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mercredi 31 octobre 2007

Fonds souverains : une nouvelle arme des Etats émergents ? N°65 - 1ere année

Depuis peu les fonds souverains inquiètent certains gouvernements de Washington à Berlin. Les fonds spéculatifs et de pension sans rien perdre de leur puissance globale sont comparés favorablement par rapport aux fonds souverains.
Le monde compte une vingtaine de ces nouveaux fonds. D’où viennent-ils ? De la Chine, de la péninsule arabique, de la Libye (Lybian Investment Authority), de l’Algérie, pour la quasi-totalité. Leur surface financière est énorme. Aujourd’hui, elle est estimée à 2500 milliards de dollars. Certains banquiers avancent que leurs actifs vers 2015 atteindraient 12 à 15 mille milliards. A titre d’exemple l’Abu-Dhabi Investment Authority pèse déjà 875 milliards de dollars.
Comment se financent-ils ? D’une part des réserves de leur banque centrale respective, des réserves pour les retraites, des fonds tirés de l’exploitation des matières premières.
Nous sommes habitués aux sommes gigantesques utilisées par les fonds dits « classiques » qui bouleversent entièrement le capitalisme, ravagent des secteurs entiers de l’industrie par l’obsession du retour sur investissement, incitent aux délocalisations sans que les Etats ne leur établissent la moindre résistance. Ainsi pour les fonds établis dans le Delaware, la publication des comptes n’est-elle pas obligatoire.
Le discours estival de la chancelière Merkel contre les fonds souverains ne se comprend pas de prime abord, les Etats-Unis prennent son relais dans la protestation quand le Royaume-Uni adopte une attitude réaliste, pragmatique.
Quels sont les arguments ?En premier l’opacité des fonds souverains, le second l’absence de démocratie, le troisième leurs appétits pour les entreprises dénommées stratégiques.
Les arguments avancés représentent une part infime de la nouvelle bataille en cours. Il faut, je le crois, considérer l’aspect géopolitique.
Les fonds souverains proviennent de pays émergents ou renaissants telle la Russie qui bouleversent les rapports de force entre les pays dits riches, et ceux qui les financent aujourd'hui. Ces nouveaux Etats sur la place financière veulent rentabiliser au mieux leurs réserves monétaires en dollars au lieu de les réinvestir systématiquement en bons du Trésor US. Muriel Motte l’observe justement dans un article paru dans
Le Figaro le 27 juin dernier « C'est là toute la révolution annoncée. L'Amérique, qui n'épargne pas un sou, daigne qu'on lui prête de l'argent à bon prix pour boucler ses fins de mois difficiles. Mais ses créanciers veulent aujourd'hui devenir actionnaires. " Dans tous les cas, le passage du statut de prêteur à celui de propriétaire provoquera des réactions défensives, pas seulement aux États-Unis ", prévoit Stephen Jen, économiste de la banque Morgan Stanley, qui n'a pas oublié la levée de bouclier américaine lors de la tentative de rachat de la compagnie pétrolière Unocal par l'entreprise publique chinoise Cnooc il y a deux ans. »
Les fonds souverains misent également sur la rentabilité maximale de leurs ressources énergétiques pour gagner en puissance et établir un nouvel équilibre géopolitique. Nous assistons à la construction du monde multipolaire illustré par la donne financière. Ne négligeons pas le rôle que tiendront les diasporas (nationale, religieuse) dans la stratégie de ces fonds étatiques.
Les craintes énoncées, ici, par les Etats occidentaux sont fondées en ce sens qu’ils prennent, enfin, la mesure, du bouleversement inéluctable des relations internationales. Comment pourront-ils résister par des mesures protectionnistes en étant dépendants de cette nouvelle politique stratégique des pays émergents ? Ces derniers voulant maîtriser leur pétrole, leur gaz…etc. Détail ironique, le dollar, émis par les USA, sert leurs ambitions.
A titre d’exemple, citons la montée en puissance de la contestation politique dans les couches les plus élevées de la péninsule arabique lesquelles s’agacent de devoir toujours acquérir à la demande de Washington du matériel américain pour leur éviter de licencier, d’investir dans des bons du Trésor en dollars quand cette monnaie se déprécie ?
La suprématie du capitalisme Atlantique se termine. Le capitalisme des pays émergents se forme. Pourquoi les Etats européens ne s’arment-ils donc pas avec les outils adéquats ? Que fait l’Union européenne ? La France dispose de la Caisse des dépôts, du fond de réserve pour les retraites : quelle est sa stratégie?
Concluons provisoirement. La crainte que nous nourrissons est juste. Elle éclaire notre degré de non-puissance, renverse tous les schémas établis historiquement. Le capitalisme financier restructure le monde. Les fonds souverains ne sont qu’une expression plus moderne de la force de frappe d’un Etat. Nous appliquâmes la politique de la canonnière, nous aurons, en retour, celle de la monnaie. N’oublions pas, enfin, que tous ces Etats ont une vision du monde différente de la nôtre et que le rapport de force est de toute manière déterminant. De gigantesques batailles boursières se préparent. Que faisons-nous ?

©copyright Jean Vinatier 2007

Lien : Principaux fonds souverains http://en.wikipedia.org/wiki/Sovereign_wealth_fund

mardi 30 octobre 2007

Hermines et toques N°64 - 1ere année

Rachida Dati connaîtra son premier mouvement social le 29 novembre prochain. Les principaux syndicats appellent à la grève. La réforme de la carte judiciaire de la France amenée par petits pas et au grès des déplacements de la Garde des Sceaux soulève bien des poussières. Le but de la réforme est de rationaliser le nombre de tribunaux d’instance, le nombre des cours d’appel ne variera pas. Avant les magistrats, les avocats ont protesté. La suppression de tel ou tel tribunal impliquerait une migration de certains cabinets provinciaux. Changement d’habitudes, fin de petites « seigneuries » autant de désagréments pour des notables. La population verrait, une fois de plus, le service public s’éloigner d’elle au nom de l’efficacité. La ministre de la Justice compte, un peu, sur le ravage de l’affaire d’Outreau auprès des citoyens pour en imposer au corps des magistrats.
Depuis 1789, nous ne connaissons plus les grèves de corps des magistrats (les parlements d’Ancien Régime) lesquels jouissaient de l’indépendance et de leurs charges. Que reste-t-il en 2007 ?Les tenues vestimentaires. Ce détail n’est en rien une nostalgie. Les juges relevant de l’Etat sont par essence légalistes et fidèles au pouvoir politique quel qu’il soit et mal à l’aise pour entamer une querelle politique. Ils ne sont plus dépositaires des lois et coutumes du royaume mais en charge de faire appliquer le code, rendent la justice au nom du peuple Français.
Il est vrai que nombre de magistrats surfent, quelque peu, sur ce passé d’hermines et de toques sans se rendre compte de sa parfaite incongruité et, surtout, du manque de lisibilité pour les Français.

Les Français haussent les épaules devant les grognements des juges. Ils se moquent comme d’une guigne de cette dispute tant le juge, au sens général, garde dans l’imaginaire populaire une toute puissance pleine de morgue et de sévérité. La récente application des peines planchers remplit les prisons, encombrent les salles de justice et nombre de magistrats se plaignent, justement, de ne plus avoir le pouvoir d’interprétation. Au vu du nombre de détentions provisoires avant la promulgation de cette loi, on ne savait décidément pas que les juges tenaient à apprécier ! Assistons-nous à une prise de conscience tardive ?
Du côté de la place Vendôme, la ministre passe par-dessus les syndicats. Elle privilégie les émissions people. Pourquoi ? Outre son image (soignée et surveillée depuis l’Elysée) c’est selon son entourage le moyen de dire directement aux téléspectateurs, entre deux vedettes ou célébrités, son souci de les servir. Le procédé pour grossier n’en possède pas moins son efficacité sur le court terme. Le credo étant de rendre la justice d’abord efficace pour les victimes, Rachida Dati joue sur du velours auprès de la France profonde toujours sensible à telle ou telle grande peur.
Les syndicats sont désarmés devant de tels procédés. Le pouvoir se frotte les mains. Le public sait-il pour autant tout le contenu de la réforme de la Justice ? Certainement pas.
La rentrée judiciaire annuelle est solennelle en présence du Chef de l’Etat devant un parterre de femmes, d’hommes en robes rouges, noires, bordées d’hermines, les décorations rutilantes, toques à la main. Le Président de la République est sur un trône ou presque, les discours sont polis. La magistrature siège en corps : autrefois elle était un contre-pouvoir, aujourd’hui elle n’est que fonctionnaire. Cette cérémonie qui n’est plus que la pâle fiction du « lit de justice » souligne tout le décalage du monde judiciaire devant les Français. Il revient à la magistrature de se repenser, de se placer au XXIe siècle. Sans à écrire le bien-fondé ou non de la réforme proposée par Rachida Dati, ni à approuver la récente loi, le plus urgent reste bel et bien le travail de modernité de chacun des juges nationaux.


