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jeudi 25 février 2021

Nouvelle-Calédonie : c’est pas nickel chrome ! N°5609 15e année

En toute discrétion, le gouvernement a envoyé les parachutistes du 17e RGP de Montauban à Nouméa où la situation empire de semaine en semaine sur fond d’indépendantisme et de nickel.

Depuis les accords de Matignon-Oudinot (1988), le référendum du  6 novembre de la même année puis par les accords de Nouméa en 1998, la France a enclenché un processus référendaire pour qu’advienne l’indépendance de cette vaste île bien située dans le Pacifique et dont l’importance géostratégique croit au fur et à mesure que se mettent en place les principales puissances asiato-pacifique (par exemple, Chine et Australie).

Suite au massacre dans la grotte d’Ouvea, le gouvernement Rocard chargea Christian Blanc d’amener les loyalistes (Jacques Lafleur) et les indépendantistes (Jean-Marie Djibaou) à organiser une paix des braves et poser les étapes de l’accession à l’indépendance. Lionel Jospin en 1998 étale dans le temps les accords de 1988 sans remettre en cause, les referenda : les deux premiers virent la défaite des indépendantistes malgré un corps électoral organisé de façon à favoriser les seconds. Un troisième référendum aura lieu en 2022 : un point d’orgue ?

Depuis quelques mois, la cession de la mine de nickel de Goro est au centre de toutes les disputes. Deux mines exploitent le nickel (et cobalt) :

-l’une au sud à Goro entre des mains brésiliennes (Vale) qui veulent s’en défaire. Etrangement la Sofinor n’est pas consultée pour cette cession. Selon Le Monde, une mystérieuse société australienne, New Century Resources (NCR) et son actionnaire IGO sans assise financière emporte l’affaire. Etrangement, cette usine de Goro que Vale estimait à zéro ne pouvait être vendue qu’à la condition de trouver 1 milliard de dollars ! Etrangement encore, le vendeur apporterait 500 millions de dollars, le gouvernement français mettrait sur la table 300 millions de dollars de facilités financières et fiscales, la NCR via IGO se contentant de signer un chèque de 27 millions auxquels s’ajouteraient les 75 millions de dollars d’un fonds d’investissement anglo-saxon, Orion Resource. Et puis patatras à la fin de l’été 2020, IGO quitte la scène, Orion également : une ténébreuse affaire ?

-l’autre au nord la Sofinor, autrefois propriété de la famille Lafleur, aujourd’hui entre les mains de la province du nord indépendantiste et d’un puissant vietnamien d’André Dang Van Nha (né en 1936) qui ambitionne de devenir l’empereur du nickel. André Dang Van Nha, ancien ami de Jean-Marie Djibaou, soutient financièrement le mouvement kanak. Pourquoi ? Lors de l’Indochine, les Français envoyaient des vietnamiens pour exploiter le nickel dans des conditions pénibles. Cette jeunesse jamais oubliée a forgé ses ambitions et le sentiment d’humiliation d’où sa sympathie, morale et financière, envers les kanaks. Aujourd’hui, André Dang Van Nha est à la tête de Koniambo Nickel SAS, un joint-venture entre la province du nord et Glencore-Xtrata, le plus puissant et sulfureux empire du négoce,  de la production, l'approvisionnement, la transformation, le raffinage, le transport, le stockage, le financement et la fourniture de métaux et minéraux, produits énergétiques et produits agricoles  basé à Zoug en Suisse. Puissance monopolistique, selon Wikipédia qui cite Chris Hinde, directeur du  Mining Journal  pour être peut-être devenue « l'une des rares sociétés minières capable de fixer les prix, plutôt que de les subir ». Glencore-Xtrata « emploie aussi les agents de change qui dans le domaine du commerce des matières premières œuvrent dans « un monde assez secret » et « fixent effectivement le prix de certains produits très importants » autant dire qu’on est devant un mastodonte inconnu du grand public….Ajoutons que la fusion Glencore-Xtrata de 2013 eut l’accord, notamment de Vladimir Poutine, de la Chine (en échange de mines péruviennes par un acquéreur validé par Pékin) et du Qatar, actionnaire majeur aujourd’hui encore, via Tony Blair.

