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samedi 30 octobre 2021

Maurice Garçon : 17 mars 1939 N°5741 15e année


Les éditions Belles Lettres ont l’excellente idée de publier des ouvrages sur deux avocats, célèbres, renommés, Isorni et Garçon en retraçant, notamment, leurs plus belles plaidoiries

https://www.lesbelleslettres.com/livre/4590-isorni

https://www.lesbelleslettres.com/livre/3946-maurice-garcon-proces-historiques

https://www.lesbelleslettres.com/livre/325-contre-la-censure

https://www.lesbelleslettres.com/livre/1031-journal-1939-1945

 

« Maurice Garçon (1889-1967) fut l’un des plus grands avocats de son temps.

De 1912 à sa mort, il a consigné presque chaque soir les événements, petits et grands, dont il était le témoin ou l’acteur.
Ce premier volume de son journal inédit couvre, parfois heure par heure, la guerre, la défaite, l’Occupation et la Libération. À cinquante ans, l’avocat est alors au sommet de son art. Dans ces chroniques, il révèle aussi des qualités d’observation et un talent d’écriture enviables. Il y a du Albert Londres chez Maurice Garçon. Curieux de tout, il sillonne Paris et la province, furète, recoupe, rédige, avec le mérite constant, et rare, de s’interdire toute réécriture : c’est un premier jet qu’on lit sur le vif. Son journal déborde. Portraits, anecdotes, détails méconnus foisonnent. En voici un extrait »

 

« 17 mars [1939] – Pages 21-22.
Je suis avocat depuis un peu plus de vingt-huit ans, j’aime passionnément ma profession et j’ai cru longtemps en elle. Il y a cinq ou six ans, publiant un ouvrage sur la justice (1), j’ai écrit en conclusion que le pays pouvait être fier de la sienne. Je ne l’écrirais plus aujourd’hui. À la vérité, il faut longtemps pour comprendre et approfondir. Tant qu’on est jeune, on plaide des procès sans importance et l’on ne voit pas d’intrigues. Il faut longtemps pour que viennent à l’avocat les affaires graves où des intérêts capitaux sont en jeu. Quand ces dossiers-là sont venus, il ne reste plus que du mépris pour ceux qui jugent.
Les politiciens sont abjects. Leurs intérêts électoraux ou d’argent leur font faire des ignominies. Pour les magistrats, c’est autre chose. La décoration ou l’avancement en font des valets. Ils sont lâches, trembleurs et pusillanimes. Ils ont peur de leur ombre dès que se manifeste une intervention un peu puissante. Toutes les palinodies leur sont bonnes lorsqu’il s’agit de flatter le pouvoir. Leur prétendue indépendance dont ils parlent est une plaisanterie. Plus ils gravissent les échelons des honneurs, plus ils sont serviles.
On en trouve de relativement honnêtes et à peu près indépendants dans les petites villes lorsqu’ils ont vieilli sur place et ne nourrissent pas d’ambition. Mais pour faire la grande carrière, il faut avoir accumulé tant de platitudes qu’on peut dire que leur bassesse est proportionnelle à leur élévation. Voilà pourquoi Paris est pire que tout. Pour arriver là, il faut avoir tant de fois courbé l’échine et servi des maîtres divers que toute moralité est absente.
Ils sont méchants d’ailleurs et passablement jaloux. Ils n’aiment pas les avocats et se passent la langue sur les lèvres lorsque l’un d’eux défaille. Longtemps j’ai cru à leur sympathie et je me suis efforcé de leur éviter des erreurs. Cet état d’esprit m’est passé. Je les ai vus trop indifférents aux malheurs injustifiés de quelques-uns que je connais pour avoir pitié d’eux si leur destinée devient mauvaise. Tant pis pour eux, ils ont de trop vilains caractères. […]
Ils sont d’ailleurs ingrats. Si le gouvernement change, ils se mettront au service de celui qui tient présentement le pouvoir et jetteront impitoyablement en prison ceux dont quinze jours avant ils léchaient encore les bottes et auxquels ils doivent ce qu’ils sont.
C’est une considération mélancolieuse que celle à laquelle j’aboutis. Vivre quotidiennement avec des gens qu’on méprise, passer ses jours dans une maison sale
et respirer un air plein de miasmes, voilà pourtant ma destinée.
Quelquefois, il m’est revenu qu’on me trouve au Palais un peu distant. N’y a-t-il pas de quoi être réservé ? Quand on vit parmi des voleurs, on boutonne ses poches, quand on fréquente obligatoirement la canaille, le moins qu’on puisse faire est de se méfier et se taire. »

Source :

https://lesbelleslettresblog.com/2015/05/11/maurice-garcon-journal-1939-1945-folle-traversee-des-annees-noires-de-la-france/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=Nos%20livres%20%20la%20barre&utm_medium=email

 

Jean Vinatier

Seriatim 2021

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