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lundi 29 octobre 2007

Vers la fin du traumatisme de Sèvres en Orient? N°63 - 1ere année

Les récents événements intervenus en Turquie, au Kurdistan et dans le dossier du nucléaire iranien jettent un regard plus neuf sur cette région dénommée du Moyen-Orient par les Anglais au début du XXe siècle. Si on concentre sa vue sur le Kurdistan, quatre Etats, Syrie, Perse, Turquie, Irak en ont une part. Faisons un retour sur le passé. Le traité de Sèvres en 1920 consommait la fin de l’empire Ottoman : les terres arabes placées entre les mains, anglaise et française, l’Arménie et le Kurdistan reconnus. Ce traité, jamais ratifié, a renforcé les troupes de Mustafa Kemal lesquelles continuèrent le combat pour la naissance de la Turquie moderne. Le traité de Kars en 1921 signé avec les républiques socialistes, régla la question transcaucasienne et la fin de l’Arménie souveraine. Le traité de Lausanne (1923) paraphé par les puissances victorieuses des Ottomans biffa le nom de Kurdistan. Les dispositions jamais appliquées de 1920 n’étaient plus qu’un souvenir. Mais les problèmes demeuraient entiers. Ankara réclamait, en vain en 1926, le secteur de Mossoul devant la SDN.
Quatre-vingts ans plus tard, le Kurdistan joue un rôle clef dans le nouvel équilibre oriental. Ankara et Téhéran prennent conscience de l’absurdité d’un conflit armé. Elles développent un partenariat industriel et énergétique. Ankara, Damas se rapprochent via le problème kurde. La Turquie reste prudente envers le gouvernement siégeant à Bagdad mais des deux côtés, la voie diplomatique est privilégiée. Les leaders kurdes, Barzani, Talabani, qui représentent la grande bourgeoisie montrent plus de réticence envers le PKK (Kurdes de Turquie) mais souhaitent le garder comme atout entre leurs mains.
Les Kurdes, les Turcs, les Perses, les Iraquiens, les Syriens notent l’embourbement américain, l’absence de l’Union européenne et l’action jugée positive de la Russie. Israël perd petit à petit son statut d’allié privilégié avec le gouvernement turc mais renforce ses liens avec le Kurdistan d’Irak.
Que voit-on se bâtir ? La Turquie et la Perse ont la plus ancienne frontière commune d’Orient. Elle remonte à 1639. Les deux pays ont été des forces impériales régionales après l’effondrement du califat de Bagdad au XIIIe siècle. Elles sont des forces équilibrantes. Tous les autres pays de la région contestent plus ou moins les frontières dessinées par les anglo-français en 1916. La décision du gouvernement Bush de renverser Saddam Hussein au nom de la nouvelle démocratie affiche, en 2007, sa presque défaite entre le Tigre et l’Euphrate. Celle-ci accélère la prise de conscience autant des Arabes que des Perses, des Turcs, des Kurdes. Quel est l’élément fédérateur ? L’espace vécu selon la langue commune, la religion, l’affiliation tribale est le premier auquel s’ajoute l’espace idéalisé.
La Turquie se libère d’une politique pratiquée depuis le début de la république alors qu’elle traverse une période intérieure difficile. L’armée présentée comme belliciste et fidèle à l’alliance avec Washington et Tel Aviv pousse à l’action contre les Kurdes pour masquer une évolution stratégique. Les Kurdes d’Irak entendent jouir de leur autonomie et surtout devenir une pièce maîtresse de l’équilibre entre Ankara et Téhéran. Le point capital tient dans les négociations inter-orientales totalement dégagées des autorités « occidentales et Atlantique ».
Alexandre Adler parle dans
Le Figaro "d’une ruse de l’histoire", et Uguc Kaya dans la revue Cirpes de la fin du traumatisme de Sèvres. Ces deux historiens ont raison et prennent acte du mouvement en cours. La progression silencieuse de la diplomatie russe en Orient ne soulève pas la même méfiance. Elle suit, néanmoins, une politique ambitieuse – datée du XIXe siècle - gagner les mers chaudes. Elle a ce point commun avec tous ces Etats, la volonté de l’indépendance et de la maîtrise énergétique. Pétrole, gaz, oléoduc, gazoduc, fonds souverains sont des nouveaux emblèmes pour eux tous.
Le traité de Sèvres - quoique non appliqué - a traumatisé la Turquie et par contre-coup les Arabes victimes du cynisme de Londres et de Paris. On voit bien dans ce paysage en construction l’extrême faute que constituerait une attaque contre la Perse et l’erreur d’une campagne militaire au Kurdistan. Les Etats-Unis sont la puissance qui a le plus à perdre : ses propres alliés les boudent, Turquie, Bagdad, Kurdistan. Ils sont presque dans une nasse. Un nouvel Orient se dessine-t-il?


©copyright Jean Vinatier 2007

Liens : http://www.atlas-historique.net/1914-1945/cartes/TurquieSevres.html
http://www.atlas-historique.net/1914-1945/cartes/TurquieLausanne.html
http://www.atlas-historique.net/1914-1945/cartes/EmpireOttoman1925.html






vendredi 26 octobre 2007

Trou d’air avant divorce ? N°62 - 1ere année

Le séjour chérifien du Président de la République terminé, le retour en France a l’apparence du succès. Or, l’air est frais ! Le Grenelle de l’environnement, patronné par Al Gore reçu avec éclat à l’Elysée, inaugurerait une révolution écologique. Le pouvoir se presse d’ajouter un slogan ou de dire la musique avant même d’avoir un orchestre actif. Les députés UMP grincent des dents devant les oukases présidentiels qui leur donnent publiquement l’aspect d’un parti le doigt sur la couture. Le récent échec d’une proposition de loi sur le financement des partis rédigé pour la joie exclusive des centristes ralliés à Nicolas Sarkozy dite encore loi des 30 deniers, est un signe de plus que l’atmosphère évolue péniblement dans la majorité. Les critiques opposées à l’élection d’une trentaine de députés à la proportionnelle augurent mal du futur de la commission Balladur. Et cet ancien Premier ministre devançant un changement de patron à Matignon se montre hostile à la nomination de Claude Guéant arguant du fait qu’il n’est pas un élu du suffrage universel.
Les Français voient les prix des produits de première nécessité en augmentation forte. Le chômage reste à un niveau élevé. La consommation des ménages risque de stagner ou de reculer. Les dernières manifestations des syndicats de transport furent un succès, idem pour celles des internes. La grève de la fonction publique annoncée pour le 20 novembre sera un enjeu puissant tant pour les syndicats que le gouvernement. L’affaire de la caisse noire de l’UIMM, est une marmite d’eau bouillante quand la société française écarquille les yeux sur la réalité du pouvoir qui veut se placer solidement. Les actions vendues par l’état-major d’EADS ajoutent une goutte de parfum aigre.
Dernier point, la ratification du traité simplifié décidée à Lisbonne, œuvre du Président Sarkozy, ne se fera pas sans dommages. La décision de choisir le Parlement pour dire « oui » au projet de traité constitutionnel –rejeté par référendum à 55% en 2005 – possède des risques sérieux visiblement mésestimés par l’Elysée. Valéry Giscard d’Estaing dit dans Le Figaro que les outils du traité simplifié sont les mêmes que le précédent !
La nouvelle politique étrangère du Président ne cache pas son amour pour l’empereur du Potomac en négligeant le sentiment national très critique sur la façon de gouverner qu’à ce chef de la première puissance.
En cinq mois de présidence, il serait injuste et précipité de dire totalement que Nicolas Sarkozy se plante sur tous les plans. Avec sa fébrilité, il essaie de secouer le cocotier français dans tous les sens et à tous moments. Les mécontentements des magistrats, des avocats ou les tensions dans les banlieues ne seraient pas graves si la nation comprenait la stratégie présidentielle. L’honnêteté force à écrire la difficulté à la trouver, à lui fixer un ordre de marche. Le pays a besoin de grands coups politiques c’est-à-dire des réformes décisives comme par exemple, la fin des départements, des conseils généraux, la diminution du nombre de députés, de sénateurs, la réforme de la préfectorale, de l’ENA. Ces exemples sont dits dans le désordre à la seule fin de montrer que les Français veulent, enfin, constater qu’une révolution positive s’ébranle, que les verrous sautent.
Trou d’air avant divorce ? Disons que le premier annonce souvent le second.

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jeudi 25 octobre 2007

Tadeusz Wyrwa, historien polonais N°61 - 1ere année

Les élections législatives polonaises viennent de se terminer dans le calme. Un parti succèdera à un autre. Que savons-nous de ce pays ? C’est un fait, disait Pierre Chaunu, nous ignorons la Pologne.
Il me semble intéressant de proposer la lecture d’un extrait de l’ouvrage du grand historien polonais Tadeusz Wirwa,
La pensée politique polonaise à l’époque de l’humanisme et de la Renaissance, paru en 1978. Les lignes ci-dessous ne sont pas datées, elles gardent leur modernité. C’est là que l’on mesure la qualité de l’historien lequel est, selon moi, un homme d’humanités, de prudence, de lucidité et d’espérance.

« Une période de l’histoire semble toucher à sa fin, sans manquer d’offrir une certaine analogie entre les phénomènes qui ont marqué son début et ceux qui, aujourd’hui, constituent probablement les présages d’une ère nouvelle : les Temps Modernes furent précédés de toute sorte de violence, de crise de l’autorité, bref de calamités d’ordre économique, démographique et politique, connues, en général, sous le nom de grande dépression et qui mit fin au Moyen Age. A présent, toutes proportions gardées, le monde connaît des difficultés semblables. L’homme de la Renaissance inaugurait les Temps Modernes en manifestant son ardeur pour les découvertes, ardeur qui, sur le plan géographique, aboutit aux découvertes des nouvelles parties du monde. Aujourd’hui, l’homme se lance aussi dans de grandes découvertes : celle des autres planètes, sans avoir pour autant achevé l’organisation de celle sur laquelle il vit. Toutefois, tandis que l’explorateur de l’époque de la Renaissance était inspiré par les grandes idées des humanistes, celui d’aujourd’hui ne l’est, en général, que par l’utilitarisme des technocrates, d’où le danger que court le monde.
La Renaissance, phénomène purement européen, avec ses grandes découvertes, a marqué toute une période de l’histoire universelle caractérisée par l’hégémonie perdue vers la fin de la première partie du XXe siècle. Parmi les notions, souvent contradictoires, qui ont jalonné cette période de l’histoire il y a surtout celle de la liberté. Il ne pouvait pas en être autrement, car, étant donné que l’homme de la Renaissance se proposait de conquérir et de maîtriser l’univers, et se considérer " la mesure de toutes choses ", il devait d’abord conquérir sa propre liberté afin de pouvoir ensuite réaliser librement ses exploits. C’est ainsi que parmi les idées fondamentales des humanistes priment notamment celles de la liberté et de la responsabilité de l’homme, nouveau centre de gravité du monde. Or, précisément la pensée politique en Pologne au XVIe siècle a été marquée avant tout par la liberté et par la tolérance, son corollaire.
A l’époque de la Renaissance, la Pologne se trouvait au premier rang, aux côtés des pays qui, au seuil de l’ère nouvelle, façonnaient avec génie la vie moderne. Continuellement exposée à la rivalité des intérêts des puissances occidentales et orientales, la Pologne se lança au XVIe siècle dans l’aventure d’établir chez elle la démocratie, allant jusqu’à l’outrance dans la liberté accordée à la noblesse. La leçon en bien et en mal qu’on peut en tirer est toujours actuelle, car, bien que la notion de liberté politique, dont on a constamment abusé, se soit usée au cours de cinq siècles, cette liberté est indispensable puisqu’elle contribue à " faire des citoyens, ni conformistes ni rebelles, critiques et responsables ". Les épreuves que connaît actuellement le monde confirment, si besoin en était, que "renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs " […]
L’objectif de notre livre consiste, précisément, à contribuer à la connaissance tant de la faiblesse humaine que des idées et des actes de courage des hommes de cette époque, à la fois lointaine et proche, courage dont l’homme contemporain a tellement besoin. »


