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mardi 31 mai 2022

L’affaire Louise Labé (1524-1566) par Élise Rajchenbach N°5870 16e année

 « Loin d’une bataille d’ego entre universitaires, les polémiques qui entourent la personne et l’œuvre de Louise Labé révèlent des biais méthodologiques, mais aussi le poids des stéréotypes genrés sur les pratiques scientifiques. 

Sarah Al-Matary pour La Vie des idées : Pourquoi Louise Labé a-t-elle suscité, ces quinze dernières années, des polémiques telles qu’on a pu dire qu’elle était un homme, un personnage inventé par un collectif, et de manière plus générale qu’elle restait une « énigme » ?

Élise Rajchenbach : Louise Labé fait partie de ces autrices dont le nom est connu du grand public – ce qui n’est pas si courant pour les périodes anciennes. Bien qu’elle ait été rééditée au XVIIIe siècle, c’est le critique Sainte-Beuve, au XIXe siècle, qui a véritablement sorti l’œuvre de Labé du brouillard de l’histoire littéraire, à une époque où l’on redécouvre les poètes du Moyen Âge et de la Renaissance. Mais cette sortie de l’obscurité ne se fait pas sans difficultés : elle se heurte à des barrières morales et à des présupposés misogynes. Les vers de Labé, qui sont plus lus que le reste de l’œuvre (le Débat de Folie et d’Amour) à cette époque, sont brûlants de désir et, pire, de désir féminin, ce qui est particulièrement dérangeant pour des messieurs supposément très sérieux et très sages. Au XIXe siècle, la publication demeure rare pour les femmes, en particulier du fait des barrières morales et du fort risque d’une réputation ternie – la femme qui publie est une « femme publique ». C’est l’une des raisons pour lesquelles l’œuvre et surtout la figure de Louise Labé ont pu déranger.

À cela s’ajoute l’idée que les femmes étaient jugées faibles et intellectuellement infirmes : on retrouve ce discours, pas nouveau au XVIe siècle, au XIXe et jusqu’au XXe siècle. Même une princesse comme Marguerite de Navarre, dont vient de paraître une biographie par Patricia Eichel-Lojkine, faisait les frais de ces présupposés : en 1926, son éditeur, Pierre Jourda, n’hésite pas à lui attribuer des vers sous le prétexte que seule une femme aurait pu produire de la poésie de si piètre qualité. Il existerait une essentialité de l’écriture, c’est-à-dire une manière d’écrire pour les femmes et une, différente, pour les hommes.

De ce point de vue, le XIXe siècle a joué un rôle important dans l’entreprise d’invisibilisation des femmes, qui s’inscrit dans une période d’assujettissement légal et civil (le Code napoléonien). On le perçoit bien, dans le domaine littéraire, à travers les attaques formulées contre George Sand (qui a pris comme pseudonyme un nom d’homme) ou les désattributions, comme celle qui a affecté Claire de Duras pour Ourika (1824) - l’histoire de la favorite noire de la maréchale de Beauvau -, ouvrage qui connut un véritable succès.

Une difficulté supplémentaire apparaît dans le cas de Louise Labé, qui est issue d’une famille de cordiers (des artisans et marchands de cordes, généralement incapables de signer les actes notariés) et elle-même mariée à un cordier. Comment une femme du peuple a-t-elle pu écrire ces textes imprégnés de culture humaniste ? Diverses hypothèses ont été formulées, mais il y a bien « énigme », de ce point de vue.

De l’énigme à l’impossibilité, il n’y a qu’un pas pour certains : on passe allègrement de l’absence d’éléments pour expliquer (on ne comprend pas) à l’absence d’existence du phénomène, donc à la nécessité de trouver une autre explication (c’est un leurre). Le manque d’éléments explicatifs correspond pourtant surtout à un état actuel des connaissances. Peut-être la perte de documents d’archives sur la jeunesse et la formation de Labé est-elle irrémédiable – il s’est déroulé cinq siècles. Mais l’absence de sources conservées sur un événement lointain ne signifie pas que ce dernier n’a pas eu lieu.

