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dimanche 15 mai 2022

« J’espère que l’interrègne ne conduira pas à la disparition de l’ordre post-1945 » Wolfgang Ischinger N°5863 16e année

 Long entretien instructif où l’on note qu’un ancien ambassadeur allemand et vice-ministre des affaires étrangères se réjouit de la fin de Nord Stream II qu’il présente comme une décision allemande. 

Quoique l’on puisse penser de la politique allemande jusqu’à la fin du ministère Merkel, il y a eu un essai de frayement géopolitique et géostratégique de la part de Berlin pour devenir indispensable entre Pékin, Moscou, Ankara, Londres et Washington et le Nord Stream II semblait parachever cet objectif. Ce sont les États-Unis de Joe Biden qui cassèrent cette ambition via le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Dans le déroulé de cet entretien, on relèvera le nombre de « j’espère » avec naturellement le plaidoyer pro-Atlantique sous l’égide nord-américaine que je ne vois pas favoriser le multilatéralisme auquel fait référence cet ancien diplomate. Au contraire, nous assistons à une montée en puissance des États-Unis dans leur combat contre la Chine, l’Ukraine n’étant qu’un galop d’essai par Russie interposée, une Russie qui devrait être la première puissance à succomber, l’Union européenne, elle, otanisée et ligotée donc sans laisser de marge réelle aux deux capitales, Berlin et Paris.

Article le Grand continent :

«Alors que l'Europe se recompose à la suite de l'invasion de l'Ukraine, l'ancien président de la Conférence sur la sécurité de Munich se confie dans un entretien fleuve au Grand Continent. Selon lui, s'il faut admettre l'interrègne, il serait dangereux de s'y résoudre. » 

« Pierre Ramond : Ma première question porte sur la réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République. Que pourrait-elle signifier pour l’avenir des relations franco-allemandes ? Vous écrivez dans votre livre World in danger , paru en 2020, « Nous avons une opportunité commune dans les années à venir de faire avancer l’Europe avec un duo franco-allemand plus fort – le couple franco-allemand comme on dit à Paris ». Est-ce encore plus vrai aujourd’hui et quelle perspective cette élection ouvre-t-elle ?

Wolfgang Ischinger : Laissez-moi commencer par dire que nous, Allemands, devrions féliciter nos voisins français pour le résultat de cette élection. L’alternative aurait été difficile à digérer, pour le dire diplomatiquement. Je suis extrêmement heureux et soulagé de voir qu’Emmanuel Macron a été réélu. S’il y avait, quand j’ai écrit mon livre, une opportunité pour la France et l’Allemagne de mener ensemble l’Union à un nouveau niveau de respectabilité et de capacité, cette opportunité est aujourd’hui encore plus grande.

Contrairement à la situation dans laquelle nous nous trouvions il y a deux ans, il est désormais urgent d’avancer. En effet, aujourd’hui, alors que l’Europe est menacée, le Président français dispose d’une capacité unique à changer la donne, en raison de ses prérogatives de commandant des Armées et de ministre « suprême » des affaires étrangères. Certes, il n’en va pas de même en Allemagne, mais Olaf Scholz a été élu à l’automne dernier, si bien que ces deux dirigeants entrent dans une période de stabilité d’au moins trois ans et demi, avant les prochaines élections allemandes. Je pense que s’ils n’utilisent pas cette opportunité pour faire avancer l’Union, pour transformer le statu quo, alors une opportunité historique aura été manquée.

Permettez-moi d’ajouter que l’Allemagne a manqué l’occasion de répondre de manière adéquate aux initiatives proposées par le président Macron en 2017, lors du fameux Discours de la Sorbonne. Je pense donc qu’il est maintenant grand temps pour ces deux leaders de transformer l’Europe. Cela ne signifie pas que l’Allemagne et la France peuvent diriger l’Union comme elles l’ont fait à l’époque de l’ère Mitterrand-Kohl. La situation est plus compliquée car il y a beaucoup plus d’Etats membres. En revanche, ils peuvent montrer la voie ensemble en faisant appel à d’autres Etats membres susceptibles d’être des co-leaders, qu’il s’agisse de l’Italie, de l’Espagne ou de la Pologne. Cette tâche est complexe, mais extrêmement urgente et importante. J’espère que l’opportunité sera saisie dans les semaines à venir et non dans les années à venir. Un premier signal doit être envoyé par Paris et Berlin dans cette crise actuelle extrêmement difficile pour la sécurité européenne.

