En toute discrétion, le
gouvernement a envoyé les parachutistes du 17e RGP de Montauban à
Nouméa où la situation empire de semaine en semaine sur fond d’indépendantisme
et de nickel.
Depuis les accords de
Matignon-Oudinot (1988), le référendum du 6 novembre de la même année puis par les accords
de Nouméa en 1998, la France a enclenché un processus référendaire pour qu’advienne
l’indépendance de cette vaste île bien située dans le Pacifique et dont l’importance
géostratégique croit au fur et à mesure que se mettent en place les principales
puissances asiato-pacifique (par exemple, Chine et Australie).
Suite au massacre dans la
grotte d’Ouvea, le gouvernement Rocard chargea Christian Blanc d’amener les
loyalistes (Jacques Lafleur) et les indépendantistes (Jean-Marie Djibaou) à organiser
une paix des braves et poser les étapes de l’accession à l’indépendance. Lionel
Jospin en 1998 étale dans le temps les accords de 1988 sans remettre en cause, les
referenda : les deux premiers virent la défaite des indépendantistes malgré un
corps électoral organisé de façon à favoriser les seconds. Un troisième
référendum aura lieu en 2022 : un point d’orgue ?
Depuis quelques mois, la
cession de la mine de nickel de Goro est au centre de toutes les disputes. Deux
mines exploitent le nickel (et cobalt) :
-l’une au sud à Goro entre
des mains brésiliennes (Vale) qui veulent s’en défaire. Etrangement la Sofinor
n’est pas consultée pour cette cession. Selon Le Monde, une mystérieuse
société australienne, New
Century Resources
(NCR) et son actionnaire IGO sans assise financière emporte l’affaire. Etrangement,
cette usine de Goro que Vale estimait à zéro ne pouvait être vendue qu’à
la condition de trouver 1 milliard de dollars ! Etrangement encore, le
vendeur apporterait 500 millions de dollars, le gouvernement français mettrait
sur la table 300 millions de dollars de facilités financières et fiscales,
la NCR via IGO se contentant de signer un chèque de 27 millions auxquels
s’ajouteraient les 75 millions de dollars d’un fonds d’investissement
anglo-saxon, Orion Resource. Et puis patatras à la fin de l’été 2020, IGO
quitte la scène, Orion également : une ténébreuse affaire ?
-l’autre au nord la Sofinor,
autrefois propriété de la famille Lafleur, aujourd’hui entre les mains de la
province du nord indépendantiste et d’un puissant vietnamien d’André Dang Van Nha (né en 1936)
qui ambitionne de devenir l’empereur du nickel. André Dang Van Nha,
ancien ami de Jean-Marie Djibaou, soutient financièrement le mouvement kanak. Pourquoi ?
Lors de l’Indochine, les Français envoyaient des vietnamiens pour exploiter le
nickel dans des conditions pénibles. Cette jeunesse jamais oubliée a forgé ses
ambitions et le sentiment d’humiliation d’où sa sympathie, morale et financière,
envers les kanaks. Aujourd’hui, André Dang Van Nha est à la tête de Koniambo
Nickel SAS, un joint-venture entre la province du nord et Glencore-Xtrata,
le plus puissant et sulfureux empire du négoce, de la production,
l'approvisionnement, la transformation, le raffinage,
le transport,
le stockage,
le financement
et la fourniture de métaux et minéraux, produits énergétiques et produits agricoles basé à Zoug en Suisse. Puissance monopolistique,
selon Wikipédia qui cite Chris Hinde, directeur du Mining Journal
pour être peut-être devenue « l'une des rares sociétés minières capable de
fixer les prix, plutôt que de les subir ». Glencore-Xtrata « emploie
aussi les agents de change qui dans le domaine du commerce des matières
premières œuvrent dans « un monde assez secret » et « fixent
effectivement le prix de certains produits très importants » autant dire
qu’on est devant un mastodonte inconnu du grand public….Ajoutons que la fusion Glencore-Xtrata
de 2013 eut l’accord, notamment de Vladimir Poutine, de la Chine (en échange de mines
péruviennes par un acquéreur validé par Pékin) et du Qatar, actionnaire majeur
aujourd’hui encore, via Tony Blair.
D’où vient Glencore ?