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mercredi 24 octobre 2007

La mer du milieu N°60 - 1ere année

La visite d’Etat de Nicolas Sarkozy au Maroc relance l’idée d’une union méditerranéenne qu’il avait évoquée d’une manière succincte pendant la campagne présidentielle.
Avant de nous livrer aux conjectures pour mesurer l’ampleur de la tâche, il est bon de partir de l’étymologie latine pour bien voir ce qu’est la Méditerranée. Mediterraneus signifie « au milieu des terres » Dans bien des langues, Méditerranée égale mer du milieu (Breton, Néerlandais, Norvégien, Danois, Finnois, Suédois, Japonais, Hébreu, Arabe). Le mot « milieu » est important. Il explique la vertu principale de cette mer : le centre, l’équilibre.
Regardons, maintenant la carte pour relever tous les Etats concernés : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Palestine, Israël, Liban, Syrie, Turquie, Chypre, Grèce, Malte, Italie, Monaco, France, Espagne. Incluons, évidemment, les pays de l’Adriatique : Slovénie, Croatie, Bosnie, Monténégro. Ajoutons aussi le Royaume-Uni via Gibraltar sans gommer le Portugal.
La Belgique demande depuis quelques temps à entrer dans le monde méditerranéen. Pourquoi ? Le royaume accueille de nombreux migrants Italiens et Maghrébins. Proposition originale qui obligerait de fait à accepter par exemple l’Allemagne (4 millions de Turcs).
Sur le plan religieux, toutes les religions y prospèrent exception faite du taoïsme, du bouddhisme, du protestantisme.
La richesse historique atteint une hauteur unique au monde. Le monde méditerranéen serait-il notre identité collective ? Il l’est déjà par les civilisations, les migrations, les modèles d’empire, les échanges commerciaux. D’ailleurs ce sont les voyages mercantiles d’ouest en est, à l’aube des Croisades, qui jouèrent un rôle déterminant. Ce retour vers l’Orient formata les pensées, les rêves des hommes du Moyen-âge. Des auteurs disent justement que cette méditerranée orientale exerça une magie semblable à celle qu’auront les Indes quelques siècles plus tard.
Est-il prudent d’aborder le projet d’union méditerranéenne sans introduire le politique ? D’une certaine manière Fernand Braudel dans son ouvrage phare
La Méditerranée et le monde méditerranéen au temps de Philippe II, en montre l’impossibilité: le premier tome ne fait presque pas mention du monarque espagnol, le tome suivant voit au contraire le roi catholique très présent. L’autre aspect est, naturellement le monde méditerranéen dans lequel la France voudrait une union des deux rives. Projet vaste, imprudent à ne pas proposer à l’ensemble des acteurs. La tentation serait effectivement de ne démarrer cette union qu’avec les pays du Maghreb alors que tout l’intérêt de cette idée tient justement au monde méditerranéen en entier. Si l’on ne regarde que le point politique l’Union européenne s’obligerait de facto à se penser en tant que puissance géostratégique. On sait les conséquences d’une entrée de la Turquie dans l’Union sur ce point. Dans cette vue, Nicolas Sarkozy pèserait-il de tout son poids sur Bruxelles ? Notons, une fois de plus, la contradiction du Président français d’un côté féal aux Etats-Unis, de l’autre la tentation nationale. L’Union se placerait en acteur vers l’Asie, vers l’Afrique, deux continents où elle se heurterait à des puissances redoutables : Chine, Inde, Etats-Unis, Russie.
Les premières propositions, politique d’immigration choisie, stratégie écologique, politique commune de développement, création d’une banque méditerranéenne d’investissement, ne pourraient pas se targuer d’une première frontière entre, par exemple, une Méditerranée occidentale et une autre orientale (dénommée mer syrienne par Ibn Khaldûn au XIVe siècle dans
Discours sur l’histoire universelle). Le point capital serait comment politiquement, économiquement, philosophiquement l’Europe et les nations arabes (musulmane, chrétienne), turque et juive se rencontreraient ? Les facilités commerciales sont une chose vitale pour le développement de même que les migrations et l’environnement mais que construirions-nous solidement ? Le monde méditerranéen tirant sa force des richesses, des différences, la mer du milieu devrait les incarner. Euro-Med lancé lors de la conférence de Madrid en 1995 montre, maintenant, tout le gaspillage financier (20 milliards d’euros) d’un projet conçu selon un mode bureaucratique, sans sens politique. Une fois de plus, il est écrit que nous nous illusionnerions grandement en ayant la naïveté de croire que l’union méditerranéenne pourrait faire l’économie de la décisive indépendance de décision. L’Union européenne en est incapable que fera-t-elle quand le monde méditerranéen l’exigera ?
L’idée de Nicolas Sarkozy est positive dans la démarche en ce sens qu’elle pose, une fois encore, pour fondamentale la géographie historique.

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mardi 23 octobre 2007

Guy Môquet N°59 - 1ere année

Tout le tumulte autour de la lecture de la dernière lettre de Guy Môquet avant son exécution le 22 octobre 1941 à Châteaubriant consterne par le côté navrant.
Rappelons les faits tragiques ! Guy Môquet né en 1924 était un militant communiste, fidèle au parti comme à son père. Il mena des activités de propagande pour le parti pendant les premiers mois de l’Occupation. Arrêté par la police française en octobre 1940, il est envoyé au camp de Châteaubriant. Le malheur voulut que le commandant allemand de la Loire inférieure, Karl Hotz soit abattu le 21 octobre 1941. Les nazis exigèrent des représailles très fortes que Vichy « voulut » atténuer …en livrant des militants communistes, pour épargner des « bons français ». Le sort de Guy Môquet, âgé de 17 ans était scellé. Il fut exécuté le lendemain le 22 octobre. Nous sommes dans l’horrible.
La volonté présidentielle d’obliger cette année la lecture de cette émouvante lettre a engagé bien des avis divergents.. Pourquoi ? Les uns disent qu’il était d’abord militant communiste avant d’être résistant, d’autres écrivent que Guy Môquet ne fut jamais résistant, d’autres encore n’admettent pas qu’un homme de droite s’approprie la mémoire d’un jeune garçon à des fins politiciennes. Des historiens dénoncent la confusion entre la mémoire et l’histoire…etc. Certains évoquent même un souci de propagande.
Entre les protestations des enseignants, des historiens, des politiques, la lecture de cette lettre se présentait malheureusement. Il faut, je le crois, revenir à une approche plus simple afin de ne pas « retuer » Guy Môquet.
Que voulait Nicolas Sarkozy ? Français, il a une méconnaissance de notre histoire. Son approche ne peut être faite que d’images symboliques complètement détachées de la rigueur. Il cherchait un fait qui pouvait à la fois l’unir à la nation, indiquer son degré de conquête politique dénommé ouverture. Le choix se porta sur Guy Môquet.
Pour retrouver le calme et rendre hommage à Guy Môquet mort à 17 ans, il faut rappeler tout de même qu’il fut arrêté par des policiers français qui appliquaient le décret-loi Daladier du 26 septembre 1939 interdisant la propagande communiste. C’est le gouvernement français qui le livra aux nazis parce que communiste c’est-à-dire « mauvais français »
Toute l’indignité est là. C’est celle qu’il faut retenir. Mais, au-delà, le seul élément à retenir est bien qu’il ne peut y avoir de bon ou de mauvais français. L’ignominie de Vichy est telle que la lecture de cette lettre ne peut pas être négative. Dans le moment où l’histoire fout le camp de la mémoire nationale, les lycéens ne peuvent, selon moi, que tirer un bénéfice de cette lecture.
©copyright Jean Vinatier 2007

lundi 22 octobre 2007

Tim Cross et Vergennes N°58 - 1ere année

Le long article du journaliste Heidi Kingstone (Sunday Times) autour de la catastrophique campagne militaire de 2003 en Mésopotamie redonne un coup de projecteur salutaire.
Qui sait, maintenant, l’étendue de ce désastre, hélas, annonciateur d’autres ? Outre l’argent englouti par les USA (500 milliards de dollars), plus un budget de fonctionnement pour le Pentagone qui monte annuellement à 650 milliards de dollars, chiffres rappelés par Philippe Grasset (
www.dedefensa.org ), c’est le récit du général britannique Tim Cross rapporté dans l’article qui donne le coup de grâce à cette folie et pose des questions dramatiques.

Cet officier général coordonnait la préparation de l’invasion de la Mésopotamie aux côtés des Américains au début de l’année 2003. Il rapporte la sous-estimation non seulement de l’opération militaire, mais des moyens à consacrer pour l’après conflit, et aussi les conséquences géopolitiques régionales. Tony Blair informé passa outre. Tim Cross ne démissionna pas. Il dit, alors, à quelques journalistes, ses craintes. Craintes, maintenant, confirmées au centuple Folie, vanité ? La communication boutant l’intelligence, la réflexion, la stratégie, la tactique hors le bon sens ! Voilà en l’espace de quatre années et à l’aube de la cinquième le résultat sanguinaire de la société anglo-saxonne prise au grand jour dans une guerre sans frontière, à la poursuite d’un ennemi insaisissable ou invisible, commise au détriment du droit international des nations.
Un des premiers points dramatiques n’est-il pas ce mépris pour le droit, la légalité ? Pensons, un instant que l’ONU et la plupart des organisations internationales sont issues des cerveaux anglo-saxons en 1944/1945 ! Rappelons que ce nouveau monde a généré un droit international, le leur ! Et c’est précisément celui-ci que deux pouvoirs happés par des religiosités jettent aux orties avant de se déchaîner contre la France qui vint leur redire ce qu’ils étouffaient.
Jacques Chirac et Villepin se plaçaient d’un coup sur les pas de Louis XVI et de son ministre le comte de Vergennes. Au lendemain du premier partage de la Pologne, ce dernier écrivait au monarque de 20 ans, sa conception des affaires étrangères le 8 décembre 1774 «
Le mépris absolu des principes de justice et de tolérance qui caractérise la conduite et les entreprises de quelques-unes des puissances contemporaines, doit être un sujet puissant de réflexions sérieuses et même de mesures de prévoyance pour ceux des Etats qui se dirigent par des maximes plus saines, ne placent pas sur une même ligne le juste et l’injuste […] Si la force est un droit, si la convenance est un titre, quelle sera désormais la sûreté des Etats ? Si une possession immémoriale, si des traités solennels qui ont fixé les limites respectives ne servent de frein à l’ambition, comment se garantir contre la surprise et l’invasion, si le brigandage politique se perpétue, la paix ne sera plus qu’une carrière ouverte à l’infidélité et à la trahison […]Dans cette défection générale des vrais principes, quel parti pourrait prendre la France ? »
La réponse fut donnée et toute l’assemblée des nations unies applaudit debout !
La société anglo-saxonne se donne le coup de dague en plein cœur en accusant le « rest of the world » de sa propre blessure ! L’aveu du général Tim Cross a le mérite de dire tranquillement les écueils sur lesquels la planète est. Ne voyons-nous pas le tragique de cette fuite en avant ? La Turquie via les Kurdes, la Palestine, la Perse, l’Afghanistan, le Pakistan, la Somalie, le Soudan (Darfour) sont des coups de massue contre les peuples ensanglantés. Craignons de voir d’autres instances internationales telle l’OTAN exiger de nos citoyens de devenir des supplétifs ? Le désordre du monde grandit. Les peuples pâtissent. Le moment grave tient justement dans ce délitement universel des valeurs, des principes, du bon sens.
Les observations du général Tim Cross ont un poids supplémentaire parce qu’elles émanent d’un soldat lequel obéit à des engagements, à des serments. Et l’officier qu’il est appréhende le poids croissant des mercenaires (p.e Blackwaters) répartis sur tous les continents. Des généraux américains tirent aussi la sonnette d’alarme.
Le droit international et l’institution militaire s’affaissant simultanément au cours d’une guerre hors la légalité, c’est toute l’Europe et les Etats-Unis qui vacillent.

