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mercredi 27 octobre 2021

« Etats-Unis : un empire policier ? par Quentin Deforge N°5735 15e année

Plongée vers les sources du mal ?

Pour la Vie des idées, Quentin Deforge fait la critique de l’ouvrage de Stuart Schrader, Badges Without Borders : How Global Counterinsurgency Transformed American Policing, University of California Press.

« Dans les années 1960-1970, le gouvernement fédéral des États-Unis a déployé une même politique d’appui aux polices locales pour lutter contre les menaces insurrectionnelles à l’étranger et contre les émeutes urbaines sur le territoire national. Stuart Schrader restitue les luttes bureaucratiques qui ont donné lieu à cette politique et les circulations qu’elle a permises.

« Avec Badges Without Borders : How Global Counterinsurgency Transformed American Policing, Stuart Schrader dépasse les frontières usuelles entre politique étrangère et sécurité intérieure. Celui-ci montre qu’un même dispositif de financement, de formation et de diffusion d’expertise a permis dans les années 1960-1970 d’appuyer les polices des régimes alliés aux États-Unis et les polices des villes et des États qui faisaient face à des émeutes sur le territoire national. Stuart Schrader est professeur associé au Center for Africana Studies de l’Université Johns Hopkins à Baltimore et s’inscrit dans les « études critiques de la race et du racisme ». Pour lui, l’enjeu est de démontrer la cohérence de la politique étasunienne après 1945, de la répression des soulèvements des peuples récemment décolonisés à celle des minorités noires sur le territoire national, qui fait des États-Unis, selon son analyse, un empire presque comme les autres.

Il nous fait pour cela explorer des archives trop souvent laissées de côté : celles des politiques de développement et plus particulièrement de l’assistance dite « technique », à partir desquelles il propose un récit à deux niveaux. Celui de l’appareil d’état fédéral d’abord, où des luttes bureaucratiques entre les représentants des différentes agences ont fait que l’assistance policière s’est trouvée privilégiée par rapport à l’intervention militaire. Celui des « conseillers en sécurité publique » ensuite, qui incarnent cette assistance technique sur le terrain avec comme mot d’ordre la professionnalisation des forces de police. Un enjeu essentiel pour Schrader est de montrer que cette circulation transnationale de policiers a conduit au rapatriement sur le territoire national de techniques, de matériels, et de doctrines pensées initialement contre les menaces insurrectionnelles à l’étranger. Tout en restant dans le registre des sciences sociales, son travail contribue ainsi à documenter les fondements d’un appareil sécuritaire dont de nombreux militants demandent le démantèlement depuis le meurtre de George Floyd par un policier en 2020

Appuyer les polices locales, de Saigon à Kansas City

La thèse centrale de Schrader est la suivante : à partir des années 1950, la politique étasunienne de contre-insurrection s’est restructurée vers l’appui aux polices locales des régimes alliés, et cette politique a été répliquée sur le territoire national une décennie plus tard pour appuyer les polices des villes et des états chargées de réprimer les émeutes urbaines qui ont suivi le mouvement pour les droits civiques. L’État fédéral répondait ainsi à un même dilemme à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières : maintenir l’ordre sans avoir directement recours à la force en dehors de sa juridiction. À l’étranger, cette politique s’est cristallisée en 1962 par la création de l’Office for Public Safety (OPS) au sein de l’agence étasunienne USAID. À travers les canaux de l’aide au développement, des « conseillers en sécurité publique » sont intervenus auprès de 52 régimes alliés des États-Unis jusqu’à la fermeture du bureau en 1974 (p. 7), formant les agents, réformant les méthodes de travail et l’organisation des commissariats, et fournissant une aide matérielle. Sur le territoire national, ce dispositif a été reproduit à partir de 1965, par l’adoption du Law Enforcement Assistance Act, et a donné lieu en 1968 à la création de la Law Enforcement Assistance Administration. Ce véritable « programme fédéral d’assistance technique policière » (p. 122) a consisté en l’attribution de subventions dédiées à la formation des agents et à la modernisation des polices des villes et des états, et dans une moindre mesure à celle de leurs prisons et de leurs tribunaux.

 

 

Schrader cherche ainsi à nous convaincre de la continuité avec laquelle les États-Unis ont réprimé les mobilisations des peuples tout juste décolonisés et celles des afro-américains. Il montre, à la suite de W.E.B. Du Bois, comment la première puissance mondiale a répondu à la décolonisation en préservant le pouvoir des Occidentaux blancs sur les populations racisées, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières nationales. Pourtant, comme il le signale, les experts de la CIA identifiaient dès 1948 le décalage inéluctable entre politique étrangère et intérieure, qui consistait à appuyer la construction d’un système international postcolonial fait de gouvernements souverains et indépendants, tout en sachant que ceux-ci allaient sans doute prendre rapidement fait et cause pour les populations noires violemment réprimées aux États-Unis (p. 31). L’appui aux polices locales allait alors permettre d’éviter un recours à des interventions militaires directes comparables à celles des anciennes puissances coloniales, prolongeant le « principe structurant » de l’empire étasunien qu’est pour Schrader la « dépendance vis-à-vis de relais locaux pour gérer les atteintes à l’ordre » (p. 49).

Dans les archives de l’appareil d’État »

La suite ci-dessous :

https://laviedesidees.fr/Stuart-Schrader-Badges-Without-Borders.html

 

 

Jean Vinatier

Seriatim 2021

 

 

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