Cette « énigme » n’a pas été niée par les chercheuses et chercheurs qui ont travaillé sur les œuvres de Labé, dont sa première biographe rigoureuse, l’Anglaise Dorothy O’Connor, au début du XXe siècle. Lorsque Labé a connu un regain d’intérêt à partir des années 1960, grâce en particulier au courant féministe qui s’attache à remettre sur le devant de la scène des œuvres et des autrices, le problème a été laissé de côté parce qu’on se situait, d’une part, à une période qui faisait la part belle à l’œuvre, parfois au détriment des éléments biographiques, et parce que, d’autre part, cette œuvre s’inscrivait dans une démarche de réflexion et de théorisation, largement féministe, de l’écriture des femmes. C’est ainsi que pendant une quarantaine d’années ont paru des études, tant dans les milieux académiques qu’auprès du grand public qui permettent de mieux connaître l’œuvre de Labé. La biographie de Madeleine Lazard, publiée au début des années 2000 chez Fayard, prolonge ce mouvement, tout comme l’inscription des Œuvres de Labé au programme de l’agrégation de lettres en 2005. Cette étape est très importante, parce que cette inscription est conçue comme une forme de consécration : pour un auteur ou une autrice, c’est intégrer un patrimoine partagé et surtout transmis, c’est devenir un « classique », puisque pendant une année entière, de futurs enseignantes et enseignants lisent et approfondissent leur connaissance de l’œuvre. Ils sont alors plus enclins à l’inscrire dans leurs programmes d’enseignement par la suite.

De manière symptomatique, c’est à l’occasion de cette classicisation que les discours que l’on pourrait qualifier de révisionnistes sont ressortis, après l’accalmie relative du XXe siècle qui a accompagné le travail de redécouverte de l’œuvre et de l’autrice. Face à l’« énigme », Mireille Huchon a proposé la thèse suivante : Louise Labé n’a pas écrit les textes qui composent les Œuvres. Elle serait une prostituée (« La Belle Cordière de Lyon ») qui aurait servi de prête-nom, voire de cible aux moqueries d’un groupe de joyeux humanistes et poètes. La publication des Œuvres de Louise Labé Lionnoise serait un canular que tout le monde pouvait reconnaître. On retrouve ici des arguments formulés très ponctuellement à la fin du XVIe siècle, et repris aux XIXe et au début du XXe siècle.

La Vie des idées : L’activité intellectuelle d’autres écrivaines de la Renaissance a-t-elle également été sous-évaluée ?

La suite ci-dessous :

https://laviedesidees.fr/L-affaire-Louise-Labe.html

 

Jean Vinatier

Seriatim 2022

 

 

Guerre du blé : patience russe, cynisme américain, hébétement européen N°5869 16e année

 Tout l’édifice tient mais pour combien de temps : déshabiller Pierre, pour habiller Paul ? Les européens lancés par les américains dans une course à l’échalotte de sanctions contre la Russie depuis 2014 et renforcées après l’invasion de l’Ukraine le 24 février, commencent à s’ébattre de tous les côtés.

Quoique à charge, l’article de l’Opinion (ci-dessous) de Pascal Airault et Emmanuelle Ducros résume bien la situation présente : l’impossibilité d’exportation du blé ukrainien commence à produire ses effets d’autant plus que la récolte de 2022 s’annonçant, il pourrait se produire une catastrophe frumentaire double : le blé stocké pourrissant tout en empêchant le stockage à venir….

Les Atlantiques (USA/européens) ont sorti les outils financiers et la fourniture d’un armement considérable pour piéger la Russie dans sa conquête ukrainienne et ont tenté de mettre en place un embargo voué à l’échec, l’Asie refusant de jouer le jeu. Si la Russie a échoué à s’emparer de Kiev, son repli vers le Donbass piège à son tour l’armée ukrainienne (reddition des troupes à Marioupol, des combattants étrangers du bataillon Azov à Azovstal ). En ce moment, l’armée russe accentue son avantage, le président Zélensky ne pouvant plus minorer la situation négative.

Se pose la question pour Washington de fournir ou pas des armes plus puissantes et aux effets à plus longue portée (donc sur le territoire russe) ? Il y aurait là un Rubicon dangereux à franchir.

Se pose pour la Russie la question de savoir si la guerre du blé qui s’ajoute à celle énergétique, est jouable à terme ?

