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vendredi 20 mai 2022

« Autonomie stratégique européenne » ? par Max Bergmann N°5866 16e année

 « La suite des articles et entretiens proposés par Le Grand continent. Aujourd’hui, Max Bergmann, directeur du programme Europe du Center for Strategic and International Studies (CSIS)….

Comment continuer à servir l’empire et illusionner les Européens sur leur autonomie stratégique » A moins que les États-Unis ne s’effondrent de l’intérieur, rien n’indique de leur part une quelconque évolution positive envers le continent européen. Le grand tort des européens est justement de ne pas avoir une ambition d’indépendance et de danser autour de l’autonomie, un fourre-tout communicationnel…. »

Entretien :

« Il est temps de changer le terme d’autonomie stratégique européenne », une conversation avec Max Bergmann »

« Marin Saillofest (Le Grand continent)  : La guerre en Ukraine, survenue quelques mois après le retrait d’Afghanistan, contraint Washington à repenser le rôle que les États-Unis souhaitent jouer dans le monde. Comment définiriez-vous la position américaine actuelle ? Sommes-nous en train d’assister à une nouvelle forme d’interventionnisme, d’internationalisme ?

Je pense que ce que nous avons vu au cours de l’année dernière est la concrétisation du pivot qui s’est amorcé à la suite de l’ère ouverte par le 11 Septembre. La décision de Joe Biden de poursuivre le retrait, mis en place par l’administration Trump, était un signe que les États-Unis étaient prêts à tourner la page, et à ne pas poursuivre les guerres contre le terrorisme que nous avions menées ces 20 dernières années. Le retrait d’Afghanistan, parce qu’il s’est si mal déroulé, a été mal interprété par de nombreux Européens qui y ont vu le retrait total des États-Unis, ces derniers redevenant isolationnistes à nouveau.

En fait, il s’agissait simplement de la reconnaissance de l’existence de menaces majeures dans le monde, principalement la Chine — qui était la principale préoccupation de l’administration de Joe Biden — mais également la Russie, et du retour à une ère de compétition entre grandes puissances. Sachant ce que l’on sait maintenant, les États-Unis auraient-ils dû garder des forces en Afghanistan ? Quel en aurait été l’impact ? Toutes ces questions peuvent être posées, mais je pense que l’élan qui a découlé du retrait d’Afghanistan n’était pas isolationniste, mais bien internationaliste. Ce qui se passe en Ukraine, au moment où nous parlons, démontre la justesse de ce raisonnement.

La guerre en Ukraine a suscité un élan de solidarité de la part des élus américains, républicains comme démocrates. Existe-t-il un consensus bipartisan sur la politique que les États-Unis doivent mener vis-à-vis de l’Ukraine ? Quelles en sont les limites ?

Je pense qu’il y a vraiment un consensus bipartisan, ce qui ne veut pas dire que Biden va nécessairement en bénéficier politiquement si celui-ci conserve sa position affirmée, et continue à fournir à l’Ukraine les armes dont le pays a besoin. À l’heure actuelle, l’administration est critiquée, particulièrement par les Républicains, qui accusent la Maison-Blanche de ne pas en faire assez. Le clivage partisan est maintenant dépassé, la plupart des Républicains soutenant que nous devrions en faire encore plus. Cette guerre a réveillé le transatlantisme qui existait dans les deux partis politiques, et l’a mis en évidence.

Bien sûr, il y a quelques voix aux extrêmes — en particulier à droite — qui ont défendu l’idée que les États-Unis devraient rester en retrait vis-à-vis de ce conflit, ce qui n’a toutefois pas conquis le Parti républicain, en particulier au Congrès. Cette guerre a également démontré l’importance de l’OTAN pour Washington, la forte réponse européenne y rendant les États-Unis plus favorables. L’un des problèmes de l’OTAN et de l’alliance transatlantique de manière générale est qu’au cours des deux dernières décennies, Washington a eu le sentiment que l’Europe n’en faisait pas assez. Les pays européens ne dépensaient pas assez pour leur propre dépense, ce qui faisait reposer la sécurité mondiale principalement sur les États-Unis. Mais il est désormais impossible de suivre ce conflit et de dire que les Européens n’ont pas pris leurs responsabilités.

