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mardi 26 octobre 2021

Racisme : une passion d’en haut par Jacques Rancière N°5734 15e année

 La récente actualité permet de relire un texte très bien articulé du philosophe Jacques Rancière

« «Racisme d'Etat» et «racisme intellectuel "de gauche"» concourent ensemble à «l'amalgame entre migrant, immigré, arriéré, islamiste, machiste et terroriste», expliquait le philosophe Jacques Rancière, samedi 11 septembre 2010 à Montreuil (93), lors du rassemblement «Les Roms, et qui d'autre?» Mediapart publie ici sa contribution. » »

 

« Je voudrais proposer quelques réflexions autour de la notion de « racisme d'Etat » mise à l'ordre du jour de notre réunion. Ces réflexions s'opposent à une interprétation très répandue des mesures récemment prises par notre gouvernement, depuis la loi sur le voile jusqu'aux expulsions de roms. Cette interprétation y voit une attitude opportuniste visant à exploiter les thèmes racistes et xénophobes à des fins électoralistes. Cette prétendue critique reconduit ainsi la présupposition qui fait du racisme une passion populaire, la réaction apeurée et irrationnelle de couches rétrogrades de la population, incapables de s'adapter au nouveau monde mobile et cosmopolite. L'Etat est accusé de manquer à son principe en se montrant complaisant à l'égard de ces populations. Mais il est par là conforté dans sa position de représentant de la rationalité face à l'irrationalité populaire.

Or cette disposition du jeu, adoptée par la critique «de gauche», est exactement la même au nom de laquelle la droite a mis en œuvre depuis une vingtaine d'années un certain nombre de lois et de décrets racistes. Toutes ces mesures ont été prises au nom de la même argumentation: il y a des problèmes de délinquances et nuisances diverses causés par les immigrés et les clandestins qui risquent de déclencher du racisme si on n'y met pas bon ordre. Il faut donc soumettre ces délinquances et nuisances à l'universalité de la loi pour qu'elles ne créent pas des troubles racistes.

C'est un jeu qui se joue, à gauche comme à droite, depuis les lois Pasqua-Méhaignerie de 1993. Il consiste à opposer aux passions populaires la logique universaliste de l'Etat rationnel, c'est-à-dire à donner aux politiques racistes d'Etat un brevet d'antiracisme. Il serait temps de prendre l'argument à l'envers et de marquer la solidarité entre la «rationalité» étatique qui commande ces mesures et cet autre –cet adversaire complice– commode qu'elle se donne comme repoussoir, la passion populaire. En fait, ce n'est pas le gouvernement qui agit sous la pression du racisme populaire et en réaction aux passions dites populistes de l'extrême-droite. C'est la raison d'Etat qui entretient cet autre à qui il confie la gestion imaginaire de sa législation réelle.

J'avais proposé, il y a une quinzaine d'années, le terme de racisme froid pour désigner ce processus. Le racisme auquel nous avons aujourd'hui affaire est un racisme à froid, une construction intellectuelle. C'est d'abord une création de l'Etat. On a discuté ici sur les rapports entre Etat de droit et Etat policier. Mais c'est la nature même de l'Etat que d'être un Etat policier, une institution qui fixe et contrôle les identités, les places et les déplacements, une institution en lutte permanente contre tout excédent au décompte des identités qu'il opère, c'est-à-dire aussi contre cet excès sur les logiques identitaires que constitue l'action des sujets politiques. Ce travail est rendu plus insistant par l'ordre économique mondial. Nos Etats sont de moins en moins capables de contrecarrer les effets destructeurs de la libre circulation des capitaux pour les communautés dont ils ont la charge. Ils en sont d'autant moins capables qu'ils n'en ont aucunement le désir. Ils se rabattent alors sur ce qui est en leur pouvoir, la circulation des personnes. Ils prennent comme objet spécifique le contrôle de cette autre circulation et comme objectif la sécurité des nationaux menacés par ces migrants, c'est-à-dire plus précisément la production et la gestion du sentiment d'insécurité. C'est ce travail qui devient de plus en plus leur raison d'être et le moyen de leur légitimation.

La suite ci-dessous :

https://blogs.mediapart.fr/edition/roms-et-qui-dautre/article/140910/racisme-une-passion-den-haut

 

 

Jean Vinatier

Seriatim 2021

 

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