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lundi 25 janvier 2021

L’exécution du roi par Jean-Clément Martin N°5087 15e année

Ce 21 janvier 2021 pour le souvenir de la mort de Louis XVI, une belle messe de requiem se tint en la cathédrale de Mirepoix, ville où réside l’actuel comte de Paris. A ce moment sortait le dernier ouvrage de Jean-Clément Martin (L’exécution du roi) qui revisite avec nuances et tempérances, la décennie révolutionnaire : biographie sur Robespierre, livres sur la Vendée, conférences autour de la « Terreur » et de la Révolution dans son ensemble.

Précisons d’emblée que L’exécution du roi raconte les circonstances dans lesquelles on y aboutit et non le procès en tant que tel du souverain déchu. Effectivement, Louis XVI n’y apparait pas en personnage central. Il est, si j’ose l’écrire, une boule de billard que les joueurs se renvoient jusqu’à la fin de partie. Les lecteurs de ce livre ne pourront y trouver de matière supplémentaire à connaître les détails du procès du Roi, ni le déroulé de son emprisonnement au Temple (Charles-Eloi Vial, La famille royale au Temple, Perrin, 2018), pas même les plaidoiries des avocats de Louis XVI ni celles des députés intervenants qui furent plus imprimées que lues pour accélérer le procès.

L’exécution du roi de Jean-Clément Martin pose sa trame sur celle avancée, sans le citer, par Emmanuel de Waresquiel (Sept jours, 17-23 juin 1789, la France entre en révolution, Taillandier, 2019) le choix tellurique pris par quelques hommes du Tiers-Etat de se déclarer assemblée nationale augurant d’un bouleversement colossal, à savoir la mise de côté, avant sa déchéance, du Roi. Un terme qui n’explose pas d’emblée à la face de la France mais qui y fait son lit (Alexandre Maral, Les derniers jours de Versailles, Perrin, 2018) dès juin, juillet, octobre 1789. Le retour contraint en octobre 1789 du Roi à Paris oblige l’assemblée nationale à le suivre en novembre. Ce déplacement de l’exécutif et du nouveau législatif, loin de débuter une stabilité fait entrer sur la scène un autre acteur majeur, la commune de Paris au sens large (la mairie, les assemblées municipales, les Sans-culottes, les gardes nationaux, la presse, l’opinion publique)

Le retour royal avec l’assemblée face à la commune seront trois entités où chacune d’entre elle ne présentera aucune unité mais où s’épanouiront dans chaque camp, les divisions, les oppositions, les adversités, les surprises.

Les députés mettront deux années pour écrire la première constitution celle du 3 septembre 1791, la seconde sera celle de l’An I (24 juin 1793) qui restera lettre morte, une troisième en l’an III (22 août 1795), la quatrième celle du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) installera le Consulat prélude à l’Empire.

Ce rappel chronologique pour souligner le chaotique institutionnel français où le vide prédomine : d’abord entre juin 89 et septembre 91 puis ce moment inédit où l’assemblée abolit la royauté le 13 août 1792 avant de proclamer la République le 21 septembre 1792 puis de rester face à une Constitution de 1793 non effective…..

L’obsession de la Révolution, outre celui du complot, est la peur de l’émergence d’une tête. Du 17 juin 1789 à 1799 (coup d’Etat des 17-19 Brumaire an VIII), il est clair que les différents et nombreux acteurs de cette période historique vont se déchirer, s’entretuer autour, notamment, de cette hantise d’un retour du tyran, du despote. La situation explosive de la fin de l’été et de l’automne 92 fera que l’assemblée se défoulera contre Louis XVI en l’accablant de tous les noms, les furies orales masquant les méfiances réciproques entre girondins, entre jacobins (futurs montagnards) et les uns-vis-à-vis des autres sans oublier les sections sans-culottes, la commune de Paris tiraillée entre une mairie plutôt girondine et des assemblées plus radicales. Ainsi sur le papier, le Roi aurait-il pu tirer parti de ces effervescences multiples y compris lors de son procès mais comme pour la période allant de juin 89 au 10 août 92, plus personne n’avait prise sur rien. Louis XVI pouvait charger Radis de Sainte-Croix d’acheter certains acteurs ceux-ci n’étaient que des individus : aucun n’avait une clientèle à l’inverse de l’époque de la Fronde.

Le procès du Roi se déroulera dans une « position voisine de l’impeachment américain, puisque rien dans la Constitution de 1791n’avait été prévu pour le juger politiquement et qu’il fallait des preuves tangibles de sa mauvaise conduite pour engager une procédure légale -par exemple, se mettre à la tête d’armées étrangères. Le roi avait dû être réduit à une personne privée pour être justiciable, ce qui avait été l’objet de débats jusqu’aux premiers jours de décembre. Une fois le procès ouvert, la Convention se trouve dans un cas de figure échappant à la justice ordinaire. Il n’y a plus de légalité au sens strict, faute de Constitution, seule reste la légitimité née de l’insurrection du 10 août, c’est-à-dire la Révolution. »1Et c’était bien là le problème !

