elle connait sa place d’interlocuteur fondamental au sein de l’OTAN auprès des républiques turcophones et a besoin de Washington pour étendre son influence en Mésopotamie. Or, la capitale américaine ne peut se passer de la bienveillance turque pour s’imposer dans l’Orient. Les tensions existent, pourtant, entre les deux alliés comme l’écrit Ugur Kaya, chercheur au CIRPES:
« Les Etats-Unis et la Turquie mènent désormais une alliance ‘à la carte’, au milieu d’une région complexe, contrairement au ‘bon temps de la guerre Froide contre l’ennemi commun’. La fréquence des crises entre les deux pays depuis cinq années a provoqué une accumulation de tensions difficiles à digérer. L’arrestation des officiers turcs, chargés de communication en Irak du nord en fut un paroxysme. A cela s’est ajoutée celle de l’ambassadeur américain Edelman, accusé de se comporter en « gouverneur colonial » en raison de ses commentaires, entre autres sur la visite du Président en Syrie. Il a démissionné après 18 mois seulement pour être sous-secrétaire à la Défense. »
En fonction de ses réflexions et des événements régionaux qui seront autant militaires qu’énergétiques, Ankara pourrait exprimer des vues surprenantes; à savoir son intérêt à jouer entre les différentes puissances pour préserver ses intérêts vitaux.
Les sujets de disputes ne manquant jamais en Orient, pas davantage en Asie centrale, tout est possible dans des combinaisons à condition de ne pas oublier que peu d’états ont une existence historique ancienne : Arabie, Perse, Turquie. Syrie, Liban, Irak, Jordanie, Israël ne sont que des conséquences de la politique internationale et d’événements historiques tragiques d’une part et de l’affaiblissement progressif, d’autre part, de l’empire Ottoman au XIXe siècle.
Le problème turc est, peut-être, de sentir sa légitimité de l’Asie centrale à l’Orient comme naturelle et historique. La république kémaliste est partagée entre un dessein géopolitique qui la reconnecte à l’histoire ottomane et le besoin de jouer un rôle transcontinental. Combien de temps pourra-t-elle jongler de cette sorte ? Comment réglera-t-elle la question du génocide arménien ? Son devenir se liera, étroitement, à sa façon d’arbitrer mais aussi à subir, les desseins unilatéraux, p.e, américains, chinois, russes. Les gouvernements successifs de la république kémaliste n’entendent pas perdre au change dans un monde qui incline vers le désordre, vers l’incertitude.
Si Ankara est membre du Conseil de l’Europe depuis 1949 son adhésion à l’Union européenne se lit plus comme une option stratégique ambivalente
« A contrario, un éloignement de l’Europe, dixit Uugr Kaya, affaiblit la Turquie vis-à-vis des Etats-Unis. Et un éloignement simultané des deux côtés peut provoquer une crise intérieure. A leur tour, les capitales européennes, notamment Paris et Berlin n’ont pas compris que le l’essentiel pour la Turquie n’est pas l’impossibilité de son adhésion à l’Union à moyen ou même long terme : la poursuite d’un vrai processus elle-même permet un ancrage sociopolitique et est aussi une garantie de sécurité pour la Turquie. »
La Turquie est une puissance décomplexée. Deviendra-t-elle une force dangereuse ou déstabilisante ? Son passé prestigieux indique, plutôt, que son souci est d’assurer une stabilité et une tolérance. Elle est de toute manière indispensable.


©Jean Vinatier 2008

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Source :

Ugur Kaya : « Où vont les relations turco-américaines ? » janvier 2008
http://cirpes.net/article206.html

Sources in Seriatim :

jeudi 28 février 2008

Irak : une guerre à 3 000 milliards de dollars ! N°150 - 1ere année

L’ouvrage du prix Nobel d’économie, Joseph Stuglitz et de Linda Bilmes, The Three Trillion Dollar War, vient de sortir aux éditions Allen Lane.
Les auteurs sont assaillis de demandes d’entretien tant à Londres qu’à Washington…et ils ont du mal à suivre !
La journaliste du
Guardian, Aida Edemarian vient d’en faire le compte-rendu. C’est implacable. Pour faire un résumé très court, les auteurs dressent le bilan (provisoire) d’une catastrophe (humaine, économique, financière) aux dimensions planétaires. Les auteurs mettent en avant le lien singulièrement puissant entre le coût de la guerre en Mésopotamie et la situation économique aux Etats-Unis. Nous sommes en présence de deux crises qui se rejoignent au lieu de se succéder.
Je vous invite à le lire en entier.

http://www.guardian.co.uk/world/2008/feb/28/iraq.afghanistan

Pour aller plus loin, voyez l’article du professeur d’histoire à l’université de Boston, Andrew J.Bacevich proposé en lien :
http://www.boston.com/news/nation/articles/2008/02/24/the_plan_for_what_comes_after_iraq/
©Jean Vinatier 2008

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mercredi 27 février 2008

Liechtenstein, une famille qui fit un Etat N°149 - 1ere année

L’actualité financière braque ses projecteurs sur une aimable principauté coincée entre la Suisse et l’Autriche, le Liechtenstein.
C'est l'un des plus petits États du monde avec une superficie de seulement 157 km², soit 200 fois plus petit que la Belgique (32 545 km²). Il compte 35 000 habitants dont 5 000 pour la capitale, Vaduz.
Les fans de
Largo Winch (la BD et non l’horrible série TV) sont initiés depuis longtemps aux secrets de ce havre financier qui abrite plus de 80 000 holdings, 11 compagnies d'assurance-vie, 4 sociétés financières et 27 fonds de placement. Son histoire est également intéressante. Retour en arrière.
Les Liechtenstein sont une branche cadette de la maison de Habsbourg. Ils jouèrent un rôle important dans la conquête des Habsbourg sur l’Autriche (contre les ambitions des rois de Bohème) et le trône du Saint-Empire Romain Germanique de Rodolphe Ier (1273-1291) à Charles Ier (1916-1918), dernier Empereur d'Autriche et Roi de Hongrie.
D’abord comtes puis princes en 1618, ils donnent à l’Autriche une succession de militaires énergiques et de diplomates de talents. Maximilien (1578-1643) sera l’un des vainqueurs de la bataille de La Montagne Blanche en novembre 1620 qui débutera la guerre de Trente Ans (1618-1648). Joseph-Wenzel (1696-1772) s’illustre contre les Turcs et bat l’armée de Louis XV à Plaisance en 1746. Johann-Joseph (1760-1836) vainc avec Souvorov, les Français à La Trebbia en juin 1799. Il couvrira habilement la retraite de son armée après Austerlitz et disputera chèrement à Napoléon Ier ses victoires d’Essling et de Wagram en 1809.
Les princes de Liechtenstein devinrent de grands propriétaires terriens dans l’Empire germanique et profitèrent de l’éclat des Habsbourg. Mais ce rang princier ne leur suffisait pas, ils cherchèrent à acquérir une seigneurie en « possession immédiate » (avec pour suzerain l’Empereur) qui leur conférerait le rang de prince souverain. L’occasion se présenta à la fin du XVIIe siècle. Hans-Adam Ier acquit le comté de Vaduz en 1699 puis la seigneurie de Schellenburg en 1712. Le 23 janvier 1719, l’empereur Charles VI réunit les deux territoires pour former la principauté d’Empire de Liechtenstein. C’est donc leur patronyme qui donna le nom à l’Etat et non l’inverse.
Si les princes ne s’installèrent pas dans leur état avant 1938, ils veillèrent à ne pas le perdre. Lors de la disparition du Saint-Empire Romain Germanique, en 1806, ils purent être comptés (grâce à Talleyrand) comme membre de la Confédération du Rhin créée par Napoléon Ier puis, en 1815, ils entrèrent dans la Confédération Germanique. En 1866, la défaite autrichienne à Sadowa entraîna la fin de cette Confédération et, par conséquent, fit du Liechtenstein un Etat souverain et indépendant.
Gestionnaires avisés, les princes accrurent, au XIXe siècle, une fortune déjà considérable en investissant leurs indemnités reçues après l’abolition des droits seigneuriaux en Autriche dans la banque, le chemin de fer et l’industrie. Envers leurs sujets, ils veillèrent à faire de la principauté une monarchie constitutionnelle en 1862 qui leur laissait, en fait, un grand pouvoir. La constitution de 1921 ne changea pas grand-chose ni sa réforme en 2003.
L’Anschluss de mars 1938 fit partir les princes de Liechtenstein de Vienne pour Vaduz que, par miracle, Hitler ne songea pas à annexer.
François-Joseph II (1906-1989) qui succédait, en 1938, à son grand-oncle, François Ier né en 1853, refusa, en 1945, de livrer aux autorités soviétiques les soldats russes engagés sous l’uniforme allemand et entrés dans la principauté. C’est pendant son règne que sont prises des conditions fiscales avantageuses pour les entreprises et les hommes d’affaires.
La principauté, aujourd’hui, est membre des Nations Unies, de l’OMC, du Conseil de l’Europe.
Les biens de la famille princière sont administrés par…sa propre banque fondée en 1920 sous le nom de SGT devenue LGT. L’actuel prince, Hans-Adam II¹ (né en 1945) aurait une fortune estimée à plus de 4 milliards d’euros sans tenir compte de la valeur (inestimable) de sa collection d’art privée –sans doute unique au monde – dans son palais viennois. La famille princière tente de récupérer deux immenses châteaux en République Tchèque, Lednice et Valtice, confisqués par les communistes en 1945 qui s’ajouteraient à la restitution faite d’autres domaines, grâce, sans doute, à l’appui du prince Schwarzenberg, conseiller personnel du Président Vaclav Havel.
La principauté de Liechtenstein est assez singulière par son attachement au sens propre à une dynastie. Les princes de cette maison furent habiles. Ce n’est pas par inadvertance que Hans-Adam II signa la Charte des langues régionales. Il y voit, justement, un moyen d’assurer la pérennité de son Etat, principauté européenne.

