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mercredi 16 décembre 2020

Le défi agricole de l’Anthropocène par Bertrand Valiorgue N°504714e année

« Bertrand Valiorgue est professeur de stratégie et gouvernance des entreprises à l’Université Clermont Auvergne. Il est titulaire de la Chaire Alter-Gouvernance spécialisée dans l’étude de la gouvernance des coopératives agricoles. »

« Que sera l’agriculture de demain ? Y aura-t-il encore place pour une agriculture ? Ce qui est certain, c’est que l’heure sonne d’une refonte complète d’un modèle désormais caduc. Cet essai envisage les scénarios possibles.

L’agriculture est le plus ancien des problèmes auxquels les sociétés humaines ont été confrontées. Pendant toute leur histoire, les sociétés occidentales et les institutions qui les gouvernaient ont eu maille à partir avec des famines, des crises alimentaires, des disettes qui décimaient les populations et compromettaient toute forme de progrès social, culturel et économique. Cette dure réalité est encore celle de nombreux pays. Le basculement dans l’ère géologique de l’Anthropocène fait ressurgir ces questionnements et impose une refonte complète de notre modèle agricole.

L’agriculture, première victime de l’Anthropocène

Les systèmes alimentaires que l’Occident est parvenu à mettre en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale ont fait preuve d’une réussite incontestable en matière de quantité et de qualité de la nourriture mise à disposition du plus grand nombre à un coût qui n’a jamais cessé de diminuer. Depuis le début des années 1950, la part des dépenses engagées par les Occidentaux pour s’alimenter a été divisée par cinq. Le budget alimentaire des ménages représente désormais une fraction modeste des dépenses courantes qui est en France de l’ordre de 14 %.

Cette sécurisation des besoins alimentaires n’est pas tombée du ciel. Elle est issue d’un gigantesque travail de transformation de l’agriculture qui a conduit les pays occidentaux à développer des politiques publiques afin de transformer les pratiques agricoles pour simultanément doper les volumes de production, générer de la variété alimentaire et réduire la part des dépenses consacrées à l’alimentation. Les politiques agricoles de l’Europe et des États-Unis sont sans équivalent dans l’histoire de l’humanité et seule une volonté politique constante a pu conduire à la souveraineté alimentaire telle que nous la connaissons actuellement en Occident (Pisani, 1994).

Tout est pensé aujourd’hui en Occident comme si la question agricole et alimentaire était définitivement dépassée. Pourtant, un simple regard sur nos systèmes alimentaires permet de prendre conscience des immenses fragilités qui, si rien n’est fait, pourraient réduire à néant plusieurs décennies de progrès et d’efforts. Cette très grande fragilité provient d’une transformation profonde et irréversible du système Terre qui se traduit par un basculement dans une nouvelle époque géologique : l’Anthropocène.

La partie la plus visible et la plus commentée de cette bascule dans l’ère géologique de l’Anthropocène est sans aucun doute l’augmentation des températures et le changement climatique. Cette augmentation progressive des températures à un rythme et des niveaux que l’on a du mal à stabiliser n’est toutefois qu’une fraction des changements qui sont aujourd’hui à l’œuvre. Une multitude de changements sont en cours. Ils vont faire émerger une planète aux caractéristiques et mode de fonctionnement totalement inédits (Bonneuil & Fressoz, 2016).

L’activité agricole est directement bouleversée par ces changements.

Les plantes et les animaux que les humains ont mis des milliers d’années à domestiquer sont de moins en moins adaptés aux caractéristiques du système Terre qui émergent. Cela signifie deux choses. D’une part, les connaissances acquises pour maîtriser les cycles biologiques des espèces végétales et animales actuelles deviennent de plus en plus caduques, car ces connaissances ne sont valables que dans des conditions pédoclimatiques

stables et connues. Un nouveau climat signifie un nouveau comportement des plantes et des animaux, de nouvelles pathologies, et donc de nouvelles pratiques agricoles qui sont à inventer, tester et apprendre. D’autre part, ce nouveau système Terre implique en toute logique de s’intéresser à de nouvelles variétés de végétaux ou d’animaux plus adaptées au nouveau climat et qui n’ont pas été ou très peu mobilisés dans le cadre de l’activité agricole. Il faut ainsi se lancer dans l’exploitation de cycles biologiques (animaux ou plantes) dont les agriculteurs ne connaissent pas ou mal les caractéristiques.

Le système Terre se transforme sous nos yeux et il ne retrouvera plus jamais les équilibres et la grande stabilité que nous avons connus. L’agriculture et nos systèmes alimentaires sont puissamment impliqués, car les transformations du système Terre modifient le comportement des plantes et des animaux qui ne réagissent plus de la même façon. Il y a moins d’eau, plus de lumières, plus de CO2 dans l’atmosphère, plus d’évènements extrêmes, moins de biodiversité. Nous sommes en train de basculer dans un monde dans lequel l’agriculture va devenir de plus en plus compliquée, incertaine et coûteuse, voire tout simplement impossible dans certaines régions.

 La suite ci-dessous :

https://laviedesidees.fr/Le-defi-agricole-de-l-Anthropocene.html

 

Jean Vinatier

Seriatim 2020

 

 

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