©copyright Jean Vinatier 2007

vendredi 19 octobre 2007

L’histoire, c’est de la blague ! N°57 - 1ere année

Le sommet de Lisbonne (18-19 octobre) réunit les chefs de gouvernement de l’Union européenne. Que s’y passera-t-il ?
Parmi les sujets abordés, il ne faudra en retenir qu’un seul, le traité simplifié européen lequel entérinera l’adoption du projet de traité constitutionnel dénoncée en mai et juin 2005 par les peuples souverains de France, de Hollande et soutenus sdilencieusement par ceux de Grande-Bretagne, d’Allemagne.
Qui est le grand meneur de cette offensive au pas de charge ? Le Président Nicolas Sarkozy.
En quelques mois, il gomme d’une volonté le choix de deux nations dont celle qu’il gouverne. Son enthousiasme est soutenu par les membres de l’Union, la commission Barroso . Le principal étant la ratification du traité simplifié, ne pouvait-on pas fermer les yeux sur ses discours apparemment nationaux ?
Que valent les peuples ? Que valent ceux dont le pouvoir légitime, légal demande l’avis en toute conscience ? Peanuts, bullshit ?
Le discours autorisé et repris par tous les éditorialistes qui soutenaient uniformément le « oui » en mai 2005 reprend le refrain du nécessaire traité. Connaissons-nous l’intérêt de ce document ? Hors la satisfaction de cercles, d’élites soumises aux forces économiques, aux politiques extérieures, qui applaudissent aux délocalisations et se gaussent de toute indépendante défense continentale, il y a les trois cents et quelques millions d’européens. Ce que ne voient plus les auteurs du traité simplifié est ce qui suit : l’Europe de l’Est s’est lassée depuis très peu des lumières du pouvoir « washingtonien », l’Europe de l’Ouest s’interroge sur le plan géostratégique du bien-fondé Atlantique. Le Royaume-Uni ne pense qu’à lui considérant qu’il est un Commonwealth à part entière.
De 2005 à 2007, le monde n’a en rien ralenti sa marche en avant. D’autres forces se lèvent qui réclament une Union européenne différente de celle décrite dans le projet de traité constitutionnel revu, corrigé au Portugal. Leurs auteurs sont d’un autre âge. A Lisbonne, ils se voilent la face, s’aveuglent et se bouchent les oreilles parce qu’ils jugent leur vanité plus forte, plus élevée que la raison. Et sur quelle raison bute-t-il ? L’Histoire.
Aux Etats-Unis, Henry Ford lançait d’un geste, « l’histoire, c’est de la blague » pour perpétuer une amnésie créative à laquelle obéit cette grande nation. Condition selon le philosophe George Steiner de « sa capacité d’oubli garante de la poursuite pragmatique de l’utopie. » En Europe reprendre cette expression c’est nier précisément notre caractère. L’Europe c’est la diversité par« ses langues, ses traditions, ses autonomies sociales ». D’où le poids de l’histoire. L’Histoire nous constitue.
Ne pas ignorer la fascination qu’exerce le modèle américain est une bonne chose. Le voir loué par nos dirigeants interroge. Songer nous appliquer en masse un traité qui gomme les nations, ploie nos histoires amènera à des troubles importants.
Nicolas Sarkozy est persuadé de faire son job en arrivant au sommet de Lisbonne. Se grandit-il ? Non. Il écarte trop rapidement le référendum de 2005 et épouse d’un peu trop près l’idéologie prônée depuis la Maison Blanche !
Prenons garde à cette Union qui se dote d’un traité tout en niant une pensée politique cohérente. Qu’elle retienne bien l’avertissement d’Abraham Lincoln « on peut tromper tout le temps une partie du peuple ou bien tout le peuple une partie du temps mais pas tout le temps tout le peuple » !
Les peuples de l’Europe ont une conscience plus avancée de leur légitimité et sont plus mûrs qu’on ne le croit pour l’ambition et l’intuition du monde à venir. Ce bon sens, hélas, ne figure plus au menu de l’Union. L’histoire n’est décidément pas une blague chez nous. Nous, les citoyens européens nous marchons toujours « dans le sillage d’Aristote et de Goethe. »

©copyright Jean Vinatier 2007

jeudi 18 octobre 2007

Mallarmé, Le phénomène futur, poème en prose (1864) N°56 - 1ere année

« Un ciel pâle, sur le monde qui finit de décrépitude, va peut-être partir avec les nuages : les lambeaux de la pourpre usée des couchants déteignent dans une rivière dormant à l’horizon submergé de rayons d’eau. Les arbres s’ennuient et, sous leur feuillage blanchi (de la poussière du temps plutôt que celle des chemins), monte la maison en toile du Montreur de choses Passées : maint réverbère attend le crépuscule et ravive les visages d’une malheureuse foule, vaincue par la maladie immortelle et le pêché des siècles, d’hommes près de leurs chétives enceintes, des fruits misérables avec lesquels périra la terre. Dans le silence inquiet de tous les yeux suppliant là-bas le soleil qui, sous l’eau, s’enfonce avec le désespoir d’un cri, voici le simple boniment : « Nulle enseigne ne vous régale du spectacle intérieur, car il n’est pas maintenant un peintre capable d’en donner une ombre triste. J’apporte, vivante (et préservée à travers les ans par la science souveraine) une Femme d’autrefois. Quelque folie, originelle et naïve, une extase d’or, je ne sais quoi ! par elle nommé sa chevelure, se ploie avec la grâce des étoffes autour d’un visage qu’éclaire la nudité sanglante de ses lèvres. A la place du vêtement vain, elle a un corps ; et les yeux, semblables aux pierres rares ! ne valent pas ce regard qui sort de sa chair heureuse : des seins levés comme s’ils étaient pleins d’un lait éternel, la pointe vers le ciel, aux jambes lisses qui gardent le sel de la mer première. » Se rappelant leurs pauvres épouses, chauves, morbides et pleines d’horreurs, les maris se pressent : elles aussi par curiosité, mélancoliques, veulent voir.

Quand tous auront contemplé la noble créature, vestige de quelque époque déjà maudite, les uns indifférents, car ils n’auront pas eu la force de comprendre, mais d’autres navrés et la paupière humide de larmes résignées, se regarderont ; tandis que les poètes de ces temps, sentant se rallumer leurs yeux éteints, s’achemineront vers leur lampe, le cerveau ivre un instant d’une gloire confuse, hantés du Rythme et dans l’oubli d’exister à une époque qui survit à la beauté. » (extrait Pierre-Jean Jouve, Apologie du poète suivi de Six lectures, Fata Morgana, Le temps qu’il fait, Paris, 1987)

Que quelques-uns uns ne doutent pas ! Je ne m’écarte pas ni de l’actualité, ni du sens de ma proposition narrative. Triste époque qui dédaigne la poésie, la range parmi les vestiges. Elle agace. Pierre-Jean Jouve l’écrit : elle « ne peut appartenir à aucun système d’idées, ne peut servir ni une éthique, ni une science, ni une politique. »
A un moment où les hommes subissent le monde, souffrent à le comprendre, peinent à se voir tels qu’ils sont, le poète est, à bien des égards, non seulement un bâton de marche mais également un regard esthétique.
Le poète a sa philosophie. N’est-il pas selon la poétesse anglaise Elisabeth Browning « celui qui dit les choses essentielles. » ?

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mercredi 17 octobre 2007

Le Kurdistan par les cartes. N°55 - 1ere année











Les rumeurs d’une attaque de l’armée turque contre le PKK (parti des travailleurs du Kurdsitan) en Mésopotamie grandissent suffisamment pour regarder la géographie. Les cartes sont, une fois de plus, indispensables pour comprendre l’importance de la problématique kurde et les conséquences de toute action militaire dans une région hautement fragilisée par l’occupation anglo-américaine et la tentation d’attaques ciblées contre la Perse. La Turquie, puissance historique, est la plus tentée par l’action armée contre le PKK installé dans le Kurdistan autonome. Les généraux turcs ont une armée éprouvée, est-elle suffisante pour lutter dans des régions montagneuses face à une guérilla ? Les exemples récents sont là pour inciter à la prudence : Afghanistan, Mésopotamie.
Rappelons que le Kurde est un musulman sunnite (une minorité est chrétienne). Il n’est ni arabophone, ni turcophone. Sa langue est d’origine indo-iranienne.
La première carte en haut à gauche émane des partis kurdes désireux d’avoir un Etat maximal. La prolongation du Kurdistan jusqu’à la mer Méditerranée est sujette à caution. Le port d’Iskenderun est visé. Le débouché sur la mer paraît vital. Les Français, puissance mandataire en Syrie, l’avaient cédé à la Turquie en 1938. Il faut prendre cette carte avec précaution. La réalisation d’un Etat Kurde n’est évidemment pas réalisable : la Turquie, la Perse, la Syrie ne souffriront pas de la moindre diminution territoriale. Le Kurdistan ainsi dessiné exploserait tout l’Orient.
Le Kurdistan revendiquant une existence pleine et entière remet en cause toutes les frontières tracées par les puissances victorieuses (France, Royaume-Uni) de l’empire Ottoman en 1918.
La réflexion n’est pas close. Jacques Chirac n’avait-il pas raison de craindre l’ouverture de la boîte de Pandore en 2003 ?
Cliquez sur les cartes pour les agrandir


