Les éditions Belles Lettres ont l’excellente idée de publier des
ouvrages sur deux avocats, célèbres, renommés, Isorni et Garçon en retraçant,
notamment, leurs plus belles plaidoiries
https://www.lesbelleslettres.com/livre/4590-isorni
https://www.lesbelleslettres.com/livre/3946-maurice-garcon-proces-historiques
https://www.lesbelleslettres.com/livre/325-contre-la-censure
https://www.lesbelleslettres.com/livre/1031-journal-1939-1945
« Maurice Garçon
(1889-1967) fut l’un des plus grands avocats de son temps.
De 1912 à sa mort, il a consigné presque chaque soir les événements, petits et
grands, dont il était le témoin ou l’acteur.
Ce premier volume de son journal inédit couvre, parfois heure par heure, la
guerre, la défaite, l’Occupation et la Libération. À cinquante ans, l’avocat
est alors au sommet de son art. Dans ces chroniques, il révèle aussi des
qualités d’observation et un talent d’écriture enviables. Il y a du Albert
Londres chez Maurice Garçon. Curieux de tout, il sillonne Paris et la province,
furète, recoupe, rédige, avec le mérite constant, et rare, de s’interdire toute
réécriture : c’est un premier jet qu’on lit sur le vif. Son journal
déborde. Portraits, anecdotes, détails méconnus foisonnent. En voici un extrait »
« 17 mars [1939] – Pages 21-22.
Je suis avocat depuis un peu plus de vingt-huit ans, j’aime passionnément
ma profession et j’ai cru longtemps en elle. Il y a cinq ou six ans,
publiant un ouvrage sur la justice (1), j’ai écrit en conclusion que le
pays pouvait être fier de la sienne. Je ne l’écrirais plus aujourd’hui. À la vérité, il faut longtemps pour comprendre et
approfondir. Tant qu’on est jeune, on plaide des procès sans importance et
l’on ne voit pas d’intrigues. Il faut longtemps pour que viennent à
l’avocat les affaires graves où des intérêts capitaux sont en jeu. Quand
ces dossiers-là sont venus, il ne reste plus que du mépris pour ceux qui
jugent.
Les politiciens sont abjects. Leurs intérêts électoraux ou d’argent leur font
faire des ignominies. Pour les magistrats, c’est autre chose. La
décoration ou l’avancement en font des valets. Ils sont lâches, trembleurs
et pusillanimes. Ils ont peur de leur ombre dès que se manifeste une
intervention un peu puissante. Toutes les palinodies leur sont bonnes
lorsqu’il s’agit de flatter le pouvoir. Leur prétendue indépendance dont
ils parlent est une plaisanterie. Plus ils gravissent les échelons des
honneurs, plus ils sont serviles.
On en trouve de relativement honnêtes et à peu près indépendants dans les
petites villes lorsqu’ils ont vieilli sur place et ne nourrissent pas
d’ambition. Mais pour faire la grande carrière, il faut avoir accumulé
tant de platitudes qu’on peut dire que leur bassesse est proportionnelle à
leur élévation. Voilà pourquoi Paris est pire que tout. Pour arriver là,
il faut avoir tant de fois courbé l’échine et servi des maîtres divers
que toute moralité est absente.
Ils sont méchants d’ailleurs et passablement jaloux. Ils n’aiment pas les
avocats et se passent la langue sur les lèvres lorsque l’un d’eux
défaille. Longtemps j’ai cru à leur sympathie et je me suis efforcé de
leur éviter des erreurs. Cet état d’esprit m’est passé. Je les ai vus trop
indifférents aux malheurs injustifiés de quelques-uns que je connais pour
avoir pitié d’eux si leur destinée devient mauvaise. Tant pis pour eux, ils ont
de trop vilains caractères. […]
Ils sont d’ailleurs ingrats. Si le gouvernement change, ils se mettront au
service de celui qui tient présentement le pouvoir et jetteront
impitoyablement en prison ceux dont quinze jours avant ils léchaient
encore les bottes et auxquels ils doivent ce qu’ils sont.
C’est une considération mélancolieuse que celle à laquelle j’aboutis.
Vivre quotidiennement avec des gens qu’on méprise, passer ses jours dans
une maison sale
et respirer un air plein de miasmes, voilà pourtant ma destinée.
Quelquefois, il m’est revenu qu’on me trouve au Palais un peu distant. N’y
a-t-il pas de quoi être réservé ? Quand on vit parmi des voleurs, on
boutonne ses poches, quand on fréquente obligatoirement la canaille, le
moins qu’on puisse faire est de se méfier et se taire. »
Source :
Jean Vinatier
Seriatim 2021