©Jean Vinatier 2008

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Note :

1-En 2004, le Prince délègue à son fils aîné, Aloïs (1968), le gouvernement de l’Etat. Celui-ci s’est marié avec Sophie de Bavière, issue des ducs en Bavière.

mardi 26 février 2008

Australie : Kevin Rudd vers l’Asie N°148 - 1ere année

Kevin Rudd (né en 1957)le nouveau Premier ministre australien travailliste a prêté serment en décembre 2007. Immédiatement, il a signé les accords de Kyoto. Et, au nom de la cohésion nationale, il fait reconnaître officiellement les torts causés aux Aborigènes.
A l’opposé de son prédécesseur, John Howard qui avait adhéré à « l’arc asiatique de la démocratie » (Japon, l’Australie, l’Inde, Etats-Unis) initiée par l’ancien Premier ministre japonais, Shinzo Abe, il s’en sépare. Pourquoi ? Il n’approuve pas l’idée du « containment » contre la Chine. Il lui préfère le dialogue stratégique. Ne parle-t-il pas le mandarin ?
Kevin Rudd rapatriera, enfin, les troupes stationnées en Mésopotamie.
On est loin de l’image traditionnelle de l’Australie, terre de kangourous, de koalas et de surfeurs. Un nouveau vent soufflerait-il depuis Canberra ? Officiellement rien ne bouge : l’Australie a pour chef d’Etat, le souverain britannique. Mais, peut-être songe-t-elle à des ambitions bien à elles. Son prédécesseur, John Howard se contentait de suivre en béni oui-oui, les décisions de l’équipe de Georges Bush et il s’entendait bien avec Tony Blair. Kevin Rudd, parce que plus jeune, familier avec le mandarin et, surtout, sachant lire une carte croit à un moment stratégique. Le centre de gravité économique se déplaçant vers l’Asie, l’Australie monte, logiquement, en première ligne.
Si Kevin Rudd ne remet pas en cause l’alliance militaire avec les Etats-Unis (ANZUS en 1951), il renforcera le dialogue stratégique avec la Chine. A quoi cela sert-il de vouloir enserrer cette puissance par un cordon « démocratique » quand l’économie l’interdit ? Qu’entend-il par dialogue stratégique ? Placer l’Australie en rôle majeur de cette partie du monde et donc ne plus être un acteur dormant.
Jusqu’à présent, plusieurs facteurs limitaient traditionnellement la marge de manœuvre de la diplomatie australienne : l'isolement géographique du pays, la faiblesse de sa population et de son marché intérieur, et son potentiel industriel limité soulignaient l'enjeu essentiel de la sécurité des voies de communication pour une Australie excentrée, exportatrice de produits primaires. Ces handicaps ont incité l'Australie- avec l’agrément de Londres - à se placer, après la seconde guerre mondiale, sous l’aile américaine.
La diplomatie australienne a affirmé, parallèlement, son insertion en Asie et son appartenance au Pacifique sud. Mais, en se voulant un allié sans faille des États-Unis et en se prévalant de ses liens historiques avec l'Europe, l'Australie cherchait à valoriser son rôle de "charnière" entre l'Asie et l'Occident. C'est dans cet esprit que Canberra souhaitait en particulier attirer les investisseurs européens en mettant en valeur les relations commerciales privilégiées qu'elle entretient avec les pays asiatiques.
C’est précisément ce rôle de puissance « charnière » que Kevin Rudd aimerait revoir dans un sens plus dynamique. Pragmatique, il sait qu’avec le Japon, l’Australie est le second sheriff de la région Pacifique/Océanie pour Washington. Pragmatique, il n’ignore pas les dangers inhérents à la montée très rapide de la Chine et il n’entend pas les sous-estimer. La visite de Yang Jiechi, ministre des Affaires Etrangères chinois le 5 février dernier a mis l’accent sur la formation de milliers d’étudiants chinois lesquels pourraient jouer à l’avenir un rôle décisif dans la nouvelle économie monde et dynamiser l’industrie australienne.
A l’inverse de John Howard qui pensait que sa seule docilité envers Londres et Washington suffisait à garantir la sécurité du pays, Kevin Rudd présuppose que le meilleur moyen de s’épanouir serait d’entrer dans le jeu asiatique en comptant sur les concurrences de New Delhi, de Pékin, de Tokyo. Mais cette étape nécessite le soutien sans faille américain, l’Australie ne disposant pas d’un outil militaire suffisant. Canberra devra aussi faire taire les réticences des Etats sud-asiatiques tels la Malaisie, le Myanmar. . La fragile indépendance du Timor-Oriental reste une épine dans le pied australien.
Confronté à l’immensité de l’espace géographique, l’Australie veut améliorer sa capacité de projection, militaire, diplomatique, économique (APEC). Dernier point, la permanence du malaise identitaire australien où l’Asiatique est, encore, perçu comme l’ennemi.
La question qui se pose aux politiques australiens est la suivante : comment monter en puissance sans devenir impuissant ? La tâche sera forcément de longue haleine. Kevin Rudd est, sans doute, un nouveau type d’homme d’état australien par son approche des problématiques de son temps. Devant l’Asie, continent clef de ce millénaire, l’identité australienne connaîtra une évolution importante.
Nation anglophone, avec un chef d’Etat anglais et une alliance américaine, l’Australie de Kevin Rudd est originale. Sa marche vers le contact asiatique s’annonce d’un profond intérêt avec ou sans l’abandon, à terme, de la couronne britannique.


©Jean Vinatier 2008
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lundi 25 février 2008

Sarkozy : un week-end vache ! N°147 - 1ere année

Week-end vache! Au Salon de l’Agriculture, les mots du visiteur au Chef de l’Etat ne méritaient pas une réponse élyséenne. Il eut été convenable de passer son chemin. Si les De Gaulle, Mitterrand et Chirac avaient dû répondre du tac au tac aux noms d’oiseau, nous serions depuis longtemps une République populacière ! Notons, au passage, l’emploi automatique du « tu » devant le Président de la République, il est significatif !
Plus dangereuse a été la réponse courroucée de l’Elysée à la censure partielle de la loi sur la rétention de sûreté prononcée par le Conseil Constitutionnel. La demande de conseils adressée par le Président de la République au premier Président de la Cour de Cassation ne trompa personne : c’était une tentative maladroite et malsaine de contourner une décision du Conseil qui s’applique à tous et qui n’est susceptible d’aucun recours.
Aujourd’hui, ce magistrat, Vincent Lamanda, s’est déclaré tout naturellement incompétent et a accepté, par politesse, de réfléchir à des solutions sur cette loi qui contient plus de mal que de bien. Robert Badinter parle justement « d’heure sombre ». L’appel aux victimes de Nicolas Sarkozy fait long feu. Il en devient même indécent. Les victimes lui servent d’argument pour précipiter la France en direction de la répression quitte à abolir, au passage, la non-rétroactivité de la loi et dans la foulée à s‘affranchir des institutions de la Ve République. Un comble pour cet homme qui osait en toute impudence se réclamer de l’héritage du Général de Gaulle, ce vendredi lors de l’inauguration (souterraine) aux Invalides, de l’historial de l’homme du 18 juin.
Nicolas Sarkozy continue son chemin décontenançant les Français par sa désinvolture, son mépris des règles, la vulgarité de son ton. Rien de pire pour nos concitoyens que de regarder cet homme élu poussé par une si forte espérance devenir un Chef de l’Etat désordonné, brutal et soupçonneux.
Rien ne doit résister à l’enfant-roi, il doit avoir tout ce qu’il juge bon à son désir. Aucune règle, aucun usage ne doit être sur son passage. Nous en avons eu l’exemple au moment de la nomination de Christine Ockrent, compagne de Bernard Koutchner, ministre des Affaires Etrangères, comme n°2 de la future entité France-Monde. Pendant la campagne électorale, le candidat Sarkozy ne disait-il pas son souhait de soumettre au Parlement les nominations importantes ?
L’inquiétude grandit d’un cran à quelques mois de la présidence française de l’Union quand les relations avec Berlin connaissent des mésententes en chaîne ; elles inquiètent, Jean-Pierre Jouyet, le ministre des Affaires européennes lequel craint des relations orageuses avec tous nos partenaires à compter du 1er juillet prochain.
En jouant l’hermine contre le Palais-Royal, il dévoile sa personnalité plus que son programme. Est-il un nouveau Pierre III ou Paul Ier de Russie, souverains fragiles ? Appartient-il à l’un des douze Césars de Suétone, tous bizarres ?
Au vu de sa grandissante nervosité, de ses tics toujours en nombre, il est permis, enfin, de s’interroger sur l’influence de sa troisième épouse,Carla Bruni-Tedeschi ?
Ce week-end quelque chose s’est cassé et, peut-être pour longtemps, même si l’on sait que l’opinion publique est versatile.
A quinze jours des élections municipales qui seront les dernières consultations nationales avant celles de 2012 (entre-temps il y aura les élections européennes en juin 2009) que feront les Français, quel sera le sens de leur bulletin de vote ?