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mardi 16 octobre 2007

Vers un coup d’état militaire au Népal ? N°54 - 1ere année

Le 22 novembre 2007 sera-t-elle une date importante dans l’histoire politique du royaume népalais ? En avril 2006 le roi Gyanendra a reconnu sa défaite politique majeure face aux manifestants et à la guérilla maoïste. Le roi n’est plus un souverain absolu, il n’est plus qu’un personnage honorifique. Son caractère sacré effacé, la justice peut le poursuivre comme n’importe quel Népalais.
Retour sur le passé. Le Népal a une situation géographique particulière tout comme son voisin le royaume du Bhoutan. Situé en Himalaya, ses voisins sont la Chine et l’Inde. New Delhi considère depuis longtemps le royaume comme sa chasse gardée. La famille royale y trouvait refuge à chaque grande crise politique. Lors des derniers événements, l’ambassadeur Indien, Shiv Shankar Mukherjee, a pesé de tout son poids tant vis à vis du roi que des acteurs de la révolte népalaise. Et la Chine ? Elle devrait, en principe, apporter un soutien matériel et logistique aux maoïstes tel n’est pas le cas. Le parti communiste chinois combat officiellement les mouvements qui se réclament de Mao (Philippines, Inde )et offre des sommes d’argent aux gouvernements contre eux. Ainsi Pékin livre des armes aux forces népalaises depuis 2005 pour combattre selon son terme, les » terroristes ».
Pushpa Kamal Dahal et Baburam Bhatarai
, les deux dirigeants du mouvement maoïste né en 1996 ont accepté de baptiser leur mouvement, parti communiste du Népal, d’entrer le 1er avril 2007 dans le gouvernement provisoire dirigé par un politicien octogénaire Girija Prasad Koirala. Les divergences éclatent au grand jour entre les partis politiques traditionnels et le parti communiste qui exige l’abolition de la monarchie avant même la tenue des élections du 22 novembre 2007. Il craint des manœuvres discrètes depuis le palais royal. Mais un autre acteur est sur la scène, l’armée népalaise commandée par le général Rookmangud Katawal plutôt favorable à la monarchie.
Le départ des ministres maoïstes du gouvernement fait craindre une reprise de la guérilla et donc une instabilité politique. L’idée fait son chemin d’envisager un scénario de type pakistanais ou bengali, une prise du pouvoir par l’armée laquelle laisserait un gouvernement civil en façade. Ce point de vue exposé par le journaliste Dhruba Adhilkary dans le bimensuel indien, The Day After (www.dayafterindia.com) exprime une opinion qui parcourt les sept partis politiques népalais. Les politiciens ont dû reconnaître le rôle des rebelles maoïstes lors de la chute du roi Gyanendra sans pour autant adhérer en quoi que ce soit au programme défendu par ces derniers. Les maoïstes craignent que les paysans, illettrés aux trois quarts, n’élisent des députés partisans d’un régime parlementaire qui garderait la monarchie. L’armée, ennemie jurée des maoïstes, n’entend pas voir ceux-ci imposer un choix politique avant et après la date du 22 novembre. L’Inde, enfin, veille à la stabilité du royaume. Elle prendrait pour un moindre mal une reprise en main du pays par les généraux. L’avantage serait de remettre dans le camp ennemi de la démocratie le parti communiste du Népal, de placer les militaires du bon côté. Ni les Nations Unies, ni les autres organisations internationales n’y trouveraient à redire.
Les Etats-Unis observent naturellement l’évolution politique dans ce qu’elle nourrit l’encerclement de la Chine sur sa partie sud (Pakistan, Népal, Inde) même si aujourd’hui, les regards sont seulement posés sur les événements birmans. Que fera Pékin ? Le gouvernement chinois pourrait laisser faire les événements népalais en échange de la reconnaissance de l’occupation du Tibet et du statu quo en Birmanie (Myanmar).
Discrètement, à l’abri des regards étrangers, le Népal pendant longtemps un royaume paradisiaque pour les hippies, devient un pion géopolitique. La sécurisation de la chaîne himalayenne côté indien est en cours. Inde et Chine se mesurent sans s’opposer. Avançons même l’idée que les deux puissances usent de l’ambition américaine pour tracer leurs propres influences par peuples interposés.

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lundi 15 octobre 2007

Atmosphère, atmosphère N°53 - 1ere année

Deux événements modifient l'image du régime.
En premier, la défaite du XV de France devant l'équipe anglaise marque, d'une manière un peu détournée, la fin véritable de l'état de grâce ou plus un tournant. Imaginons les spectacles, les reportages et autres matraquages si nous avions emporté la Webb Ellis Cup. Sarkozy montre clairement qu'il ne peut assumer qu'une chose la victoire, une victoire qu'il s'approprie. A-t-il visité les joueurs ? Oui…discrètement. Assistera-t-il à la petite finale ? Chirac, c'est sûr, serait présent dans de telles circonstances. Le rideau tombé, le Président Sarkozy disparut de toutes les caméras, Bernard Laporte supportant seul la défaite devant les médias l'atmosphère est modifiée. Le pouvoir politique pérorait depuis mai dernier. La Nation affectait de l'ignorer.
Maintenant s'enivrera-t-elle aussi promptement ?
En second, la disparition ou l'évaporation de Cécilia Sarkozy alimente toutes les conjectures. New York, Genève, Londres seraient ses haltes. Les rédactions ont sous le coude tous les articles en cas d'annonce de divorce ou de séparation. D'ordinaire un tel fait serait un non-événement. Mais la communication, le soin cultivé de placer sous les feux de la rampe toute la famille qui vient louanger le père, le mari, le chef de la Nation, abîme déjà l'image solide que les Français contemplaient avec régularité. En cette heure, la question n'est plus vont-ils divorcer mais quand ? Le magazine Closer titre en une sur la photo de Cécilia, « le choix douloureux ».
Une défaite sportive, un divorce à venir ne sont pas a priori des signaux. Mais l'atmosphère change. L'annonce des premières grèves, peu importe en définitive l'ampleur, introduit un peu de réel dans la vie politique. Les affaires financières (EADS, Denis Gautier-Sauvagnac) pèsent sur le climat social, repoussent le projet de dépénaliser le droit des affaires. Les franchises médicales plongent des milliers d'étudiants dans un difficile accès aux soins. La commission Attali sensée indiquer les freins à la croissance ne propose de coups d'accélérateurs qu'à la grande distribution. Les premières propositions de la commission Balladur sur la réforme des institutions ne suggèrent pas, à ce stade, pas autre chose que de renforcer le pouvoir présidentiel. Le Grenelle de l'environnement, enfin, s'avance d'ores et déjà plus sous l’œil des rédacteurs de formules au risque de passer pour un moment gadget.
Tout le désordre présidentiel à l'intérieur - idem pour les affaires étrangères - laisse l'horizon national plutôt sombre. Le quinquennat ne permettant pas de tâtonner pour faire de grandes choses, les premiers mois sont vitaux. Ils ont été perdus. Le gouvernement Fillon s'inclinant devant les interventions de Guéant et de Gainau, missi dominici du Président, se déconsidère.Si la décomposition du parti socialiste offre un ballon d'oxygène au pouvoir, le Président est, désormais, en première ligne face au peuple. Nicolas Sarkozy est-il le bon entraîneur ?

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vendredi 12 octobre 2007

Nicolas chez Vladimir : impair et manque N°52 - 1ere année

Le déplacement furtif du Président français à Moscou pouvait-il éclaircir les points de divergence entre les deux nations ?
Les jours précédent son voyage, Nicolas Sarkozy déploya un dynamisme assez peu ordinaire en direction de l’ancien bloc de l’est : en Hongrie, il rappela ses racines ancestrales, en Tchéquie il se fit l’avocat de la défense européenne, en Bulgarie il lança « je suis à moitié européen de l’est ! » tandis qu’il bâclait l’entrevue avec les infirmières encore sous le choc de leur emprisonnement en Libye. A Paris, il reçut, le Président ukrainien puis le chef de l’état polonais où il reprit les thèmes habituels en ajoutant un commentaire sur le traité simplifié européen.
Vladimir Poutine partagé entre l’agacement et l’amusement devant une semblable agitation s’inquiétait-il ? Absolument pas. La Russie remonte en puissance exception faite de la vie démocratique toujours aussi autoritaire. La France sarkozienne tourbillonne et sa démocratie bât de l’aile. Nicolas Sarkozy n’hésita pas à dire devant des étudiants, peut-être, médusés : « C’est tellement mieux de vivre dans une démocratie. Construisez une société démocratique et le monde vous en sera reconnaissant. » Le hic est que le reproche établi par les dirigeants de l’Union et des Etats-Unis ne se cantonne pas à cette « espérance », il est tout entier dans la crainte d’une nouvelle ère russe.
Le Président français accentuait la désapprobation de son homologue par l’intimité affichée avec toutes les ex-républiques communistes lesquelles accueillent positivement, pour certaines, l’installation des fameux antimissiles américains tout autour de la Russie.
Les heures moscovites passèrent au milieu des franches discussions pour se clore par une conférence de presse où la singularité fut de voir deux hommes d’état commenter dans une parfaite différence leur point de vue. Vladimir repoussa les commentaires de Nicolas sur le nucléaire iranien. Il fit sentir également à son invité pressé que l’entrée de capitaux français dans Gazprom n’était pas gagnée. S’en étonne-t-on ?
Les Russes regardent ce Président français comme une étrangeté parfaitement contradictoire. Oui à l’Europe de la défense mais oui à un retour complet dans l’OTAN ! Où est la logique ? La diplomatie française, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi, peut faire le paon devant l’ours russe quand celui-ci évite jusqu’à aujourd’hui l’encerclement du pays par les Américains. Les républiques d’Asie centrale ne viennent-elle pas de conclure une série d’accords militaires avec Moscou ? Idem pour les gazoducs que l’Union européenne dénonce au terme d’années d’aveuglement, de surdité.
Les « convergences » diplomatiques n’illusionnant personne, quel est le poids de l’offensive de Sarkozy devant Poutine : « je défends les intérêts nationaux, je dis franchement ce que je pense de tous les autres sujets » ? Pratiquement rien. Pourquoi ? Parce que le raisonnement n’existe pas. En concoctant des nouvelles alliances à l’est en toute précipitation auprès de pays qui ne devraient pas y penser au vu de leur appartenance commune à l’Union européenne, le Président Sarkozy court le risque de lasser la Russie, de ne pas passionner l’est, de ne recevoir de Washington qu’un haussement d’épaules. En un sens l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ne sera jamais autre chose qu’une expression, l’Europe également. Belle conclusion en un temps record. La confusion dangereuse entre la politique étrangère et la communication pure aboutirait, alors, au désordre, au doute, à l’inquiétude. L’Allemagne, elle-même, ne goûte pas les interrogations que l’agitation Elyséenne engendre.
La Russie poursuit son antique schéma de conquêtes en direction des mers chaudes : une marche commencée au XVIIIe siècle dont la Perse est le but ! Elle construit aussi un partenariat avec la Chine dans la vaste zone géographique, stratégique qui comprend la Sibérie et l’extrême orient. On le voit bien, les deux pays ne naviguent plus dans les mêmes eaux. La passerelle est suspendue. Le devoir est d’en souligner le danger.
Ce court séjour à Moscou se résume par un impair et manque pour les années prochaines. Idem pour la démocratie.