L’une des difficultés que rencontrent les relations franco-allemandes est la question de l’énergie et de l’embargo potentiel sur le gaz et le pétrole de la Russie. La position du chancelier allemand évolue assez rapidement sur ce point. Le 4 mai, la Commission a proposé un embargo de six mois sur le pétrole et le gaz. Pensez-vous que cette question majeure du pétrole et du gaz sera résolue et comment voyez-vous l’évolution de la position allemande sur ce point ?

Dans le domaine de l’énergie, nous avons une tâche particulièrement difficile. La politique énergétique française est sensiblement différente de la politique allemande. C’est le cas depuis de nombreuses années. La France s’appuie sur le nucléaire tandis que l’avons abandonné. Personnellement, je  pense que c’était une erreur, mais cette décision a été prise. Or si nous voulons travailler à la construction de l’Union pour qu’elle soit reconnue comme un acteur crédible de la politique étrangère par le reste du monde, nous ne pouvons pas laisser de côté le domaine de l’approvisionnement en énergie et de la politique énergétique dans la formulation de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union. Il faut inclure l’énergie dans la réflexion sur la politique étrangère et de sécurité européenne. Par le passé, l’Allemagne a insisté pour mener sa propre politique énergétique nationale. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons lancé Nord Stream I, puis Nord Stream II, en dépit des avertissements de nombre de nos partenaires, dont la France, le Parlement européen et notre voisinage oriental. Aujourd’hui, avec le recul, l’Allemagne a commis une énorme erreur stratégique. Nous essayons maintenant de changer cela rapidement. Déjà, l’Allemagne a accepté le fait que l’énergie doit faire partie de la réflexion collective sur la politique étrangère européenne. L’accès au gazoduc Nord Stream I est désormais soumis à la réglementation européenne et non plus à celle de l’Allemagne. Je pense que le gazoduc Nord Stream II ne sera pas opérationnel de notre vivant. Ce n’est pas un vrai problème pour le moment.

Deuxièmement, l’Allemagne vient de se mettre d’accord avec la plupart de ses partenaires pour mettre fin à ses importations de pétrole en provenance de Russie. Il s’agit d’une décision capitale qui, à l’heure où nous parlons, est en passe d’être traduite par une décision à Bruxelles. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un embargo complet, car certains pays sont tellement dépendants qu’ils ne peuvent pas, pour l’instant, mettre fin à l’intégralité de leurs importations de pétrole russe. Il s’agit d’une mesure très audacieuse car la dépendance au pétrole est, dans nos relations avec la Russie, encore plus importante que la dépendance au gaz. En ce qui concerne le gaz, le nouveau gouvernement allemand travaille très dur pour réduire notre niveau de dépendance. Dans ce domaine, je suis tout à fait convaincu que dans quelques mois, et non dans quelques années, nous pourrons nous mettre d’accord pour cesser complètement ou presque de payer des factures de gaz à la Russie, qui lui permettent de financer son aventurisme militaire. Il y a maintenant un processus de convergence en cours qui permettra à l’Allemagne et à la France, en partant de situations énergétiques très éloignées, de trouver une position commune. Nous sommes en bonne voie dans le processus de convergence qui est une précondition essentielle pour prendre des mesures communes dans tous les domaines connexes concernant la politique étrangère, la sécurité et aussi la défense. »

La suite ci-dessous :

https://legrandcontinent.eu/fr/2022/05/11/jespere-que-linterregne-ne-conduira-pas-a-la-disparition-de-lordre-post-1945-une-conversation-avec-wolfgang-ischinger/?mc_cid=63ccb6ba9f&mc_eid=9385cf1978

 

 

Jean Vinatier

Seriatim 2022

 

 

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