©Jean Vinatier 2008

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vendredi 22 février 2008

Fidel Castro se retire : une fin morne N°146 - 1ere année

El Comandante¹ a fait dire qu’il quittait ses fonctions de chef de l’Etat cubain tout en gardant le premier poste du parti communiste. Ce départ a suscité beaucoup de commentaires. Mais dans le contexte international, cette nouvelle est-elle un événement ? Il est difficile d’expliquer l’importance de Fidel Castro dans ce qu’il a de particulier historiquement. C’est à un retour en arrière qu’il faut s’astreindre pour convenir ou pas de son originalité. Avec les années 1950 débute la guerre froide. Le monde est véritablement coupé en deux tandis que les puissances européennes se battent pour garder leur empire colonial respectif ; ainsi, la France, la Hollande. L’antiaméricanisme de l’Amérique hispanique et lusophone ne faiblit pas puisqu’il sert à régler des répartitions de pouvoir à l’intérieur de ces Etats et à entretenir une fierté face à Washington toujours perçue comme négative. L’île de Cuba devient un point de fixation emblématique. Pourquoi ?
Les longues et sanglantes luttes des Cubains (guerre de Dix ans, 1868-1878) pour arriver à l’indépendance en 1898 reproduisent avec des décennies de retard celles qui furent menées en Amérique latine au lendemain des guerres napoléoniennes. La fin de la domination espagnole sur l’île (traité de Paris, décembre 1898) n’aboutit pas à…l’indépendance mais à l’occupation militaire américaine (1898-1902) ; puis à la sujétion du gouvernement cubain aux Etats-Unis via l’amendement Platt (1902) lequel mettait le pays sous leur influence presque complète. C’est le Président Grau San Martin (1933-1934, 1944-1948) qui le déchirera en 1934 alors qu’il entreprenait un vaste programme de réformes sociales et économiques. Ce dernier était en lutte contre un miliaire sorti de rien, Fulgencio Batista (1901-1973) chef d’Etat-major de l’armée et complètement soumis à Washington. Les luttes furent sévères à Cuba dans les années 40 et au début de la décennie suivante entre les pro et les anti-américains. Le 10 mars 1952, Batista s’emparait de La Havane, livrant le pays aux gangsters américains et portant la corruption à un degré jamais atteint. Cuba était devenu un bordel !
Fidel Castro né en 1926, fils de grand propriétaire comme Grau San Martin, n’eut aucun mal à débuter une guérilla contre le régime. Son échec et sa capture devant la caserne de la Moncada (juillet 1953) auraient dû le mener à la mort si l’archevêque de La Havane n’était pas intervenu en sa faveur. Libéré en 1955, il prépare, au Mexique, aux Etats-Unis, avec son frère la poursuite de la guérilla contre Batista. Rentrés clandestinement à Cuba en décembre 1956 à bord du Granma² avec Che Guevara, ils échappent de peu à l’armée de Batista. La conquête du pouvoir débute. Les medias américains font de Castro un héros et Washington, embarrassé par la brutalité de Batista, cesse son aide armée. Ce mouvement de retrait et la couverture médiatique vont donner un coup d’accélérateur décisif au mouvement dirigé par Fidel Castro. Le 8 janvier 1959, il entre dans La Havane. Liberté ? Et bien non ! Fidel Castro est un homme de pouvoir. Il fera arrêter et fusiller les opposants par centaines tout en opérant un vaste programme de nationalisations qui lui aliènent les Etats-Unis. Les couches moyennes fuient par milliers. Il se tourne vers Moscou en février 1960. L’échec d’un débarquement de forces anti-castristes dans la baie des cochons (17 avril 1961) décide le régime à se définir comme socialiste. L’installation de missiles balistiques à moyenne portée soviétiques à Cuba en 1962 si elle aboutit devant les protestations américaines à leur retrait comprenait, en échange, l’assurance que jamais Washington ne chercherait à envahir l’île. L’embargo seul s’appliqua contre le régime castriste. Fidel Castro a été un bon manœuvrier !
Le régime castriste fit des bonnes choses en alphabétisant toute la population et en créant un système de santé de qualité (20 000 médecins ont été envoyés à l’étranger dont le Venezuela de Chavez) avec l’accès aux soins gratuits. Hélas, le régime plaça les Cubains sous une surveillance stricte. Les prisons cubaines sont pleines.Fidel Castro a joui de la faveur planétaire dans les décennies 60 et 70 quand le monde occidental entrait dans une série de crises et de doutes de toutes natures. Cuba envoya en Afrique (Angola, Ethiopie) des milliers de combattants pour continuer la révolution entre 1975 et 1988. Echecs extérieurs. Répression intérieure face à la contestation militaire favorable à une évolution du type Gorbatchev. Le général Ochoa³ le paiera de sa vie. Le régime s’enferme et s’organise pour assurer sa survie. Que reste-t-il de Castro ? C’est triste à dire, seulement l’image d’un dictateur porté par une immense espérance populaire. Fidel Castro est aussi un homme de pouvoir d’un autre temps. Il est presque anachronique. Son frère Raul, lui succède de fait.
Cuba est une île paradisiaque pour les touristes alors qu’elle compte des prisons où les droits les plus élémentaires ne sont pas appliqués : celles du régime castriste, celle située dans la base de Guantanamo (allouée par l’Espagne avant 1898 au gouvernement américain) où sont les « terroristes » décidés unilatéralement par l’administration Bush.
Cuba, île maudite ? La liberté du citoyen cubain n’est pas pour demain!


©Jean Vinatier 2008

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Notes:

1- El comandante désigne Castro à Cuba , les étrangers disent, « el lider maximo. »
2- Granma est le journal du régime
3- Arnaldo Ochoa né en 1930, fusillé le 12 juillet 1989. Général devenu populaire et respecté tant par les combattants angolais que par les soviétiques. Sa popularité porta-t-elle ombrage à Castro ? On l’accusa, naturellement, de trafic de drogue.

jeudi 21 février 2008

Alain Robbe-Grillet: il est Minuit! N°145 - 1ere année

L’écrivain Robbe-Grillet est inséparable des Editions de Minuit, nées clandestinement, en 1942, sous la houlette de Pierre de Lescure et de Jean Bruller (Vercors) pendant l’Occupation. Robbe-Grillet avait vingt-ans.
Les Editions de Minuit, au sortir de la guerre, surmonteraient-elles la clandestinité ? Grandiraient-elles parmi les autres concurrents qui se remettaient plus ou moins rapidement de leurs relations « intimes » avec les nazis ? Jérôme Lindon, entré comme stagiaire, en prit les rênes en 1948. Il comprit la nécessité de se placer en avant-garde, de lancer de nouveaux concepts.
L’historienne de la littérature, Anne Simonin nous dit que cette maison se fixait pour tâche la «
modernisation littéraire » et d’être le « fer de lance dans les combats du siècle. »¹ En un mot, il fallait faire de la communication, happer les auteurs modernes et les fédérer autour d’une idée ! En sus de la bienveillance et du soutien de Jean Paulhan, le mythique patron de la NRF et d’Alain Robbe-Grillet venant avec son souci d’en découdre avec le roman classique, Lindon avait sous la main des bons hommes.
Au sortir de la guerre, tout était neuf ou bien se devait de l’être : Nouvelle vague pour le cinéma (Françoise Giroud dans l’Express, en 1957), Nouveau Roman pour la littérature. En 1957, Alain Robbe-Grillet s’attira les foudres d’Emile Henriot, critique au
Monde (avant il était au Temps) pour la Jalousie : c’était donc çà « le nouveau roman » ! Expression négative qui grandit dans le cerveau du romancier. Il collectionna les essais sur la nature et le futur du roman où il rejette en bloc la construction du roman classique (balzacien) : intrigue, portrait psychologique…etc. Selon Jean Ricardou, « le roman n’est plus l’écriture d’une aventure, mais l’aventure d’une écriture. » En France, ce genre de phrase fait mouche ! Et Alain Robbe-Grillet se hâta de théoriser le concept du Nouveau Roman en publiant en 1963, le fameux, Pour un nouveau roman. Dix années plus tôt, son livre, Les Gommes, pastiche du roman policier préparait le terrain par son parallélisme entre l'acte de lecture et la résolution d'une enquête policière. Dans les deux cas, un individu devait reconstruire une trame qui lui échappait d'abord à partir des indices qu'il ramassait.
Alain Robbe-Grillet surfera jusque dans les années 1970 sur le Nouveau Roman avec les Editions de Minuit. Les universitaires étrangers le réclamaient : l’écrivain eut la sagesse de répondre à l’appel. Sa participation au superbe scénario de l’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais en 1961 le plaçait aussi dans le renouveau cinématographique. Il enseigna alors avec succès aux Etats-Unis et en Belgique.
Le Nouveau Roman ne résista, ni aux événements de Mai 68, ni à l’entrée en force des auteurs « engagés » politiquement et aux Nouveaux Philosophes menés, notamment, par Bernard-Henri Lévy.
Marié en 1957 à Catherine Rstakian (Jean de Berg), devenue la papesse du sado-masochisme; le couple draina une réputation sulfureuse qui entretint les fantasmes et les désirs inassouvis. C’est un excellent procédé pour durer dans la littérature et animer les conversations des dîners en ville. Libertinage germanopratin ? Ses romans obliquèrent logiquement vers l’érotisme.
Alain Robbe-Grillet était-il un homme important ? Se souviendra-t-on de son œuvre ? On n’oubliera pas qu’il sut deviner avant les autres l’habileté à revendiquer une autre forme de récit, d’écriture dans une période de l’immédiat après-guerre. Bien des auteurs connurent grâce à lui la publicité, Nathalie Sarraute, Claude Simon, d’autres un peu moins, Michel Butor, Jean Cayrol, Marguerite Duras.
En 2004, il refusa de porter l’habit vert d’académicien, prétexte à d’ultimes passes d’armes. Il partit dans la nuit du 17 au 18 février 2008…vers l’immortalité ?
Les Editions de Minuit continuent.