Glencore est le point culminant de la vie extraordinaire de Marc Rich
(Marcell David Reich 1934-2013) qui figurerait sans problème dans des BD, Largo
Winch, IRS, Shadow Banking, des romans de John Le Carré, de Tom Clancy avec ses
cinq nationalités (belge, américaine, israélienne, espagnole, suisse). Marc Rich
né à Anvers, débarque aux Etats-Unis, épouse une riche héritière, Eisenberg, débute
dans une maison de courtage, Philipp Bros, le prélude à une ascension
fulgurante qui le fera naviguer dans l’univers trés opaque des matières
premières et des activités portuaires. Cette puissance connait un arrêt quand
en 1983 Washington l’accuse, parmi d’autres faits, d’avoir organisé la plus
grande fraude fiscale de toute l’histoire du pays ! Débute une course
poursuite (FBI, CIA) où il évite les arrestations grâce….au Mossad. Refugié à
Zoug en Suisse : Berne refuse son extradition, au motif que l’embargo n’existe
pas…avec l’Iran que Marc Rich connait bien, passant sans problème du Shah aux
ayatollahs. C’est là qu’il fondera Glencore dont il confiera les rênes
en 2002 à son intime, Ivan Glasenberg, un sud-africain d’origine lituanienne.
Bill Clinton le graciera le dernier jour de son mandat, le 20 janvier 2001,
soulevant un scandale ! Mais voilà, l’ex-épouse de Marc Rich venait de
faire des dons importants à la future bibliothèque « Bill Clinton »,
aux campagnes politiques de Madame…..Assuré de vivre tranquillement, il mettra
sur pied sa fondation qui dit-il (sans rire) devra :« soutenir
des programmes qui promeuvent l'excellence et ont des éléments d'innovation
sociale et culturelle ainsi que de créativité pour élever la qualité de vie de
l'individu et de la société civile » et bien sur une
reconnaissance indéfectible envers le peuple juif et Israël !
On me pardonnera ce détour qui
plante le décor de la Nouvelle-Calédonie dans sa partie financière. Comme
toujours, tant dans les révolutions que dans les causes indépendantistes et
autres moments politiques (1789, 17-19 brumaire, 1917) on trouve toujours l’argent
(potentats et banquiers).
Pour revenir aux agitations sévères
en Nouvelle-Calédonie, les indépendantistes qui viennent de faire chuter le
gouvernement local mais sans s’entendre sur le nom d’un président, exige que la
Sofinor acquiert la mine du sud où sont majoritairement les loyalistes…Barrages,
manifestations le ton est monté mettant Paris dans l’embarras. Emmanuel Macron
a hérité d’un dossier où il apparait, une fois de plus, que la France a été incapable
de voir plus loin que le bout de son nez. En négociant avec les kanaks, pas une
seule fois on n’envisagea de faire de la Nouvelle-Calédonie un Etat-associé qui
garantirait, notamment, aux kanaks, de n’être pas broyés entre la Chine, l’Australie
et les Etats-Unis, de contrebalancer la toute-puissance de Glencore
caché derrière Koniambo Nickel SAS d’André Dang Van Nha ? C’est peut-être ce qui fait que l’Elysée répugne
à céder la mine de Goro ! Qu’est-ce qui a fait partir la NCR/IGO/Orion ?
Mais sommes-nous de taille à résister à un tel mastodonte qui a, par devers lui…l’appui
chinois ? C’est donc une bataille autant minière que géopolitique qui se
joue, comme le faux talbin, dans le feutré….
Sauf erreur de ma part, où
est donc la France dans le récent accord de libre-échange asiato-pacifique
préparé par la Chine et où figurent, en plus du Vietnam, l’Australie, la
Nouvelle-Zélande ? Le Premier ministre britannique, Boris Johnson s’active
pour en être : et nous ? La France dispose du second espace maritime dans
le Pacifique juste derrière les Etats-Unis : qu’en faisons-nous ?
Bien sûr l’Union européenne est à un million de lieues de s’intéresser au
Pacifique et ne nous soutient donc pas….Emmanuel Macron disait que tout dérapage
au Sahel aurait des conséquences en Europe mais toute explosion calédonienne ne
serait pas, non plus, sans effet chez nous. Emmanuel Macron a hérité d’un
dossier bâclé et sans vue autre que celle électorale, comment remettre le navire
calédonien sur les rails ? Oui la Calédonie, c’est pas nickel chrome !
Jean
Vinatier
Seriatim 2021