La réponse européenne a été incroyablement forte, particulièrement du côté allemand compte tenu de leur dépendance au gaz russe, dont une quantité importante devait passer par le gazoduc Nord Stream 2. Cette réponse change la perception de l’Europe vue de Washington et renforce les liens ainsi que l’attachement des États-Unis à l’alliance transatlantique.

Un récent sondage du Washington Post et d’ABC News a révélé que 66 % des Américains craignent que les sanctions contre la Russie ne contribuent à l’augmentation des prix des denrées alimentaires et de l’énergie aux États-Unis1. Le dernier taux d’inflation pour le mois de mars étant de 8,5 % aux États-Unis — descendu à 8,3 % en avril — , est-ce que la position de Washington sur les sanctions contre la Russie est viable d’un point de vue de politique intérieure ?

Ces réponses sont très légitimes. Je suis moi-même préoccupé par les effets inflationnistes des sanctions et par l’impact de cette guerre sur l’économie mondiale au sens large. Je ne pense toutefois pas que les Américains fassent le lien avec les sanctions, mais avec la guerre. Poutine a envahi un pays qui est en quelque sorte le grenier du monde, ce qui a pour conséquence de faire grimper les prix des denrées alimentaires. La Russie est également un important producteur de pétrole et d’énergie, de sorte que la faute revient en grande partie à Vladimir Poutine. Ce n’est pas très bon pour la cote de popularité du président Biden, ni pour les démocrates probablement, mais nous venons d’assister à une élection en France au cours de laquelle l’inflation et le pouvoir d’achat étaient parmi les sujets les plus importants, et le candidat sortant a obtenu 58,55 % des voix au second tour.

Le public est inquiet et n’aime pas voir les prix augmenter, mais il comprend également que ce n’est pas le président Biden qui est à l’origine de cette décision, mais Vladimir Poutine. Il est un peu trop tôt pour savoir quelles vont être les conséquences politiques de ces retombées économiques, mais la force des États-Unis est que — et nous l’avons vu pendant l’administration Trump — notre politique étrangère, et cela est souvent critiqué, ne suit pas exactement les lignes de l’opinion publique. Cette dernière a sans aucun doute un impact sur notre politique étrangère, mais à moins qu’il n’y ait un lien clair, elle ne s’impose pas au politique. Les États-Unis sont incroyablement engagés, le président Biden lui-même, à faire en sorte que cette guerre se solde par une défaite stratégique pour la Russie. En conséquence, je ne pense pas qu’il y aura un quelconque affaiblissement des sanctions américaines ou de la réponse économique en raison de la pression de l’opinion publique.

Les crises ont la vertu de provoquer une réflexion et des changements dans la conduite de la politique. Quels enseignements l’administration américaine va-t-elle tirer, à ce stade, de la guerre en Ukraine ? Quels changements potentiels pouvons-nous attendre ?

Cette guerre a démontré la nature potentiellement critique des systèmes de sécurité, et je pense qu’il incombe aux États-Unis de regarder ce qui s’est passé en Ukraine et d’en tirer quelques leçons. L’une des raisons pour lesquelles les États-Unis ont pu fournir autant d’assistance sécuritaire à l’Ukraine est que la guerre a permis à l’administration de se débarrasser de toutes les procédures bureaucratiques existantes. L’argent n’était plus un problème. Il est généralement extrêmement difficile de fournir une assistance sécuritaire à des pays en crise, et surtout lors de crises qui surgissent très soudainement. »

La suite ci-dessous :

https://legrandcontinent.eu/fr/2022/05/19/il-est-temps-de-changer-le-terme-dautonomie-strategique-europeenne-une-conversation-avec-max-bergmann/?mc_cid=6889f27116&mc_eid=9385cf1978

 

Jean Vinatier

Seriatim 2022

 

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