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jeudi 11 octobre 2007

Juan-Carlos Ier et l’Espagne N°51 - 1ere année

En ce début d’automne les rois reviennent sur le devant de la scène. En Belgique, Albert II constitue l’ultime rempart avant une dissolution de l’état. En Espagne, Juan-Carlos Ier fait face aux feux croisés des indépendantistes catalans, basques et de la droite ultra-catholique. Les premiers exigent l’abolition de la monarchie, la seconde demande l’abdication du souverain.
Que se passe-t-il au-delà des Pyrénées ? Juan-Carlos de Bourbon, descendant de Louis XIV, règne sur l’Espagne depuis la mort de Franco en novembre 1975. En février 1981, le jeune monarque sut par son intervention arrêter le coup d’état du lieutenant-colonel Tejero et gagner du coup sa légitimité démocratique. Tous les partis défilèrent le jour suivant pour le remercier. En 2007, l’Espagne arrive, peut-être, à un tournant, de son histoire.
Sans remonter à la nuit des temps, l’Espagne connut au XIXe siècle une instabilité politique : trois guerres carlistes (600 000 victimes), une république, un changement dynastique et in fine en 1898 la perte de son empire, Cuba, Philippines, Porto Rico. Le début du XXe siècle n’apaisa pas les tensions nées des décennies précédentes. Le règne d’Alphonse XIII, grand-père de l’actuel roi, couvrit cette période qui s’acheva en 1931 par la proclamation de la IIe République. Le nouveau régime ne freina en rien les oppositions tant de la gauche révolutionnaire, des anarchistes que de l’armée. Le coup d’état de juillet 1936 ne surprit personne. La guerre civile fit des millions de morts. Le général Franco établit un régime dur, impitoyable jusqu’à la fin en 1975. La volonté très nette de Juan-Carlos de démocratiser l’Espagne, d’accepter la perte de la plupart de ses pouvoirs soulignait bien le caractère engagé du souverain ainsi que de sa parfaite connaissance du défi placé devant lui. En 2007, l’Espagne achève sa période d’apprentissage politique. Le problème tient dans la solidité du corps social qui menace de craquer de partout. La montée du racisme vis à vis des Marocains, des Américains du Sud ne fléchit pas. L’économie, amplement soutenue pendant des années par les subventions européennes, flancherait si la bulle immobilière éclatait. Tout le monde se tait sur ce point de peur de précipiter les événements. Le risque est cependant là. Les indépendantistes catalans, basques excitent aux surenchères politiques. Le portrait du roi brûlé en place publique est un signe. La société espagnole accepte malaisément les réformes de José-Luis Zapatero tel le mariage homosexuel. Les relations entre l’Eglise et l’Etat se distendent.
Si l’extrême droite, les indépendantistes ne forment pas une majorité dans l’esprit espagnol, les blessures de la guerre civile et de la dictature franquiste subsistent encore. Elles contribuent davantage à fragiliser les Espagnols.
Quel est le symbole de l’unité hormis la personne du souverain ? Et bien le Roi lui-même. Il n’a plus les pouvoirs mais il reste le chef suprême des armées. Que pense l’armée de la situation actuelle ? Que ressent-elle devant le Roi qui a ordonné aux officiers fidèles à Tejero de rentrer dans les casernes ? L’Europe, enfin, joue-t-elle en faveur de la solidité du régime ou bien ne compte-t-elle pas ?
Les peuples ayant la mémoire courte, le Roi a raison de rappeler les décennies écoulées. Il sait, aussi, que la monarchie tient davantage dans sa personne que dans la dynastie de Bourbon. L’Espagne a montré sa faiblesse et plus encore sa soumission à une longue dictature de 1939 à 1975. Le royaume manque d’un avenir politique plus précis. La lancinante question des autonomies mine son corps tout entier. Toute la réflexion de Juan-Carlos tourne autour de la manière de redessiner un objectif politique pour le pays. Les partis au pouvoir de la gauche à la droite ne possèdent pas la force indispensable pour voir unie sous leurs yeux toute la nation.
L’Espagne pose une question à l’Europe celle de son lien avec la Méditerranée, de son histoire où musulmans, juifs, chrétiens jouèrent le rôle déterminant. Si la Belgique relève au premier chef de l’Europe puisqu’elle lui doit sa création en 1831, l’Espagne l’interpelle sur le plan démocratique dont le Roi est le symbole en chair et en os.
Où est donc le noyau dur européen ?

©copyright Jean Vinatier 2007

mercredi 10 octobre 2007

L’ADN, la teci ,l’immigration N°50 - 1ere année

L’inauguration de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration dans l’ancien bâtiment de l’exposition coloniale de 1931 se fera sans phares, sans projecteurs. Ni le Président de la République, ni les ministres issus de l’immigration, ne daigneront se mouvoir jusqu’à la porte Dorée. Etonnante discrétion lorsque le pouvoir se heurte violemment et jusque dans son sein à la question des tests ADN pour authentifier la filiation des migrants allant sur notre sol.
La France a accueilli plus que n’importe quel pays au monde : posons-nous la question ? Et bien osons écrire que depuis des siècles notre pays est d’une certaine manière la terre où l’on jouit d’une liberté.
Rappelons cette belle histoire de 1588. Henri III, chassé de Paris par le parti du duc de Guise se réfugia à Chartres. Le Roi paraissait dénué de puissance. L’ambassadeur d’Espagne, première puissance mondiale d’alors (en 2007 son équivalent serait un Américain) s’oublia à exiger d’Henri III les rameurs turcs qui étaient sur l’un des bateaux de l’Invincible Armada échoués sur la côte normande. Henri III lui répondit, non sans grandeur hautaine, que tout homme abordant le sol de France était libre, en droit comme en fait. En conséquence de quoi, il ne les rendrait pas.
La France tient dans son histoire une singularité celle de dire qu’elle ne dépend d’aucune puissance tant terrestre que spirituelle. Cette idée politique portée si haut très tôt (XIIe siècle) et renouvelée en 1789 reste dans les nombreuses mémoires des hommes. On va au Royaume-Uni pour perpétuer l’idée impériale. On va aux Etats-Unis pour se réaliser matériellement tout en gardant son lien communautaire lequel fonde une liberté puissante. Pourquoi va-t-on chez nous ? Et bien justement pour cette idée étrange de la liberté au sens politique du terme. Au-delà des seuls mouvements humains sans lesquels la terre resterait assez inconnue, la migration constitue une force pour le pays récepteur à la condition qu’il tienne fermement ses fondamentaux. La question coloniale mais aussi l’esclavage sont deux épines douloureuses en France. Il est presque sûr que cette cité de l’histoire de l'immigration serve à recouvrir nos deux plaies. L’une de nos faiblesses tient de notre peine à assumer un passé. Vichy, la guerre d’Algérie sont deux exemples modernes. Pourquoi ne regardons-nous pas la période coloniale ? Les Anglais sont-ils en peine de l’observer ? Absolument pas. Quelque chose ne tourne pas rond. En ce sens cet ADN n’est pas à notre honneur. La filiation officielle écarte les ombres.
Toutes les nations du monde qui ont œuvré à l’idée française nous placent à un niveau original quel que soit le thème de maintenant, de demain. L’Europe, la Méditerranée, le monde multipolaire, l’espace, la culture, par exemple, sont des sujets si attractifs et autour desquels tout devrait se refonder qu’on trépigne presque de voir cette nouvelle présidence se dépenser sans économie pour l’immédiat au dédain de la politique de la cité.
Les manifestations sportives restent le seul instant d’union entre tous les Français et ceux qui s’installent. Quel que soit le côté où l’on se tourne, un aveugle lui-même verrait l’évidence de la tâche à accomplir dans la certitude de notre histoire et de celle que tous écrivent, vont écrire.
Est-il besoin d’exiger le test d’ADN évidemment pas. C’est choir politiquement que de se faire l’avocat, en le défendant, du soupçon.

©copyright Jean Vinatier 2007

mardi 9 octobre 2007

Dépêches spéciales sur le monde harmonieux N°49 - 1ere année

La lecture de ces deux dépêches éditées par l’agence chinoise Xinhuanet intitulées "Un monde harmonieux: l'ancienne philosophie chinoise comme nouvel ordre international" a un intérêt au-delà de la langue de bois , des formules sucrées.
L’originalité de cette dépêche tient dans la manière d’avancer les traditions philosophiques pour appuyer une politique extérieure, justifier du gouvernement intérieur.

"La Chine a organisé, de concert avec le Kazakhstan, le Kyrghizistan, la Russie, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan, un exercice anti-terrorisme conjoint à la mi-août, cinquième manœuvre militaire dans le cadre de l'Organisation de la coopération de Shanghai (OCS) depuis sa création en 2001 pour lutter contre le terrorisme et le séparatisme [….]
La "société harmonieuse" est aujourd'hui un concept politique en Chine, par lequel les dirigeants chinois menés par le président chinois Hu Jintao, visent à diminuer les écarts de richesses et réduire les tensions sociales croissantes. Le concept de "monde harmonieux" est une extension de la politique intérieure de M. Hu à l'arène des relations extérieures […]

Traditions philosophiques

Quand on passe en revue les 5 000 ans d'Histoire de la Chine, on voit que le mot "harmonie" n'est pas un frais jargon politique, mais une tradition philosophique. Il y a des milliers d'années, des Chinois sculptaient le caractère "He", signifiant la paix et l'harmonie sur des carapaces de tortue, et le philosophe Confucius (551-479 avant J.C.) mettait en lumière le concept philosophique d'"harmonie sans uniformité", signifiant que le monde était plein de différences et de contradictions, que mais l'homme vertueux devait les balancer afin d'atteindre l'harmonie.
Le missionnaire italien Matteo Ricci qui vint en Chine pendant la dynastie des Ming (1368-1644), écrivait, après avoir étudié l'histoire chinoise, et surtout après avoir comparé les histoires chinoise et européenne, que les Chinois aimaient le statu quo et chérissaient la paix et l'harmonie. Il en avait conclu que la nation chinoise n'avait aucune ambition de conquête à l'étranger.
Penser à l'harmonie est un élément important de la culture chinoise qui met l'accent sur l'union harmonieuse du peuple", d'après Zhang Liwen, professeur à l'université du peuple de Chine, basée à Beijing.Harmonie signifie coordination, alliance, intégration et paix entre les différents éléments. C'est un reflet des principes éthiques du peuple chinois et un élément essentiel de la diplomatie moderne de la Chine.

La continuité des stratégies des différentes générations de dirigeants chinois montre que la Chine, face à un monde complexe, considère la paix et l'harmonie comme une priorité, selon Ruan Zongze, directeur adjoint de l'Institut chinois des Etudes internationales.

En, 2005, alors que la Chine a commencé à mettre l'harmonie sociale en avant dans sa sphère intérieure, elle a également déclaré sa poursuite de la construction d'un monde harmonieux dans l'arène internationale.

Le président chinois Hu Jintao a formulé le concept lors du sommet du 60ème anniversaire de l'Onu (organisation des Nations- Unies), indiquant: "le multilatéralisme, la coopération d'avantages réciproques et l'esprit d'inclusivité devront être soutenus pour réaliser la sécurité et la prospérité communes et pour construire un monde où toutes les civilisations coexistent de façon harmonieuse."
Hu Jintao a dit que le caractère inéluctable du développement pacifique de la Chine se basait sur les circonstances nationales, les traditions historiques et culturelles de la Chine ainsi que sur les tendances de développement mondiales. Le gouvernement a publié pour la première fois fin 2005 un livre blanc sur le développement pacifique. L'"harmonie" y est décrite comme l'objectif final du développement de la Chine dans l'édification d'un monde pacifique et prospère […]"

Paix et harmonie d’Asie font-ils face à la guerre contre la terreur du côté occidental ?C’est une comparaison hâtive mais dans les deux cas, nous sommes devant la tentation de l’hégémonie sous des habits différents. Rien ne nous interdit d’y réfléchir.