©Jean Vinatier 2008

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Source :

1-
http://bbf.enssib.fr/sdx/BBF/frontoffice/1995/04/document.xsp?id=bbf-1995-04-0108-016/1995/04/fam-critique/critique&statutMaitre=non&statutFils=non

mercredi 20 février 2008

L’étrange prise de Villiers le Bel N°144 - 1ere année

Une cité interdite est donc tombée : Villiers le Bel ! Xavier Bertrand se réjouissait qu’il n’y ait plus en France de « lieu de non droit ». Au total, prés de deux mille hommes mobilisés (1100 le matin, 700 le soir) pour interpeller 38 personnes ; la moitié a été relâchée ce matin.
Etrange, étrange ce déploiement de force dans une France qui se désenivre de Nicolas Sarkozy. Etrange, étrange de voir ce pouvoir nerveux qui commet, à la suite, des fautes de communication et répond maladroitement aux signataires de l’Appel (médiocre) du 14 février dit de vigilance républicaine, publié dans les colonnes de l’hebdomadaire Marianne. Il lui suffisait de hausser les épaules !
Nous sommes proches des élections municipales et tout se fendille.
Cette intervention massive de la police dans Villiers le Bel a quelque chose de singulier qui ajouterait plus à l’inquiétude qu’à la sécurité. Sur le plan économique, la croissance pâlit. Sur le plan social, les grèves et les revendications ne ralentissent pas. Sur le plan quotidien, le pouvoir d’achat décroche devant les augmentations régulières des prix, surtout pour l’alimentation générale, du logement. A cela, s’ajoutent les questions sur la place de la religion, de la mémoire, de la laïcité qui troublent les citoyens dans ce qui leur restent de référents collectifs. L’affectif national en prend un coup d’autant plus fort que le Président de la République ne paraît pas réfléchir avant de parler. Le lien unique entre Nicolas Sarkozy et les Français perd de l’épaisseur tandis que l’horizon, européen et international voit les nuages arriver en masse dans des degrés du gris au noir. Une fois encore, c’est le sentiment de perte du sens politique qui pourrait être à court terme l’étincelle d’un incendie aux dimensions incalculables.
Les élections municipales quels qu’en soient les résultats amoindriront les partis actuels : le parti socialiste pouvant devenir plus municipal que national, l’UMP, à peine tenue par le duo Coppé/Devedjan, étant un chaudron bouillant, le Modem, enfin, jouant tout entier son existence dans le succès (difficile) de son mentor à Pau ! La France court le risque d’être, en quelque sorte, sans parti national, sans gouvernement représentatif et conduite par un Président plus déterminé que jamais à appliquer des réformes qui ne seront plus perçues comme positives mais contraignantes et injustes.
C’est pour cela que cette « prise » de Villiers le Bel est, quelque part, surréaliste. On l’interpréterait de deux façons : la première, le gouvernement assurant la sécurité des citoyens ceux-ci voteraient UMP, la seconde quiconque contredirait le Président serait tenu en respect par la police. L’Elysée voudrait dire que la rue occupée par les citoyens ne lui fait pas peur qu’il ne s‘y prendrait pas autrement.
En dix mois d’un mandat de cinq ans, la grande imprudence n’est-elle pas l’absence d’une réorganisation politico-administrative de la France seule en mesure de tenir les Français et, surtout, de les associer positivement à un pacte politique majeur pour plusieurs générations ?
La France est liée à la politique comme l’enfant au sein de sa mère !

©Jean Vinatier 2008

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Sources in Seriatim :

mardi 19 février 2008

Luis Cernuda: "Le temps" N°143 - 1ere année

Le poète Luís Cernuda né à Séville en 1902, mort à Mexico en 1963 a écrit ce recueil de 63 poèmes en prose, Ocnos à partir de 1940. Ocnos est la figure symbolique de l’au-delà ; mais elle est aussi l’homme qui travaille sans fin : on le représente tressant une corde qu’une ânesse mange au fur et à mesure.
Luís Cernuda appartint à un mouvement artistique qu’on appela « génération de 1927 ». Pablo Picasso, Salvador Dali, Luis Bunuel y jouèrent un rôle moteur. L’assassinat du poète Fédérico Garcia Lorca en juillet 1936 par les nationalistes (franquistes) sonna le glas de cette génération imaginative.
Luís Cernuda ira, comme ses pairs, de pays en pays (Espagne, Royaume-Uni, Etats-Unis, Mexique), d’un exil à un autre. Il donnera à son enfance une dimension unique en la recréant à travers un mythe: celui du Paradis perdu. C’est « le douloureux cheminement de l’adulte vieillissant chassé de l’Eden d’enfance. » nous dit son préfacier et traducteur Jacques Ancet.
Voici Le temps :

« Il arrive un moment dans la vie où le temps nous atteint. (Je ne sais pas si je m’exprime bien.) Je veux dire qu’à partir d’un certain âge nous nous voyons soumis au temps et obligés de compter avec lui, comme si quelque vision de colère, d’une épée éclatante, nous chassait du paradis premier où tout homme a vécu une fois libre de m’aiguillon de la mort. Années d’enfance pour qui le temps n’existe pas ! Un jour, quelques heures sont alors le chiffre de l’éternité. Combien de siècles contiennent les heures d’un enfant ?

Je me rappelle ce coin du patio de la maison natale, et je me revois, solitaire, assis sur la première marche de l’escalier de marbre. La voile était tendue, plongeant le lieu dans une fraîche pénombre, et sur la grosse toile, où filtrait tamisée la lumière de midi, une étoile détachait ses six pointes de tissu rouge. Par l’espace découvert du patio, montaient jusqu’aux balcons ouverts les larges feuilles de palmiers, d’un ver obscur et brillant, et en bas, autour de la fontaine, se serraient les pots fleuris de lauriers-roses et d’azalées. L’eau murmurait en ruisselant avec un rythme monotone, berceur, et tout au fond de l’eau des poissons écarlates nageaient d’un mouvement inquiet et leurs écailles scintillaient en un éclair d’or. Eparse dans l’atmosphère, flottait une langueur qui lentement envahissait mon corps.

Là, dans l’absolu silence estival souligné par la rumeur de l’eau, les yeux ouverts sur une claire pénombre qui mettait en relief la vie mystérieuse des choses, j’ai vu les heures rester immobiles, suspendues en l’air, tel le nuage qui dissimule un dieu, pures et aériennes, sans s’écouler. »¹

©Jean Vinatier 2008

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Source :
1-Luis Cernuda, Ocnos, traduit et préfacé par Jacques Ancet, Mont-de-Marsan, Le cahier des brisants, 1987, p.31.

lundi 18 février 2008

Kosovo: casse-tête européen et davantage N°142 - 1ere année

"Les Kosovars sont maintenant indépendants. C'est une chose en faveur de laquelle j'ai plaidé avec mon administration" a déclaré Georges Bush sur NBC depuis la Tanzanie. Les Etats-Unis sont donc le premier pays à reconnaître le nouvel Etat. Et l’Union européenne ? Elle n’a pas compétence à reconnaître au nom du bloc. Faute de mieux, les ministres des affaires étrangères insistent sur le fait que les portes sont ouvertes à la Serbie comme au Kosovo. Et donc nous devons être, selon la phrase qui botte en touche de la ministre autrichienne Ursula Plassnik, "à la fois les amis de Belgrade et les amis de Pristina" !
L’Espagne, l’Italie( ?), Chypre, la Roumanie et la Bulgarie ont une hostilité presque publique envers cette déclaration unilatérale. L’Allemagne se montre hésitante. Seules Londres et Paris voudraient aller plus vite.
Moscou soutient Belgrade, Washington appuie Pristina, voilà en deux mots l’ambiance. L’Union devrait envoyer une mission baptisée EULEX au Kosovo une fois l’accord du Conseil de sécurité des Nations Unies obtenu. Or, la majorité du Conseil est hostile à cette indépendance qui contredit la résolution 1244 dont le texte constitue une reconnaissance implicite de la souveraineté serbe sur ce territoire.
La Russie joue clairement cette arme du droit international en l’accompagnant de discours fermes sur le cas de provinces sécessionnistes du Caucase (Géorgie visée), de la Transnistrie modalve. Elle signale, enfin, aux européens les importants contrats énergétiques conclus avec la Bulgarie, la Serbie et demain la Macédoine.
Les Etats-Unis qui, depuis deux années, considéraient l’indépendance du Kosovo comme inévitable rappelle aux Européens que l’OTAN via la KFOR y assure la sécurité militaire.
Au-dessus des têtes serbes et kosovars Moscou et Washington poursuivent leur bras de fer tout tranquillement et s’amusent de voir ces braves européens se disputer autour d’une question pour laquelle leur voix est, apparemment, de pure comédie. L’Union n’a effectivement ni le pouvoir militaire (OTAN), ni la force du droit (Conseil de sécurité), il lui reste l’obligation de signer des chèques pour assurer les fins de mois du nouvel état. Dans tous les cas de figure, c’est bel et bien l’Europe qui subira les conséquences les plus dommageables. Remarquons, par exemple, sa politique de gribouille envers la Russie et la question énergétique, tout comme ses vaines espérances d’Europe de la Défense une fois les Etats-Unis convaincus de la pérennité de l’OTAN !
Mais au-delà, l’Union prend de plein fouet la question des minorités. Le président du conseil espagnol Zapatero souhaitait que cette indépendance de fait se fasse après les élections législatives de mars 2008. Les revendications basque et catalane sont deux boulets en Ibérie. Si les Basques via l’ETA agissent par la force, les Catalans eux attendent patiemment l’existence légale et reconnue par les Etats européens du Kosovo pour franchir un pas de plus vers l’indépendance. D’autres cas sont latents sur le continent ainsi les Hongrois en Transylvanie roumaine. Et, par conséquent, la problématique de la frontière prend une importance considérable. Devons-nous travailler à une nouvelle définition du mot frontière ? Serons-nous un continent avec des frontières dont la base serait plus ethnique qu’historique ? Nous eûmes par le passé des réflexions autour du concept de la frontière naturelle au XVIIIe siècle (Vergennes, Talleyrand) mais cette idée s’appuyait principalement sur le résultat historique de rapports de force, politique et militaire. L’idée de frontière ethnique ne correspond absolument pas à notre mode de pensée. Elle bouleverserait tout le mode de construction de l’Etat-nation.
Le Kosovo devenant un Etat, l’Union aura la tâche de gérer la situation sociale des jeunes kosovars et leurs migrations. Leur pays n’est rien sur le plan industriel. Faute d’activité productive, ce sont les dizaines de milliers de jeunes travailleurs qui demanderont à Bruxelles un emploi. Le taux de chômage est de 60%. Le coût sera considérable. Les émeutes de mars 2004 pourraient renaître avec un degré de violence supplémentaire. Les mafias albanaises guettent cette main d’œuvre. Ainsi l’Union européenne se condamne-t-elle à assumer la prospérité d’un Etat dans une parfaite désunion. Le jour où, pour une raison X la Maison Blanche dira au Kremlin, par exemple, « je te fous la paix dans le Caucase et toi tu calmes Belgrade pour que le Kosovo soit mon champ d’expérimentation post-moderne», l’Union sera comme grosjean !
L’Union a échoué à ne pas obtenir l’autonomie du Kosovo au lieu de l’indépendance.