Les européens se démènent pour trouver ici et là des wagons et des voies ferroviaires pour diminuer partiellement le stockage du blé mais d’autres fronts s’ouvrent sur le plan alimentaire : l’Inde qui a bloqué ses exportations de blé, le fait pour le sucre et qui sait, demain, pour le riz , la Malaisie celles des poulets…etc. Comme le note Les Echos : « la tendance est à la fermeture des marchés mondiaux de denrées alimentaires ».

Jusqu’à présent, bien des États purent acheter les paix sociales via les facilités de caisse des banques centrales mais contre les pénuries alimentaires, il sera bien difficile de bénéficier de telles libéralités monétaires. Quand le frigo est vide peu importe que le compte en banque ne le soit pas : l’argent permet de vous nourrir à la condition qu’il y ait un marché ! Si les circuits mondiaux de denrées alimentaires se dérèglaient, nous aurions des « printemps arabes » partout. Si les centres commerciaux ont fait des stocks qu’ils gèrent d’une façon spéculative, ces derniers ne sont pas inépuisables. L’industrie alimentaire faute de blé baissera le rideau ?

Les États-Unis très éloignés de ces problématiques parce qu’ils se considèrent en auto-suffisance globale, maintiennent la pression sur les européens pour que ces derniers ne faiblissent pas contre la Russie mais l’Union européenne est dans un environnement géopolitique plus bouillonnant et plus dangereux, elle est aux premières loges conflictuelles.

Plus ce conflit russo-ukrainien s’éternisera, plus les craquements s’opéreront. On voit bien qu’à terme, les intérêts vitaux européens et américains ne seront pas les mêmes. Il est nécessaire de bien séparer la soumission des dirigeants, politiques, économiques, financiers, militaires européens face aux États-Unis pour lesquels ils se prostituent sans vergogne avec les populations européennes qui sont les fondations de ce qui fait l’édifice. Si Washington supporterait un chaos dont elle n’aurait que peu de contre-coups (à court terme oui), en Europe tel ne serait pas le cas : nœud gordien ?

Ce conflit apporte la preuve supplémentaire de la différence fondamentale entre des géants (Russie, Chine, États-Unis, Inde…etc) qui peuvent chacun à leur façon mettre en place des tactiques et des stratégies longues qui s’appuient toutes sur des forces industrielles et une identité nationale puissante quand l’Union européenne s’étripe sur le sexe des anges et croit bêtement que la soumission aux États-Unis est la sauvegarde en tout. Les États-Unis font leur politique avec leur logique nationale s’arrogeant des extra-territorialités à leur convenance parce qu’ils sont une nation souveraine ce que l’Union n’est pas, ce que les États européens ne sont plus.

La guerre en Ukraine est donc une totalité tragique d’abord parce que ce pays est le champ clos d’essais, de répétitions belliqueuses de demain entre les USA et la Chine par Russie interposée, les ukrainiens étant les sacrifiés. Ensuite, on est bien au-delà des partages de la Pologne au XVIIIe siècle, on est dans un degré supplémentaire, prendre un pays et le broyer d’en faire une expérience pour la prochaine confrontation. Enfin, parce que s’affiche la béance européenne face aux autres continents

Cela étant dit, tous ces acteurs ont-ils la maitrise des fléaux enclenchés ? Car il s’agit bien de fléaux, militaires financiers, frumentaires, humains qui se heurteront demain aux fléaux climatiques indépendants des calculs des Etats ?  

Chacun croit aujourd’hui tout maitriser via les technologies (IA) mais des États démocratiques ou pas mettent en place des contrôles sociétaux car l’on sait que la servitude volontaire a une limite, que l’homme dans sa profondeur à un moment refuserait de courber l’échine,

Cette guerre du blé (dans tous les sens du terme) met au fronton, la patience russe, le cynisme américain, l’hébétement européen et diffuse déjà des ondes aux vibrations bouleversantes….

 

A lire :

https://www.lopinion.fr/international/guerre-du-ble-loccident-dans-le-piege-russe?actId=ebwp0YMB8s3YRjsOmRSMoKFWgZQt9biALyr5FYI13Op4x_yGXLpALxR8nw116tr5&actCampaignType=CAMPAIGN_MAIL&actSource=503875

 

Jean Vinatier

Seriatim 2022