©copyright Jean Vinatier 2007

lundi 8 octobre 2007

Demain l’Inde dans l’OTAN ? N°48 - 1ere année

L’un des objectifs de Nicolas Sarkozy est de rentrer la France dans l’OTAN, de tourner la page gaullienne de 1966. Ce mouvement pensé et entretenu s’enclencherait quand cette organisation militaire, loin de connaître une faiblesse, entreprend une marche en avant tout à fait considérable vers l’Asie. En un sens ce retour de l’Etat français se ferait pour accompagner une action, espérer le service actif au milieu des commandants US.
L’OTAN naît en Europe en pleine guerre froide. Elle protégeait le continent contre le régime communiste. Cette guerre terminée en 1991 avec l’URSS, n’a pas conduit Washington et les parties contractantes à fermer la boutique. Les guerres en Mésopotamie, en Afghanistan au nom de la lutte contre le Mal ou le terrorisme international d’un côté, la politique du containment vis à vis de la Russie, de la Chine de l’autre et bien entendu les conflits en Afrique sont des faits qui argumentent aux yeux des Etats-Unis, des cercles conservateurs de tous les degrés dans le monde entier, des milieux d’affaires in fine à renforcer les structures militaires existantes. Tel est le cas de l’OTAN.

Aujourd’hui, les manœuvres militaires dans l’océan indien se multiplient. L’Asie reste l’objectif final pour les Etats-Unis. Ils ont besoin de l’OTAN c’est-à-dire d’amener dans leurs rangs des contingents européens comme en Afghanistan pour deux raisons principales: la première ne pas laisser l’Europe se doter d’une défense indépendante, la seconde les USA ne peuvent tenir seuls la planète.

L’Asie c’est la Chine mais aussi le Japon, l’Inde, la Russie avec en arrière plan l’Australie un continent à lui seul. Vis à vis de Pékin pas d’attaque frontale mais un encerclement. Idem pour la Russie. Le Japon acteur dynamique dans le giron américain n’oublie pas son passé et comme l’Allemagne redoutant de revivre l’Histoire se place derrière le paravent étoilé. Tokyo encourage donc la politique entreprise parce qu’il se reconstruit militairement sans inquiéter les descendants de Mac Artur. Sa rivalité ancestrale avec la Chine ne souffrant pas de contestation d’une part, il veut aussi, d’autre part, se prémunir d’une dispute entre Pékin et Tapei. Le gouvernement nippon n’omet pas de regarder assez en avant quand l’Asie toute entière aura conquis ses galons « démocratiques, capitalistes », le soleil ne redeviendra-t-il pas levant ?

Reste l’Inde et son corollaire l’océan indien. Ce dernier couvre un espace colossal, Afrique orientale, Arabie, Australie, Indonésie avec en compléments la mer d’Arabie ou d’Oman, le golfe du Bengale. Au milieu, la puissance mystérieuse, l’Inde, la plus grande démocratie mondiale. New Delhi fait l’objet de toutes les cours américaines. Ne vient-elle pas d’obtenir le développement de son programme nucléaire sans avoir à ratifier le traité de non-prolifération ? Les derniers événements à Myanmar ne l’inciterait-elle pas à taquiner la Chine ? Le secrétaire général de l’OTAN ne vient-il pas d’appeler cette puissance à se joindre à l’OTAN en qualité de « strategic patnership » ?

Sur le papier, le rouleau compresseur otanien obéit à un plan d’occupation planétaire, de contrôle des routes énergétiques, des sources de production selon les intérêts américains et de ses idéaux. N’oublierait-on pas dans cette marche les spécificités indienne et asiatique ?
L’Inde n’a jamais été une puissance conquérante : elle a reçu les envahisseurs lesquels se sont indianisés. Idem pour les musulmans déplacés (voir la politique britannique) en 1947 de part et d’autre de l’Inde (Pakistan, Bengladesh) qui font toujours partie d’un même ensemble. A l’égard de la Chine, New Delhi a une politique d’association ou de non-concurrence et vice-versa. A terme, il y aura évidemment des tensions. Ces deux géants savent naturellement leur place réciproque dans le nouveau monde émergent pour entrer dans une conflictualité telle que les trace les Atlantiques (USA-UE). L’Inde étant un monde qui cherche à se préserver de l’extérieur, elle connaît son histoire sous l’Union Jack et garde un patriotisme tout aussi susceptible que le Chinois. Les gouvernements indiens savent aussi que la question musulmane au Cachemire mais également avec les Tamouls sont deux épines sources de troubles à dimensions variables selon les acteurs à l’arrière plan.
L’adhésion de l’Inde dans l’OTAN ou une quelconque affiliation semble un exercice de haute voltige promis à des déconvenues pour ses promoteurs. L’Inde conçoit sa puissance autrement que par des combinaisons d’alliance où elle retrouverait d’anciennes nations coloniales (France, Portugal, Hollande, Royaume-Uni ) elles-mêmes liées à un traité qui les placent au rang de subordonnés. Opposera-t-elle une fin de non-recevoir à ce partenariat stratégique ? Non. Opinera-t-elle ? Non. Que dira-t-elle ? Rien avant d’avoir complètement pensé le défi stratégique. En un sens elle tient des clefs décisives face à l’OTAN sur la route chinoise. L’Union européenne et la France mesurent-elles correctement l’étendue de l’engagement ?

©copyright Jean Vinatier 2007

vendredi 5 octobre 2007

Ukraine orange pressée N°47 - 1ere année

L’arrivée prochaine du Président de la République ukrainienne, Viktor Iouchtchenko, en France remet la lumière sur ce jeune état. Les dernières élections législatives de septembre dernier ne risquent pas de calmer le jeu politicien. Le parti des Régions (pro-russe) arrivé en tête avec 34% des suffrages voit le pouvoir lui échapper devant la coalition, en principe formée, du Bloc de Ioulia Timochenko et de Notre Ukraine, parti dudit président.
Retour en arrière. En novembre/décembre 2004, la révolution orange permit à l‘actuel chef de l’Etat de l’emporter sur son rival, Viktor Ianoukovitch (parti des Régions)qui était le dauphin de fait du Président sortant Leonid Koutchma. Depuis, la vie politique ukrainienne ne cessa pas de conduire d’une crise à une autre sous le regard attentif de Moscou et de l’espérance de Washington. Les tensions intérieures se focalisent, au niveau de la classe politique, sur la question otanienne et le gaz russe.
Kiev joue, semble-t-il, de malchance puisque tous les sujets précités la soumettent au chantage russe, aux atermoiements de l’Union européenne et aux calculs américains.
Où est donc l’Ukraine ? En Russie, en Europe ? Sur cette interrogation, je répondrai que la principauté de Kiev fut la première Russie du IXe siècle au XIIIe siècle. Conquise par les Mongols avant de connaître le gouvernement lithuanien et polonais pendant deux siècles. L’autorité de Saint-Pétersbourg s’imposera au XVIIIe siècle. L’Ukraine occupe donc une place singulière au carrefour des ambitions des puissants voisins y compris l’empire Ottoman. L’Ukraine subira de plein fouet la répression communiste et l’occupation nazie de 1941 à 1943. Ce pays peut-il continuer à se sentir pro-russe quand le lointain souvenir du royaume de Pologne l’inclinerait vers l’Europe. La population est plus partagée. Sur la question de l’entrée dans l’OTAN, la réponse est négative à l’opposé de la majeure partie de la classe politique sensible aux programmes démocratiques fournis par la pléiade d’associations caritatives ou fondations américaines qui déferlent dans tous les anciens pays du bloc de l’Est.
Vladimir Poutine ne cache pas son désir de récupérer l’Ukraine. Georges Bush fidèle à l’idée washingtonienne de contenir la Russie sur toutes les frontières ne tient pas à reculer. L’Union européenne sous la pression, sans doute, de la Pologne ne la repousserait pas. Mais le problème soulevé par l’OTAN bloque toute initiative continentale. Le cas de la Georgie est intéressant. A son désir d’intégrer l’OTAN, le ministre de la Défense nationale, Morin répond –avec l’aval de l’Elysée – qu’il faudrait avoir le sentiment de Moscou ! Si une telle réponse est signifiée à ce pays, l’Ukraine risque, en toute logique, de se heurter à un refus poli. Ce sera l’un des moments forts de la visite du président ukrainien à Paris.
L’approvisionnement en énergie de l’Europe via la Russie traverse le territoire ukrainien. Là aussi, les Allemands ne veulent pas d’une dispute avec Poutine.
Sur deux points essentiels, l’énergie et le traité militaire, l’Ukraine dépend donc assez totalement du bon vouloir russe et du pragmatisme européen. La liberté de manœuvre de Viktor Iochtchenko ne peut pas grandir. Une situation aussi bancale et fragile laisse toute latitude à Washington de miser une fois de plus sur le désordre pour peser contre l’Union européenne ; à Moscou de s’applaudir, de moquer davantage les institutions sises à Bruxelles, de prendre une à une les puissances qui lui conviennent en négociation.
Le Président Sarkozy pensera tout naturellement à son séjour officiel en Russie en écoutant le président ukrainien.
L’Ukraine est une orange pressée de tous côtés. Les combinaisons politiciennes hormis les coups de théâtre affaibliront ce jeune état au risque de devenir une auberge espagnole géopolitique pour chaque acteur, régional, international.
JV©2007

jeudi 4 octobre 2007

Sarkozy et les humeurs UMPistes N°46 - 1ere année

Tableau inimaginable à Neuilly sur Seine, fief des fiefs de l’actuel chef de l’Etat. Toute la France vit David Martinon, son poulain et actuel porte-parole hué par les militants UMP qui refusent de l’accueillir comme tête de liste pour les prochaines municipales aux dépens, notamment, du patron de l’UMP local, Arnaud Teullé. Martinon quitta la salle furieux et hagard !
Cette brutale réaction survient au lendemain des journées UMP tenues à Strasbourg où les critiques dans le vaste parti présidentiel conduites, notamment, par le sénateur et duc Josselin de Rohan prennent leur source principale autour de l’ouverture aux hommes de la gauche socialiste. Les noms de Jack Lang, de Julien Dray circulent dans le microcosme parisien quand on susurre ici et là qu’un nouveau gouvernement verrait le jour fin 2007 ou en janvier 2008 avec d’autres figures socialistes séduites.
Voyons d’abord que cette hausse de ton ne repose pas encore sur une conjuration ou bien une cabale. Les interrogations des élus, des militants s’axent autour du tourbillonnement présidentiel dans la mise en œuvre du quinquennat censé être une rupture à tous égards. Nicolas Sarkozy n’a garde, jusqu’à présent de s’arrêter à ces quelques cris. Il mise sur de futurs électrochocs après les municipales. Il lui plaît de les sermonner.
Première difficulté, tenir jusqu’à ce terme. Deuxième difficulté, réaliser, ensuite, véritablement lesdites réformes au triple galop, l’année 2008 étant l’extrême limite pour ce travail afin d’engager heureusement les élections présidentielles de 2012. Troisième difficulté, quels seront les résultats en mars prochain ? A priori un pouvoir exécutif ne craint pas trop une défaite dans cette élection mais nous ne sommes pas devant une équipe classique. Ce quinquennat est le fait d’un homme, qui veut être le seul jusqu’au bout. Il est envahi par la puissance de la notoriété, de la reconnaissance et croit, au final, que l’amour unanime habite chacun des électeurs de France : les laudateurs sont là, se rassure-t-il !
Autre son de cloche supplémentaire, l’affaire des tests ADN. On voit – et c’est heureux – que nombre de hauts responsables de la majorité dont Edouard Balladur, disent leur mécontentement sur ce point. Brice Hortefeux, naturellement, continue sa navette du Palais-Bourbon au Luxembourg mais un vers est bel et bien dans le fruit présidentiel.
Six mois ont passé rapidement, le fameux état de grâce prépare son hivernage. Les craquements dans la majorité présidentielle ne peuvent se dissocier des tensions entre le Président et François Fillon lequel, sans mot dire, intriguerait bien pour peloter quelques colères en interne. N’omettons pas davantage, le jeu souterrain de Michèle Alliot-Marie, presque ficelée place Beauvau mais dotée d’un solide carnet où les anciens gaullistes ne forment pas le corps principal.
Reste évidemment le peuple français auquel son nouvel élu promet de travailler plus pour gagner plus, un pouvoir d’achat protégé, une croissance suffisante pour les étancher. Le scepticisme croit désormais mais il est encore diffus, épars. Les UMPistes, élus, militants ainsi que les ralliés regroupés dans le Nouveau Centre plus les antiques socialistes dotés de maroquins forment un ensemble hétérogène et fragile parce que reposant sur la seule dynamique de Nicolas Sarkozy. A-t-il le choix ? Il s’est emparé de toutes les manettes. Au premier malaise, il y aura pléthore d’auto adoubés !
S’il n’y a pas de fumée sans feu, il n’y a pas de huées sans origine.
JV©2007