©Jean Vinatier 2008

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Liens :

Jean-Arnault Derens :
http://balkans.courriers.info/
Kosovo : la boîte de Pandore des frontières balkaniques http://www.monde-diplomatique.fr/2008/01/DERENS/15479


Sources in Seriatim :

Kosovo : http://seriatim1.blogspot.com/2007/09/kosovo-un-millefeuille-dans-les-balkans.html
Serbie : http://seriatim1.blogspot.com/2008/02/serbie-pyrrhus-victorieux.html
Europe: http://seriatim1.blogspot.com/2008/01/prsident-de-lunion-ni-de-droite-ni-de.html

vendredi 15 février 2008

Sarkozy et les enfants de mémoire N°141 - 1ere année

Devant le CRIF, Nicolas Sarkozy, entouré de François Fillon et de vingt ministres « a [….] annoncé son souhait de voir confier à chaque élève de CM2 la mémoire de l'un des 11000 enfants français victimes de la Shoah, à la rentrée 2008, dans le cadre de la lutte contre l'antisémitisme. »¹
« Rien n'est plus émouvant » ajoute-t-il « pour un enfant que l'histoire d'un enfant de son âge, qui avait les mêmes jeux, les mêmes joies et les mêmes espérances que lui ».
Imparable et presque indécent de s’y opposer !
En sus d’un emploi du temps chargé, les écoliers français auront donc le devoir de se connecter avec la mémoire d’un enfant disparu dans les camps nazis. Des syndicats d’enseignants et un grand nombre de personnalités dont Simone Veil se sont élevés avec force contre ce discours
. «C’est inimaginable –dit-elle- insoutenable, dramatique et, surtout, injuste. On ne peut pas infliger cela à des petits de dix ans! On ne peut pas demander à un enfant de s’identifier à un enfant mort. Cette mémoire est beaucoup trop lourde à porter. Nous-mêmes, anciens déportés, avons eu beaucoup de difficultés, après la guerre, à parler de ce que nous avions vécu, même avec nos proches. Et, aujourd’hui encore, nous essayons d’épargner nos enfants et nos petits-enfants. Par ailleurs, beaucoup d’enseignants parlent -très bien- de ces sujets à l’école»²
Le bon sens s’insurge contre cette proposition présidentielle qui a un côté morbide et tend aussi à établir un lien sinistre entre la France et l’Allemagne nazie ; avons-nous été le terreau de cette idéologie monstrueuse ? Nous avons été une des victimes.
Une fois encore le discours présidentiel tente de créer le désordre parmi les Français jusque dans les salles de classes. L’usage fait ici de la mémoire combat l’enseignement de l’Histoire de préparer les jeunes élèves à bâtir un avenir où l’indifférence à l’autre serait moindre. « Peut-on prendre une tragédie par la main ? », pour reprendre le beau titre de l’article de Nicolas Domenach paru ce matin, sur Marianne.fr³ eh bien non, il faudrait les prendre toutes. Une tragédie passée est entre les mains de l’Histoire collective. Une tragédie contemporaine, elle, est dans nos consciences et ce quel que soit notre âge. Et des drames, nous en voyons tous les jours, de toutes natures.
Le texte a-t-il été réfléchi ou bien rédigé entre deux résultats de sondages défavorables ? On pencherait pour une précipitation si la tendance générale de ce quinquennat à travers tous les discours présentés comme fondamentaux ne cherchent pas à susciter le trouble dans notre nation. Ce soin pris à toujours nous émouvoir pour nous capter inquiète par ondulation l’ensemble de la société française. Au fil des discours attiserait-on les antagonismes religieux ou pas ?
La France est forte, unie.
Laissons à Robert Solé le mot de la fin :

" Smaïn, est-ce que tu as des devoirs à faire pour demain ?
- Oui, papa, j'ai un devoir de mémoire.
- Ne dis pas de bêtises et montre-moi ton cahier de textes. Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui en classe ?
- J'ai adopté un enfant juif, papa.
- Quoi !
- Mais oui, j'te jure.
- Apporte ton cahier et arrête de dire n'importe quoi. On ne joue pas avec ces choses-là.
- Mais j'te jure, papa...
- Smaïn, tais-toi ou tu vas m'entendre !
- Mais j'te jure sur la tête de maman, papa, que j'ai adopté un enfant juif ! Même qu'il est mort et que je connais son nom.
- Fadila ! Fadila ! viens chercher ton fils. Ote-le de ma vue, fais-le disparaître...
- Quoi ? Tu pleures, Smaïn ? Allons, allons ! Tiens, prends mon mouchoir. Laisse les morts en paix, mon fils. Nous avons déjà tant de mal à adopter les vivants..." 4


©Jean Vinatier 2008

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jeudi 14 février 2008

Michael Jackson N°140 - 1ere année

Michael Jackson is back ! La réédition de Thriller (sorti en 1982,vendu à 104 millions d’exemplaires) et la sortie du livre de la journaliste américaine, Aphrodite Jones, Conspiracy qui narre son procès, suscitent de très nombreux articles et reportages. D’après le site Hits Daily Double, Thriller est déjà en tête des charts toutes les catégories confondues aux USA. Notez bien : il n’a fait, ni clip, ni promo, ni prestation !
Pourtant, les médias s’aveuglent. Ils répètent à l’envi son exil, sa ruine avec un empressement qui rappelle fâcheusement tous les racontars pendant son procès qui aurait dû en faire un pédophile idéal. On ne vérifie rien, on vitupère, on éructe, on dénonce. Or, Michael Jackson tient le coup et il n’est toujours pas sur la paille. Mais que lui reproche-t-on ? D’être noir, de vouloir devenir blanc, d’avoir pulvérisé les ventes de disques, de CD (entre 750 millions et plus de 800 millions), d’avoir fait, le premier, d’un clip un show ?
L’attitude envers Michael Jackson varie selon que l’on se trouve aux Etats-Unis ou dans le reste du monde.
Sur son sol natal, Bambi, affronte le racisme effectif de groupes religieux et racistes. N’oublions pas l’époque. L’égalité des droits civiques date de 1965, le Ku Klux Klan sème la terreur dans le sud comme le montre le film d’Alan Parker,
Mississipi burning. La réussite d’un noir agace, déplait. Manque de bol, voilà que le groupe Jackson (Jackson Brothers, Jackson Five puis The Jacksons) surgit à la télévision dans cette décennie avec un succès sans précédant. Un des siens de détache, c’est Michael. Frédéric Taddeï le dit très nettement : « L'importance de Thriller se situe bien plus sur le plan sociologique et historique: pour la première fois, un noir va vendre plus de disques que les blancs... Et c'est Michael Jackson qui réalise cela. Les noirs ont créé toute la musique du 20ème siècle : le jazz, puis le rock, le rap et même la musique électronique. Mais à chaque fois, ce sont les blancs qui l'ont commercialisée et exploitée. Ce sont les blancs qui ont fait de grands succès avec la musique noire : Presley a été choisi car il avait une voix de noir et qu'il était blanc, et - donc - pouvait vendre des disques [aux blancs].Jackson est le premier à renverser la tendance, et on va le lui faire payer. Tous les procès qu'il va subir, dans tous les sens du terme, correspondent à une véritable vengeance des blancs contre ce noir. Je ne livre pas là une vision paranoïaque, je peux faire un parallèle avec Cassius Clay (A/K/A Mohamed Ali), premier noir champion du monde de boxe (et depuis lui plus un blanc n'a été champion des lourds). Clay lui aussi a subi des procès et a même connu la vraie prison suite à son insoumission à la guerre du Viet-Nam. »¹
Hors les Etats-Unis, Michael Jackson connaît le triomphe jamais égalé simplement pour ce qu’il est, un chanteur, un compositeur, un danseur de génie.
Mais, au-delà, que sait-on sur cette superstar ? On cherche dans son répertoire des thèmes politiques, sociaux et, quelques-uns feignent d’en trouver. Des thèses lui sont consacrées à Harvard, Columbia. Il est donc un sujet de recherche. Est-il pour autant un artiste engagé ? Qu’est-ce qui fait sa singularité ? Son physique ? Son élocution ? Son souci d’être avec les enfants ?Bref qu’est-ce qui émane de lui ?
C’est un homme équilibré, intelligent, nullement naïf, conscient de sa force et de l’hostilité du monde. Il préserve en lui, une pureté des premiers jours, ceux de l’enfance. L’enfance est un monde magique, de découvertes et de curiosités simples, naturelles sans calculs. Nous sommes tous plus ou moins sensibles à l’enfant qui reste en nous. Nous aimons à le retrouver dans les arts, l’écriture, la danse, la chanson où existent une intemporalité. Michael Jackson déclenche la sympathie des enfants par le simple regard et ces derniers l’acceptent comme tel. Cette simplicité constitue pour ses détracteurs aux intérêts sonnants et trébuchants une aubaine facile à transformer en drame contre lui. Si seulement sa pédophilie avait été reconnue, Michael Jackson leur vendrait le catalogue des Beatles! Et bien, non, la conspiration n’a pas abouti. En juin 2005, le tribunal l’a reconnu innocent de tous les chefs d’inculpation. La réédition emblématique de Thriller (roman policier) est sa réponse aux calomniateurs qui ne présage absolument pas un retour sur scène. Là encore, les différents commentateurs affûtent leurs dards pour le blesser. Mais Bambi sait être rusé avec tous les chasseurs de prime sur son chemin. Il est au sommet depuis tant d’années, il n’a plus rien à prouver ou à perfectionner. Le public le sait très bien et lit avec ironie tous les mensonges, toutes les invraisemblances colportés par des médias avides qui se font tant d’argent sur son nom. Aphrodite Jones (Conspiracy) l’a bien noté : Michael Jackson devait être détruit, démoli, déconstruit, un point c’est tout. Or, le faon court toujours dans sa forêt magique.