D’où vient Glencore ? Glencore est le point culminant de la vie extraordinaire de Marc Rich (Marcell David Reich 1934-2013) qui figurerait sans problème dans des BD, Largo Winch, IRS, Shadow Banking, des romans de John Le Carré, de Tom Clancy avec ses cinq nationalités (belge, américaine, israélienne, espagnole, suisse). Marc Rich né à Anvers, débarque aux Etats-Unis, épouse une riche héritière, Eisenberg, débute dans une maison de courtage, Philipp Bros, le prélude à une ascension fulgurante qui le fera naviguer dans l’univers trés opaque des matières premières et des activités portuaires. Cette puissance connait un arrêt quand en 1983 Washington l’accuse, parmi d’autres faits, d’avoir organisé la plus grande fraude fiscale de toute l’histoire du pays ! Débute une course poursuite (FBI, CIA) où il évite les arrestations grâce….au Mossad. Refugié à Zoug en Suisse : Berne refuse son extradition, au motif que l’embargo n’existe pas…avec l’Iran que Marc Rich connait bien, passant sans problème du Shah aux ayatollahs. C’est là qu’il fondera Glencore dont il confiera les rênes en 2002 à son intime, Ivan Glasenberg, un sud-africain d’origine lituanienne. Bill Clinton le graciera le dernier jour de son mandat, le 20 janvier 2001, soulevant un scandale ! Mais voilà, l’ex-épouse de Marc Rich venait de faire des dons importants à la future bibliothèque « Bill Clinton », aux campagnes politiques de Madame…..Assuré de vivre tranquillement, il mettra sur pied sa fondation qui dit-il (sans rire)  devra :« soutenir des programmes qui promeuvent l'excellence et ont des éléments d'innovation sociale et culturelle ainsi que de créativité pour élever la qualité de vie de l'individu et de la société civile » et bien sur une reconnaissance indéfectible envers le peuple juif et Israël !

On me pardonnera ce détour qui plante le décor de la Nouvelle-Calédonie dans sa partie financière. Comme toujours, tant dans les révolutions que dans les causes indépendantistes et autres moments politiques (1789, 17-19 brumaire, 1917) on trouve toujours l’argent (potentats et banquiers).

Pour revenir aux agitations sévères en Nouvelle-Calédonie, les indépendantistes qui viennent de faire chuter le gouvernement local mais sans s’entendre sur le nom d’un président, exige que la Sofinor acquiert la mine du sud où sont majoritairement les loyalistes…Barrages, manifestations le ton est monté mettant Paris dans l’embarras. Emmanuel Macron a hérité d’un dossier où il apparait, une fois de plus, que la France a été incapable de voir plus loin que le bout de son nez. En négociant avec les kanaks, pas une seule fois on n’envisagea de faire de la Nouvelle-Calédonie un Etat-associé qui garantirait, notamment, aux kanaks, de n’être pas broyés entre la Chine, l’Australie et les Etats-Unis, de contrebalancer la toute-puissance de Glencore caché derrière Koniambo Nickel SAS d’André Dang Van Nha ? C’est peut-être ce qui fait que l’Elysée répugne à céder la mine de Goro ! Qu’est-ce qui a fait partir la NCR/IGO/Orion ? Mais sommes-nous de taille à résister à un tel mastodonte qui a, par devers lui…l’appui chinois ? C’est donc une bataille autant minière que géopolitique qui se joue, comme le faux talbin, dans le feutré….

Sauf erreur de ma part, où est donc la France dans le récent accord de libre-échange asiato-pacifique préparé par la Chine et où figurent, en plus du Vietnam, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ? Le Premier ministre britannique, Boris Johnson s’active pour en être : et nous ? La France dispose du second espace maritime dans le Pacifique juste derrière les Etats-Unis : qu’en faisons-nous ? Bien sûr l’Union européenne est à un million de lieues de s’intéresser au Pacifique et ne nous soutient donc pas….Emmanuel Macron disait que tout dérapage au Sahel aurait des conséquences en Europe mais toute explosion calédonienne ne serait pas, non plus, sans effet chez nous. Emmanuel Macron a hérité d’un dossier bâclé et sans vue autre que celle électorale, comment remettre le navire calédonien sur les rails ? Oui la Calédonie, c’est pas nickel chrome !

 

Jean Vinatier

Seriatim 2021

 

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