mercredi 3 octobre 2007

Galileo cherche l’Europe et l’Europe cherche son institut. N°45 - 1ere année

Le branle-bas de combat de l’Union européenne autour du projet de financement du système de navigation Galileo tourne à la foire d’empoigne ! Dans le même moment, le projet d’Institut européen de technologie pour concurrencer le MIT donne lieu à des débats navrants.
Galileo ne fournit pas l’occasion aux gouvernements de l’Europe d’assumer une ligne politique digne de ce nom. Rappelons l’historique. Le financement du système de navigation a été confié à huit entreprises privées qui se sont révélées incapables de s’unir, de supporter les financements. De fil en aiguille, l’Europe vit s’élever dans le ciel son concurrent américain, le Global Positioning System ou GPS. La France proposa à ses partenaires de fixer un programme de financement public pour réaliser Galileo. L’Allemagne craint de voir ses entreprises souffrir de ce procédé : elle s’y oppose solidement. Le Royaume-Uni, naturellement, penche pour le GPS tandis que l’Espagne tonne de la voix au côté de Paris. Ce désordre autour d’un projet dit stratégique laisse pantois les hommes censés.
Oui Galileo est un projet stratégique tant civil que militaire. Oui Galileo supporte la concurrence avec le GPS. Oui, le financement public européen supplée mille fois mieux aux multiples combinaisons des groupes privés. Pourquoi cette dispute ? La mise à l’unisson des membres de l’Union oblige ipso facto à reconnaître dans ce cas précis la réalité d’un « état européen » avec les conséquences que l’on devine.
L’Institut européen de technologie prisonnier des atermoiements des uns, des autres répond en échos aux hésitations et craintes du navigateur Galileo. Cet institut devrait perturber à terme les centres de recherche américain et nippon. Rassurons tout de suite les USA et le Japon, l’Union est loin d’entamer une quelconque course de compétitivité ! Or, cet institut est un projet stratégique. Evidemment l’acceptation d’un budget européen au sens national du terme agace ceux qui ne veulent pas entendre parler du super Etat, ceux qui répugnent à contester les USA.
Dans les deux cas, la question positive de l’Europe en qualité de puissance publique ne se masque plus. Elle est d’actualité. Rassembler les meilleurs chercheurs du continent et du monde, construire le système de navigation meilleur que son concurrent signifient logiquement une politique commune d’une part, et de la part des Etats convenir de placer entre les mains de la structure européenne une part supplémentaire de leur souveraineté. Les deux projets évalués à plusieurs milliards d’euros sont un investissement primordial où le politique dépasse de beaucoup des ambitions du privé. A cela, la querelle franco-allemande qui joue déjà dans EADS, freine l’ensemble du continent. Il est prouvé, une fois encore, que le manque de dessein franco-allemand nuit à tout le continent. Je ne vois pas d’autre façon de ressouder ce « couple » autrement qu’en binôme identitaire de l’Europe. A Paris, à Berlin, les agacements remplacent trop la véritable politique. Terminons en écrivant que l’une des richesses fondamentales de l’Europe tient dans sa matière grise. La négliger pour de misérables sommes c’est nous mettre la tête sous le billot. Osciller en permanence sur le devenir de Galileo c’est nous priver d’une indépendance. Les USA le voient bien puisqu’ils proposent le GPS gratuitement…..Il est temps de mettre de l’ordre, d’avoir une stratégie et la tactique adéquat.
JV©2007

mardi 2 octobre 2007

Giambattista Vico et les trois espèces de gouvernements. N°44 - 1ere année

Giambattista Vico(1668-1744), philosophe napolitain, historiographe du roi Charles VII de Bourbon, roi de Naples (futur Charles III d’Espagne, ancêtre de Juan-Carlos Ier) écrivit une œuvre considérable dont Michelet assura la publicité autour des années 1827. Le siècle des Lumières n’eut pas connaissance de son travail.
Vico influença nombre de penseurs européens tels Hegel, Karl Marx, Benedetto Croce, Georges Sorel…etc. La thèse principale du travail de Vico est la défense de la théorie cyclique de l ’histoire: les hommes vont de la barbarie à la civilisation pour retourner à la barbarie selon trois phases. Age des Dieux (émergence de la religion, de la famille), âge des héros ( le peuple est maintenu sous le gouvernement de l’aristocratie), âge des peuples (le peuple conquiert l’égalité puis débute la désintégration de la société). L’extrait ci-dessous est tiré de
La science nouvelle, Liv.IV. De la marche des nations, édité en 1725
:
« Les premiers gouvernements ont été divins, ou, comme diraient les Grecs, théocratiques ; les chefs de ces gouvernements croyaient recevoir directement les ordres des dieux, au moyen des oracles qui forment la plus ancienne autorité historique. Les seconds ont été les gouvernements héroïques ou aristocratiques, ce qui signifie gouvernement des plus forts, ou, selon les Grecs, gouvernement des Héraclides ou des descendants d’Hercule, ou des nobles. Cette forme de gouvernement, commune aux peuples de l’ancienne Grèce, se conserva à Sparte plus longtemps que partout ailleurs. C’étaient aussi les gouvernements des Curètes, tels que ceux de la Saturnie, de la Crète et de l’Asie et les gouvernements des Quirites à Rome ; ou de prêtres armés dans les assemblées publiques. Dans ces gouvernements tous les droits étaient réservés aux ordres régnants des héros comme à ceux dont l’origine était divine, tandis que les plébéiens traités à l’égal des bêtes n’avaient droit qu’aux nécessités de la vie, et ne jouissaient que de la liberté naturelle. Les troisièmes enfin sont les gouvernements humains ; et dans ceux-ci, l’égalité de l’intelligence humaine, qui est dans l’essence de la nature humaine, rend tous les hommes égaux devant la loi. Tous les hommes y sont nés libres, dans des villes jouissant par conséquent d’une liberté populaire, et dans lesquelles chaque citoyen exerce la force réglée par la loi, chacun d’eux étant le maître au nom de la liberté populaire. Les gouvernements humains ont quelquefois la forme monarchique, et ce sont alors les monarques qui assujettissent avec égalité tous les hommes à la loi. Eux seuls y sont au-dessus des autres hommes, par la force des armes qu’ils tiennent en leurs mains. »
JV©2007

lundi 1 octobre 2007

Le FMI ou un nouvel ordre monétaire ? N°43 - 1ere année

La désignation de Dominique Strauss-Khan à la tête du FMI a été saluée comme une victoire de la diplomatie française. Rappelons tout simplement que ce poste depuis sa fondation en 1946, revient à un Européen d’une part, et d’autre part la France comptabilise trente deux années de direction effective (1963-1973, 1978-2000), chiffre qui relativise l’idée d’une victoire avec ce que cela suppose.
L’important ne se réduit pas à cet énième exercice de communication. Le premier point est l’annonce presque officielle que Dominique Strauss-Khan n’aura pas pour successeur en 2012 un Européen mais une femme ou un homme d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine. Le second point est la réforme générale à conduire pendant son mandat. Les indéniables qualités de notre compatriote ne seront pas de trop pour préparer en toute puissance le FMI à être autre chose qu’une courroie de transmission des seuls intérêts « occidentaux ». La Banque mondiale née en 1945 est la seconde tête financière de cet ordre capitaliste de l’Ouest. Son patron est un Américain et il n’est pas écrit que cet institut se prépare à la même évolution que le FMI. La tâche confiée à Strauss-Khan trouve donc tout son intérêt et, en conséquence, l’Union européenne pourrait ne pas en pâtir.
Les organisations internationales connaissent depuis longtemps des directeurs issus de tous les continents, citons l’OMS, le FAO, l’UNESCO. L’originalité est qu’en 2007, l’aide financière du FMI changera si j’ose dire de continent, d’espace, de philosophie. Le souvenir de la crise asiatique( 1997) puis celle qui faillit abattre l’état argentin en 2001 nuisent aujourd’hui à sa crédibilité. Autant dire que cet organisme est regardé comme un symbole celui d’une époque.
Quel est son rôle ? Veiller au bon fonctionnement du système monétaire issu de Bretton Woods c’est-à-dire d’observer la capacité des pays à maintenir la valeur de leur monnaie dans la marge des 1% prévue par les dispositions de l’époque, en 1944, revues en 1976 par les accords de la Jamaïque.
Les Etats recourent à des dévaluations ou réévaluations pour rester dans ce couloir monétaire. Le FMI, intermédiaire financier entre les Etats, consulté obligatoirement quand les réajustements vont au-delà de 10%, possède une arme assez conséquente dont les pays émergents (Inde, Chine, Brésil, Mexique, Afrique du sud, Qatar, Emirats arabes unis) veulent user selon leurs visions modernes.
Le FMI est une articulation essentielle où le dollar a un rôle clef. Les réserves détenues dans cette monnaie par la Chine fournissent un exemple frappant. Les USA se doivent de fournir au monde suffisamment de dollars pour faciliter le commerce mondial. Que se passe-t-il lorsque telle ou telle puissance a une quantité colossale de billets verts ? N’est-elle pas tentée de reprendre la « mission » américaine à son compte ? Nous risquons de voir se concurrencer deux dollars, celui émis par la Fed, celui détenu par une nation. Drôle d’équilibre ! Ce point souligne toute la spécificité du travail de Dominique Strauss-Khan.
La géopolitique l’accompagnera pendant cinq ans et la nomination en 2012 d’un asiatique précipitera la fin du système monétaire institué à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le FMI devenant alors le fonds du nouveau monde monétaire.
JV©2007