©Jean Vinatier 2008

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mercredi 13 février 2008

USA, les élections singulières, II N°139 - 1ere année

Rien n’est encore joué ! Le nombre des candidats dans les deux camps diminue logiquement et la campagne gagne en intensité. Du côté démocrate, la compétition Clinton/Obama ne ralentit pas ; du côté républicain, la lutte McCain/Huckabee promet aussi quelques surprises.
Il est exact que nous nous trouvons devant l’habituelle procédure du parti unique avec ses deux branches, l’omniprésence de l’argent, ses candidats différents et adversaires par leurs ambitions mais proches par leurs programmes, lesquels restent dans les normes autorisées, du système en cours. Mais au-delà ?
Ne se déroule-t-il pas quelque chose d’inhabituel dans le cours de cette campagne présidentielle ? Le système ne se trouve-t-il pas confronté à des situations imprévues où il ne contrôle plus tout à fait l’ensemble des choses ? En un mot, le système américain peut-il imploser comme implosa, par exemple, l’URSS ?
L’accélération de la division politique de la société américaine consécutive à une présidence Bush qui a radicalisé cette société dans tous les sens, n’est-elle pas en train de s’inscrire dans le processus électoral ? Jusqu’à présent le consensus était la norme. Chaque jour qui passe n’accentue-t-il pas la probabilité que le (la) Président(e) qui sortira de cette bagarre sera un(e) élu(e) à la légitimité faible, et qui portera ce poids dès sa prestation de serment ?
Et l’événement formidable ne tiendrait-il pas, justement, dans ceci que le nouveau chef de l’Etat loin de rompre avec son prédécesseur le continuerait avec toutes les conséquences aggravantes ? Le système politique au lieu de retrouver son assise, son équilibre se déferait davantage . On voit bien dans cette campagne, qui n’est pas encore à mi-chemin, la montée, en quelque sorte, vers les extrêmes. A l’intérieur des deux partis, les discours de rassemblement se font ou se dirigent vers une radicalisation. Les candidats s’y contraignent par une surenchère sous la pression des électeurs.
Les joutes entre Hillary et Barak Obama sont assez symptomatiques. Elles le sont aussi du côté républicain entre McCain et Huckabee. Nous ne sommes plus dans le combat politique ordinaire et classique. L’idéologie –si l’on peut employer ce terme- néo-conservatrice, a pénétré en profondeur toute la société politique. Et ce néo-conservatisme tirant, en partie, sa substance « historique » du parti agrairien, nostalgique du Sud, il fait remonter avec une force puissante toutes les singularités américaines dans lesquelles les religions pratiquées retrouvent une soudaine vigueur. A cette observation, on ajoute, immédiatement, que l’importante question posée par Huntington , Who are we ? s’agrége dans tous les détails des discours de cette campagne. Les hispaniques, les indiens, les asiatiques mais aussi les noirs, les blancs sont dans une évolution qui les conduisent vers une révolte contre les fondamentaux du système politique institué en 1776.
Les huit années de la présidence Bush auront-elles été une tentative désespérée pour maintenir le système en place ou bien seulement l’accélération inévitable de sa déconstruction ? Voilà ce que l’on se risque à observer , aujourd’hui, depuis la France toute aussi interrogative.

©Jean Vinatier 2008
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Liens:

http://seriatim1.blogspot.com/2008/01/usa-les-lections-singulires.html

Roland Hureaux, un portrait autour de Barak Obama :
http://www.marianne2.fr/Obama,-un-blanc-deguise-en-noir_a83684.html?PHPSESSID=69e6065de199642a2524958c6134999d

mardi 12 février 2008

La Renommée voit par elle-même…. N°138 - 1ere année

Athènes et Rome n’ignoraient rien du « connecting people », d’Internet, des « mass medias » ! Ovide nous le dit dans Les Métamorphoses, c’était la Renommée :
« Il est au milieu de l’univers, entre la terre, la mer et les régions célestes, sur les limites de ces trois mondes, un lieu d’où l’on voit tout ce qui se passe dans tous les pays, même les plus éloignés, et où toutes les voix pénètrent dans les oreilles prêtes à les recevoir. C’est là qu’habite la Renommée. Elle a choisi, pour y établir sa résidence, un sommet élevé ; elle a fait percer autour de sa demeure des avenues innombrables, mille ouvertures diverses ; mais il n’y a qu’une seule porte pour en fermer l’accès ; nuit et jour cette demeure est ouverte. Elle est tout entière d’un bronze sonore ; tout entière elle vibre, elle renvoie les paroles et répète ce qu’elle entend. A l’intérieur pas un coin où règnent le calme et le silence. Pourtant ce ne sont point des cris, mais de sourds murmures, semblables à ceux de la mer, entendus de loin, ou aux derniers grondements que produit le tonnerre, lorsque Jupiter a entrechoqué les sombres nuages. Toute une foule se presse dans l’atrium ; un peuple léger y va et vient ; mille fausses nouvelles y circulent en tous sens, mêlées aux vraies, et on entend rouler des paroles confuses. Parmi ces rumeurs les unes remplissent de leurs récits les oreilles des oisifs, les autres colportent ailleurs ce qui se dit ; les mensonges vont en croissant et tout conteur nouveau qui garantit la vérité de ce qu’il a appris y ajoute quelque chose. Là résident la Crédulité, l’Erreur téméraire, la Fausse Joie, la Terreur à l’air consterné, la Sédition prompte à se déchaîner, les Chuchotements d’origine douteuse. La Renommée voit par elle-même tout ce qui s’accomplit dans le ciel, dans la mer et sur la terre ; elle surveille le monde entier. »¹

©Jean Vinatier 2008

Note :

1- in Ovide, Les Métamorphoses, XII, 43-69, Paris, Gallimard, Folio classique, 1992, pp. 382-383.

lundi 11 février 2008

Afghanistan : 700 parachutistes français à Kandahar ? N°137 - 1ere année

A Vilnius la réunion des ministres de la Défense de l’OTAN, les 7 et 8 février, consacrait ses séances à la situation en Afghanistan, précisément avec la demande de l’OTAN (des chefs de l’ISAF) d’un renfort de 7.500 hommes pour tenter de contrôler la situation dans le sud du pays :
« Les membres de l'OTAN ont indiqué qu'ils tenteraient de trouver une issue à cette crise d'ici le prochain sommet de l'OTAN, les 2 et 4 avril à Bucarest, en Roumanie, où un certain nombre d'annonces, notamment françaises, devraient être effectuées sur le dossier afghan. » Et juste avant cette réunion «Le chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, s'est entretenu sur ce sujet par téléphone, le 5 février, avec le Premier ministre canadien, Stephen Harper. A Vilnius, le ministre français de la défense, Hervé Morin, a démenti une information diffusée par les médias canadiens selon lesquels Paris dépêcherait 700 parachutistes à Kandahar. Il a néanmoins confirmé que la France allait apporter son aide.» ¹ Le Times magazine balayait le propos du ministre français² et prenait pour acquis le renfort en bérets rouges.
A Munich les 8 et 10 février lors du séminaire de la Conférence annuelle sur la sécurité internationale, le secrétaire d’état américain à la Défense, Robert Gates, a répété l’extrême nécessité de l’envoi de renforts dans le sud afghan.

La fin de l’hiver échauffe considérablement les esprits occidentaux et américains au regard de la reprise des offensives des talibans prévues aux premiers jours du printemps.
La résignation des Etats membres de l’OTAN et de l’ISAF s’ajoute à une sourde colère contre l’extension du champ miliaire en Afghanistan. On évoque, même, une prolongation des offensives sur le territoire pakistanais. « Il y a désormais une inquiétude sur le niveau de pénétration d’Al Qaida, à l’intérieur du Pakistan [...] Donc le Pentagone est extrêmement préoccupé à ce sujet. » rapportait en janvier dernier le chef d’état major de l’armée américaine l’amiral Michael Mullen. Le hic serait d’entrer en guerre contre les Pachtounes installés au sud-est de l’Afghanistan et au nord-ouest du Pakistan. Ils forment l’ethnie la plus importante et sont de confession sunnite.
Le discours ironique de Robert Gates qui faisait la séparation entre les Etats qui acceptaient d’envoyer un corps militaire dans des régions calmes ou presque et ceux qui plaçaient leur contingent national dans les zones dangereuses a, prodigieusement, agacé le gouvernement allemand. Ce dernier ne voit pas l’intérêt d’ajouter d’autres soldats. Les gouvernements canadien et britannique indiquent leurs capacités atteintes. Le choix semble-t-il retenu par Nicolas Sarkozy de porter nos soldats à un plus grand nombre dans le sud afghan (et demain pakistanais ?) tient à une ambition singulière : peser davantage dans l’OTAN ! Si l’Elysée pense, un seul instant, recevoir une récompense depuis Washington, la déception risque d’être considérable.
Quel serait l’intérêt de grandir une force armée étrangère dans un pays sans autorité centrale ? Aucune. Quel intérêt d’apporter notre soutien à une stratégie américaine dans ses desseins de déstabilisation et de « containment » de la Chine ? On le cherche. Les talibans sont partout et nulle part. De temps en temps, une dépêche nous annonce quelques dizaines de tués parmi eux avant que le silence ne retombe. Le taliban serait-il un prétexte ? Il est en tout cas de plus en plus mystérieux.
Le souci politique de l’Elysée d’entrer le plus complètement possible dans le discours américain contredit largement tout le discours du Président dimanche soir. Nicolas Sarkozy y plaidait avec vigueur pour une défense européenne indépendante. L’envoi de 700 parachutistes (unités d’élite) français dans la région de Kandahar est de la part de Paris un signal fort en direction du Pentagone. Si 87 soldats anglais sont tombés en Afghanistan, 13 français y ont laissé la vie en l’espace de quelques mois. C’est cher. La position française effraie par son imprudence et son souci de complaire sans être en mesure d’obtenir aucun avantage décisif.³
Le soutien apporté à l’OTAN, organisation militaire fragilisée depuis que les nouveaux membres, les pays de l’Europe de l’Est, passé l’enthousiasme freinent des deux pieds, ne participe pas à un regard neuf de notre part. A la vérité, tous les gouvernements européens murmurent que l’OTAN n’est plus une structure moderne mais tous craignent de franchir le Rubicon pour forger une défense européenne dégagée de cette organisation née en 1954.
On ferait bien de relire le très intéressant article de Paul-Marie de La Gorce paru dans Le Monde diplomatique en décembre 2002 dans lequel il indiquait ce qui suit
: « Dans la stratégie américaine trois cadres différents se superposent partiellement : la politique définie après la guerre froide pour empêcher la résurgence de toute puissance rivale analogue à ce que fut l’Union soviétique, et qui visait d’abord l’affaiblissement de la Russie ; la lutte globale contre le terrorisme, les Etats qui le soutiennent, mais aussi ceux qui ont décidé d’acquérir des armes de destruction massive ou s’en sont déjà dotés ; et la guerre engagée le 7 octobre 2001 contre l’Afghanistan avec ses rebondissements et ses prolongements. Pour une large part, les trois cadres coïncident avec l’espace géographique compris entre les mondes chinois, indien, slave et arabe, et que recouvre pour les experts américains le concept de « sud-ouest asiatique. »
Et de conclure, quelle serait donc la légitimité de l’engagement de nos forces d’une part et de celui de l’Union européenne dans ce sud-ouest asiatique made in US aussi peu en liaison avec notre histoire ? Une prophétie du XVe siècle ne dit-elle pas qu’entre Kandahar et Farâh (provinces du sud-est et du sud-ouest afghan) « se trouvait le lieu de la future bataille où doit se décider le sort de l’Asie » ?