Révolution : pour certains il fallait donc exécuter Louis Capet au nom de l’insurrection, pour d’autres, il fallait y mettre les formes d’où le procès. Si la Gironde parvient à mettre en place le jugement du roi, c’est dans une assemblée de « 700 hommes en colère » que Jean-Clément Martin répartira en six groupes : « les légalistes, les progressistes, les républicains, les hésitants, les intransigeants, les tyrannicides »2 où le roi n’est plus que le catalyseur de tous les emportements et les ardeurs. C’est la seconde tragédie pour Louis XVI, un martyr qui explique sans doute pourquoi, il ne parut pas acteur de son procès.

« Le jugement du roi est bien la partie visible de la lutte entre groupes révolutionnaires pour déterminer le sens de la République à venir et délimiter les parts respectives des hommes du 10 août, des Jacobins et des Girondins. »3

Comment analyser les votes qui scellèrent le sort du roi qui devait disparaitre sans que soit levée « l’opposition entre le projet girondin, celui d’une république républicaine, et le projet jacobin, qui serait plutôt celui d’une révolution mystique et romantique […..]Les Girondins voulaient supprimer la fonction et le symbole monarchiques, sans toucher éventuellement le corps physique du roi […..], les Jacobins confondaient les deux corps du roi, la personne physique et la personne politique, ce qui rendait le sacrifice nécessaire»4

Cependant, si l’assemblée, toujours girondine, condamnera le roi, elle en laissera l’exécution à la commune de Paris : aucun député n’assistera place de la révolution au 21 janvier. C’est peu dire, le malaise, le je-ne-sais-quoi qui n’aurait pas dû conduire ces hommes et le roi à ce 10H22 du 21 janvier 1793.

Pensez que six mois plus tôt, au Champs de Mars, le 14 juillet 1792, Louis XVI, moins impopulaire après la journée du 20 juin, trônait pour la Fête de la Fédération !

Mystère de la psychologie des foules ? Longtemps, on crut que Varennes en juin 1791 avait détruit la royauté, mais sans doute pas. Les députés à l’instar de la France entière avaient le tournis débuté un 17 juin 1789.

Ce matin du 21 janvier ne réglera en rien les antagonismes politiques.

La chute de Robespierre le 27 juillet 1794, après celles des girondins, des hébertistes, des dantonistes, puis en 1795 la mise au pas des sans-culottes puis des babouvistes en 1796 (conjuration des égaux) marquent le début d’un Directoire réactionnaire qui règle ses comptes avec le peuple appelé aux armes en juillet 1789 et qui ne voulait plus les rendre. La révolution bourgeoise des 17-23 juin 1789 faillit périr corps et bien entre 1793 et 1794 avant de reprendre pas à pas les rênes quitte à, comme l’écrivent si bien Marc Belissa et Yannick Bosc dans leur ouvrage, à assumer un Directoire ou une « république sans la démocratie »5  pour remettre in fine les clés à un général Bonaparte, via un coup d’état financé par des banquiers franco-suisses6. La révolution bourgeoise se terminait, elle s’installait dans les palais des lys et ne les quitterait plus jusqu’à nos jours : tous les régimes qui se succédèrent furent entre leurs mains. La bourgeoisie, on l’oublie, est une classe sociale d’une violence extrême voire totale qui n’a rien à envier à des « rouges » ainsi les répressions, le 10 juin 1848, en mai 1871 contre la Commune.

Ce détour pour revenir à cette Exécution du roi que Jean-Clément Martin a exploré, décortiqué avec rigueur, se frottant à l’impartialité, rappelant le premier destin des grandes phrases qui, au départ, tombèrent à plat, avant que la postérité ne les relève et ne les place aux frontispices. Il reste sur une conclusion interrogative sur cet après républicain du 21 janvier : « l’urgence du moment, l’incapacité de penser autrement le lien social et les ambitions personnelles peuvent expliquer ce résultat ambigu dont nous avons hérité. » Mais est-ce la République qui en sort renforcée ou bien une classe sociale ?

Terminons en notant qu’entre 1792 et le début du Consulat, la France a vécu certes avec des gouvernements, des organes collectifs (Comité de Salut Public, Directoire, Consulat) mais sans un chef de l’Etat, un Président de la République : peut-être est-là que se situe le point culminant de cette Révolution : ni dieu, ni maître ? et qu’il fallait donc la tête d’un roi ?

 

 In Seriatim 4 décembre 2020:

http://www.seriatim.fr/2020/12/sept-jours-17-23-juin-1789-par-emmanuel.html

 

 Notes :

1-    In Martin (Jean-Clément) L’exécution du roi, Paris, Perrin, 2021, p. 255

2-    Ibid., chapitre 6

3-    Ibid., p. 223

4-    Ibid., pp. 317-318

5-    Belissa (Marc, Bosc (Yannick) : Le Directoire -La république sans la démocratie, Paris, La fabrique éditions, 2018 ;

6-    Sur le coup d’état de brumaire et son corollaire la création de la banque de France, banque privée jusqu’en 1936, on lira les mémoires du comte Mollien, ancien secrétaire du chancelier de Maupeou célèbre pour la réforme des parlements décidée par Louis XV.

Jean Vinatier

Seriatim 2021

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