©Jean Vinatier 2008

Notes :

ISAF ou FIAS (en français, Force Internationale d’Assistance et de Sécurité) créée en décembre 2001 par les Nations Unies pour sécuriser la région autour de Kaboul. Depuis cette date, la mission n’a cessé de s’étendre à l’ensemble du territoire afghan. Depuis octobre 2002, l’OTAN est présente en Afghanistan.
Quarante pays participent à cette force mais, seulement 20 y ont des troupes. La force est passée progressivement de 16 000 hommes à 43250 hommes. Les contingents, américain (15 000 hommes) et anglais (8000 hommes) sont les plus nombreux.

samedi 9 février 2008

Répondre aux commentaires N°136 - 1ere année

A toutes et tous, bonjour,

Certains de vos commentaires arrivent sur Seriatim avec l’adresse suivante :
noreply-comment@blogger.com. Cette adresse m’empêche de vous répondre. Je pense que Google tient à obliger les Internautes à utiliser une adresse Gmail.
A ceux qui n’ont pas un compte Gmail je vous demande de bien vouloir m’écrire à
jv3@free.fr

Merci et bon week-end,
Jean Vinatier

vendredi 8 février 2008

Etienne de La Boétie : « La servitude volontaire » N°135 - 1ere année

" Tout pouvoir ne vit que de ceux qui s’y résignent. " Tel serait l’axiome principal de La servitude volontaire rédigée par La Boétie âgé alors de 16 ans ou de 18 ans et publiée une première fois en 1576.
Qui est-il ? Né à Sarlat en 1530 dans la bonne bourgeoisie cultivée, érudite ; il meurt à 33 ans, victime de la peste. La France de La Boétie et de Montaigne, son ami, son compagnon, est plongée dans les guerres de religion et la Renaissance. Guerres et découvertes de terres inconnues. Le temps des troubles !
La servitude volontaire est un réquisitoire contre la tyrannie d’un seul et non, a priori, contre l’Etat regardé comme « un sage instrument de mesure ». La Boétie se veut un apôtre de la justice exercée dans l’indépendance du jugement avec la raison pour critère unique. Il pense également que plusieurs religions ne nuisent pas à la cohésion de l’Etat. Il rejoint, par exemple, les opinions de ses contemporains tels Michel de l’Hospital, Etienne Pasquier.¹
L’édit royal de janvier 1562² prône la tolérance. Mais le 1er avril suivant le massacre, à Wassy, de protestants en prières par une troupe de catholiques menés par François de Guise, fait basculer le royaume dans les violences des guerres de religion jusqu’à l’édit de Nantes signé par Henri IV.
Quelle est donc la modernité de l’écrit de La Boétie ? Il est conscient que si le monde ne peut fonctionner sans maîtres, le peuple doit savoir sortir de sa servitude contre le tyran.
Le maître mot de La Boétie comme pour ses pairs et ceux du siècle suivant, c’est le refus de la tyrannie et plus exactement du soupçon de tyrannie. Rappelons-nous les événements de la Fronde (1648-1653) et la révolution anglaise contre Charles Ier Stuart.
Le XIXe siècle reprit mal la notion de tyran, de tyrannie du fait de la Révolution de 1789. Ce siècle, d’ailleurs, forma le néologisme « absolutisme » pour décrier la monarchie absolue (au sens de parfait)
En 2008, nous ne sommes pas à l’abri de la tyrannie, elle nous guette. L’extrait du texte ci-dessous n’a d’autre intention que de rappeler que la révolte contre un tyran qui asservit les hommes est le seul moyen de reconquête des libertés, un chef élu démocratiquement peut le devenir; c’est aux citoyens d’être vigilants.
« Pauvres et misérables peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien ! Vous laissez emporter devant vous le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, voler vos maisons et les dépouiller des meubles anciens et paternels ; vous vivez de sorte que vous ne vous pouvez vanter que rien soit à vous, et semblerait que, désormais, ce vous serait grand bonheur de tenir à loyer vos biens, vos familles et vos viles vies. Et tout ce dégât, ce malheur, cette ruine vous viennent non pas des ennemis, mais certes oui bien de l’ennemi : de celui que vous faites si grand qu’il est, pour lequel vous allez si courageusement à la guerre, pour la grandeur duquel vous ne refusez point de présenter à la mort vos personnes.
Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps et n’a autre chose que ce qu’a le moindre homme du grand et infini nombre de vos villes, sinon qu’il a plus que vous tous : c’est l’avantage que vous lui faites pour vous détruire. D’où a-t-il pris tant d’yeux dont il vous épie si vous ne les lui donnez ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper s’il ne les prend de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, d’où les a-t-il s’ils ne sont les vôtres ? Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous que par vous ? Comment oserait-il courir sus s’il n’avait rapport avec vous ? Que vous pourrait-il faire si vous n’étiez receleurs du larron qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue et traîtres à vous-mêmes ? Vous semez vos fruits afin qu’il en fasse le dégât ; vous meublez et remplissez vos maisons afin de fournir à, ses pillages ; vous élevez vos filles afin qu’il ait de quoi soûler sa luxure ; vous nourrissez vos enfants afin que, pour le mieux qu’il saurait faire, il les mène en ses guerres, qu’il les conduise à la boucherie, qu’il les fasse ministres de ses convoitises et exécuteurs de ses vengeances ; vous rompez à la peine vos personnes afin qu’il se puisse mignarder en ses délices et se vautrer dans ses sales et vilains plaisirs ; vous vous affaiblissez afin de le rendre plus fort et ferme à vous tenir plus courte la bride ; et, de tant d’indignités que les bêtes mêmes ou ne les sentiraient point, ou ne l’endureraient point, vous pouvez vous en délivrer si vous essayer non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire.
Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez, ni l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé la base, de son poids même s’effondrer et se rompre »³

©Jean Vinatier 2008

Notes :

1-Etienne Pasquier, Exhortation aux princes et seigneurs du conseil privé du roi pour obvier aux seditions qui occultement semblent nous menacer pour le faict de la religion, s.d
Né en 1529, mort en 1615. Avocat au Parlement de Paris puis avocat général près la Chambre des comptes.
Michel de l’Hospital, chancelier de France (1507-1573). Lire l’excellente biographie par Denis Crouzet: La sagesse et le malheur: Michel de L'Hospital, chancelier de France, Seyssel, Champ Vallon, 1998

2-L’édit de janvier 1562 est le résultat du colloque de Poissy, septembre-octobre 1561.
3-Etienne de la Boétie, La servitude volontaire, Paris, éditions Arléa, 2003, pp.17-18.
A lire l’ouvrage de Jean-Michel Delacomptée : Et qu’un seul soit l’ami, La Boétie, Paris, Gallimard, 1995.

jeudi 7 février 2008

DGSE et l’Elysée : fritures sur la ligne ? N°134 - 1ere année

Thierry Meyssan publie sur son site un long article dont le préambule est le suivant : « Une vaste campagne d’attentats islamistes aurait dû terroriser l’Europe entre le 20 et le 28 janvier. Elle a été déjouée in extremis par la DGSE française et son homologue espagnole, le CNI, sous la supervision de José Luis Rodríguez Zapatero. Mais ces attentats étaient attendus par l’OTAN pour pouvoir intervenir militairement au Pakistan ».¹
Il s’agit d’une supposition de Thierry Meyssan ; mais cette observation peut retenir l’attention sur un autre point, celui d’une discordance possible, entre quelques services internes de la DGSE et la politique extérieure menée par le nouveau Président élu, Nicolas Sarkozy. Simple hypothèse de prime abord. Les services de renseignement connaissent des rivalités, des tendances, des sensibilités en dépit du respect hiérarchique. C’est normal. L’agitation débordante du chef de l’Etat qui saute d’un point à un autre au nom de l’image pourrait-elle nuire à l’idée que ce font des officiers français de la politique extérieure de notre pays ?La politique du tout OTAN, de l’alignement sur le bellicisme washingtonien (aujourd’hui républicain, demain démocrate séduit par les idées des néo-conservateurs, ne l’oublions pas) contre Téhéran, par exemple, fournissent, certainement, la matière à la critique et à une inquiétude de la part de ces hommes de l’ombre. S’il y a accord sur les menaces qui pèsent sur le monde, les moyens de les prévenir, de les vaincre peuvent ne pas être acceptés le doigt sur le pantalon.
Certains officiers de la DGSE doivent rejoindre aussi les interrogations au sein des états-majors de notre armée laquelle quoique muette n’en pense sans doute pas moins. Nous devons y réfléchir.

©Jean Vinatier 2008

Lien :

1-
http://www.voltairenet.org/article155002.html

mercredi 6 février 2008

Enterrement à Versailles N°133 - 1ere année

Le lundi 4 février, nous étions loin, très loin de tout le tumulte qui agitait la France deux années plus tôt lors du référendum sur le projet de traité constitutionnel.
Philippe Cohen dans
Marianne donne le ton « L'affaire est entendue : l'adoption par le Congrès du Traité de Lisbonne montre que les élites ont bien intégré le «non» au référendum de 2005. Mais cela ne signifie pas pour autant que les leçons tirées soient favorables au peuple et à la démocratie. Du côté des médias, à la notable exception près de Libération et de France Inter, en nette rupture avec leur européisme béat qui avait choqué leurs lecteurs en 2005, l'affaire du référendum a été traitée avec l'indifférence et la discrétion souhaitée par le pouvoir et l'opposition désireux d'éviter tout débat. Ainsi Le Figaro du 4 mai ne traite le vote du Congrès que comme une sorte de « vote technique » et Le Monde quant à lui ne mentionne même pas le vote. »¹
Les 181 élus de la nation, de droite comme de gauche qui ont eu le courage de rappeler que le vote du peuple souverain ne pouvait être remis en cause que par lui sauvent l’honneur. Ce sont les « justes ».
Le discours de François Fillon était médiocre, convenu. Il eut des applaudissements de pure politesse. Les élus n’avaient qu’une hâte regagner Paris discrètement sans tambours ni trompettes et pour beaucoup d’entre eux poursuivre la campagne des municipales en quête, mais oui, du peuple souverain dont ils tiennent la légitimité. L’impudeur les motive ?
« On aurait pu faire mettre un genou à terre à Sarkozy. Il va gagner, pas par sa force mais par nos faiblesses. » Le propos de Jean-Luc Melenchon est exact. Il rend compte de l’occasion manquée par le parti socialiste de redevenir une opposition crédible et logique avec les principes républicains. Les disputes internes, le départ de quelques ténors socialistes dans le gouvernement Fillon achèvent de laminer la rue de Solferino. Certes, les socialistes se réjouissent de pouvoir damer le pion à des élus sarkoziens en mars ; mais c’est de la pure illusion. Leur crédibilité est réduite à zéro.
Les nonistes ne surent pas remobiliser l’opinion française : les ténors de mai 2005 se sont montrés discrets ,par exemple, Fabius, Dupont-Aignan, Villiers…etc. Il a manqué et il manque toujours cette capacité à dépasser les rangs des partis. Or, l’enjeu ne se réduit pas à l’audience de tel ou tel parti mais bel et bien au respect constitutionnel dû au peuple souverain. Nicolas Sarkozy répète à la cantonade qu’il avait averti les Français de ce vote pendant la campagne. Argument fallacieux : les Français l’ont élu sur un programme général et non sur une disposition particulière. Et lui victorieux, il devient d’abord l’élu de tous les Français et le dépositaire du choix des citoyens par voie référendaire.
Le reproche vaut également pour Ségolène Royal et François Bayrou qui font le choix de l’immédiat et de la combinaison, la première par son souci de succéder à son ex au parti socialiste, le second trahi de partout – dernièrement à Lyon – combat pour emporter la ville de Pau face à, une coalition UMP/socialiste. On se demande vraiment ce qui empêchait ces deux politiques de se joindre aux 181 élus ? C’est triste de noter la petitesse de gens incapables de distinguer la forme du fond. Les Français se désespèrent de la Politique. Les élus ont tort de hausser les épaules devant les grognements, les coups de gueule ici et là. L’orage pourrait éclater avec une violence inouïe. Les politiques voient-ils que leur étiquette respective erre, ballottée par le vent sans attache ? Même plus.
Nicolas Sarkozy emporte une victoire fragile mais comme il est pressé en tout, il mise sur l’oubli des Français pour se consacrer à la majesté de sa présidence de l’Union où les fêtes et les divertissements devront nous abrutir. Il n’est pas dit que les pays européens l’applaudissent. Il y a tout de même un grain de sable, le référendum irlandais que nul n’a osé effacer. Et si le peuple gaélique dit non….


©Jean Vinatier 2008

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mardi 5 février 2008

Soudan/Tchad , EUFOR et plus ! N°132 - 1ere année

La force opérationnelle de l’Union européenne, l’EUFOR, devrait commencer son déploiement au Tchad et à l’extrémité de la République de Centre Afrique face au Soudan. Une province longe toute la frontière, le Darfour.
Le régime du Président tchadien, Idriss Deby Itno¹, au pouvoir depuis 1990, vacille sur ses bases depuis l’offensive menée par des rebelles tchadiens installés au Soudan et conduits, notamment par deux de ses neveux, Timan et Tom Erdimi. Ils ont un point commun, l’appartenance à la même ethnie, Zaghawa, coupée en deux par la frontière tchado-soudanaise ; elle est l’une des trois ethnies du Darfour.
Sommes-nous devant une querelle opposant différents clans d’une ethnie ? Il est assez facile pour parler de l’Afrique et de ses problèmes de s’en tenir aux seules disputes inter-ethniques et inter-claniques. Elles comptent mais elles ne suffisent pas à tout expliquer.
Le Tchad naît du partage entre trois puissances européennes en 1885 (traité de Berlin) : l’Allemagne obtient la zone sud-ouest du pays pour se relier au Cameroun, Londres et Paris tracent une ligne verticale qui les sépare dans leur ambition concurrente. Les Français visaient à s’approcher au plus prés de la mer Rouge, les Anglais (et l’Egypte) se dépêchaient de garantir leur mainmise sur le Soudan.
N’Djamena et Khartoum sont dans une tension quasi-permanente depuis la fin des années 1950. La Libye qui considère le Tchad comme son arrière-cour, a occupé tout le nord de 1983 à 1987 avant de se retirer sous l’action des troupes françaises. C’est à Syrte que le 25 octobre 2007 les présidents tchadien et soudanais promettaient de ne plus soutenir des mouvements rebelles. Un mois plus tard, tout était remis à zéro.
La France a sur place la force Epervier (1200 hommes) manifestement insuffisante devant les enjeux géostratégiques et mercantiles des grandes puissances.
La France² et l’Angleterre soutiennent le régime soudanais d’Omar el Béchir arrivé au pouvoir par un coup d’état en 1989. Nombre d’entreprises françaises ont des intérêts en jeu d’où l’appui constant des différents gouvernements français.
Les Etats-Unis ont placé le Soudan sur une liste noire depuis qu’Omar el Béchir a soutenu Saddam Hussein lors de la première guerre du Golfe (1990-1991). L’engagement de Washington dans la cause du Darfour tient pour beaucoup aux richesses pétrolières et en uranium de cette province. L’Amérique s’y alarme d’une part de l’implantation chinoise³ (les Indiens arrivent également) et, d’autre part, des investissements massifs des monarchies d’Arabie dans l’ensemble des industries et des banques du pays. Les Américains (et les Anglais depuis le Somaliland) mènent, alliés avec les Ethiopiens (puissance chrétienne) une guerre contre les musulmans « d’obédience Al-Qaïda » depuis la Somalie jusqu’au Soudan. Cette partie d’Afrique est un enjeu capital pour leur contrôle des ressources énergétiques et leur lutte contre le terrorisme.
Le Tchad se situe sur cette ligne de confrontation historique liée à la pénétration arabo- musulmane depuis le VIIe siècle contre les nomades chameliers (présents du Soudan à la Mauritanie) et à la conquête de l’Afrique noire.Autrefois une guerre inter-clanique comme celle qui se produit aujourd’hui avec les Zaghawas ne retenait pas trop l’attention, elle se réglait localement. En 2008, une telle querelle se greffe sur des enjeux internationaux. Paris comprend bien son incapacité à tenir seule toute la ligne tchado-centre africraine, son bastion avancé de la Françafrique4.
L’appel à l’EUFOR en juillet 2007 par Paris et Londres permettra-t-il à la France de sauvegarder sa position géostratégique ? L’arrivée d’une force multinationale placée sur le terrain sous le commandement français agit comme une reconnaissance de fait de sa place légitime. Mais, la France s’engage aussi dans une course aux intérêts énergétiques qui l’amènent à soutenir autant Omar el béchir que Georges Bush, lesquels sont tous les deux ennemis. La conséquence de ce déploiement militaire, qui ne doit veiller qu’à la protection des réfugiés du Darfour, ne serait-elle pas d’être, demain, une avant-garde pour placer cette province soudanaise hors du champ de contrôle de Khartoum ? N’oublions pas que le Darfour est sur une ligne droite (via le Kenya) depuis la Somalie jusqu’à la Libye !
L’offensive menée par des rebelles au régime d’Idriss Deby montre au grand jour les calculs et les duplicités de grandes puissances. Les populations sont tout à fait secondaires à leurs yeux. Si l’action de « Save the Darfur » sensibilise les publics, elle a toute l’attention du Pentagone qui y voit un moyen habile de justifier a posteriori une action militaire de plus grande envergure. L’EUFOR -c’est-à-dire l’Europe- entre sur un nouveau champ de compétition du XXIe siècle sans avoir ni les moyens, ni la logistique Le gouvernement français a-t-il bien tout bien pesé pour tenir la région des Trois frontières5 ?

©Jean Vinatier 2008

Notes :

1-Idriss Déby Itno a lancé sa rébellion depuis le Darfour contre le régime d’Hissene Habré en novembre 1990. Idriss Déby bénéficie du soutien du colonel Kadhafi et du Président soudanais, Omar el Béchir et bien évidemment de la France.
Son fils, Brahim Déby, a été retrouvé mort à Courbevoie en juillet 2007. Assassinat ?

2- La France a pu ainsi « capturer » Carlos en 1994.

3- La société pétrolière soudanaise, Greater Nile Consortium compte dans son capital : la Chinese National Petroleum Corporation (CNPO) à hauteur de 40% , la PETRONAS (Malaisie) pour 30% ; la Talisman Energy (Canada) pour 25% -des investisseurs indiens ont racheté ces parts- et l’état soudanais garde 5% des parts ?

4- Le Président de la République Centre Afrique, François Bozizé, est un ami d’Idriss Déby. Les actuels rebelles tchadiens soutiennent des forces hostiles à son régime.

5- Centre Afrique, Tchad, Soudan (Darfour)

Cartes :

http://www.worldmapfinder.com/Fr/Africa/

http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:Darfur_mapfr.png

http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:Sudan_Map_Oelgas.png