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mercredi 5 avril 2023

Françoise Vergès. « Le musée occidental a été tragique pour les peuples » N°5665 17e année

 

« Entretien par Michel Pauron pour Afrique XXI:  Françoise Vergès, militante féministe et anticoloniale, publie Programme de désordre absolu. Décoloniser le musée. Un essai dans lequel elle remet en cause le musée occidental, modèle qui s’est imposé au monde, et appelle à l’exploration d’une autre voie – ce qu’elle nomme un « post-musée ».

Dans Programme de désordre absolu. Décoloniser le musée (La Fabrique, 2023), Françoise Vergès, théoricienne féministe décoloniale et antiraciste, s’attaque au « musée occidental », « cet étrange endroit où l’on peut trouver dans le même espace des tableaux, des objets, des meubles et des statues couvrant plusieurs continents et plusieurs époques, mais aussi, par centaines de milliers, des restes humains – crânes, os, cheveux ». Pour l’autrice d’Un féminisme décolonial (La Fabrique, 2019) et d’Une théorie féministe de la violence (La Fabrique, 2020), « le musée universel est une arme idéologique », et « les musées européens sont des dépôts de voleurs », voire de « vaste[s] tombe[s] dont les morts restent sans sépulture ».

Sur ce constat sans concession, elle rappelle que ce modèle de conservation est avant tout une invention européenne imposée au reste du monde. L’Afrique, où de nombreux pays réclament la restitution des objets pillés pendant la colonisation – et dont les conditions et le coût des prêts imposés par les anciens colons rebutent nombre de prétendants – ne possède que 0,8 % des musées du monde. Pour beaucoup d’Africains, le seul moyen de voir leur patrimoine est de se rendre dans une capitale occidentale. Pourtant, estime-t-elle, « les Européens ne sont pas les gardiens légitimes et universels de ces trésors ».

Taille des musées, conditions salariales (gardiens et gardiennes, hommes et femmes de ménage, guichetiers et guichetières…), part grandissante du mécénat privé, ségrégation… Le musée « universel » est un lieu où se croisent les inégalités sociales et une vision de l’histoire partielle et partiale, entre euphémisation et non-dits. Face à « l’impossibilité de décoloniser le musée », Françoise Vergès juge donc nécessaire « d’inventer un post-musée ».

Afrique XXI : Vous écrivez vous être intéressée aux musées tardivement. Pour quelles raisons ?

Françoise Vergès : Il y avait des musées à La Réunion, où j’ai grandi, mais la plupart étaient fermés ou en rénovation. De toute façon, je n’aurais jamais eu l’idée d’y aller. Pour moi, le musée représente l’État, l’État colonialiste, notamment parce qu’il a été créé sous la colonisation. Je me méfiais de toutes les institutions françaises. À La Réunion, la France traitait la culture réunionnaise, la langue, l’histoire de la musique, les rituels, avec un mépris total ou un paternalisme folklorisant. Très tôt, j’ai été en mesure de voir qu’il y avait un enjeu. Cependant, je visite quand même des musées assez tôt lors de mes voyages en Algérie, en Sicile… Mais sans vraiment m’intéresser à l’institution, plutôt aux objets.

Ensuite, tous les mouvements de libération, tous les mouvements sociaux et féministes, s’intéressent à la question de l’art et de la culture à travers la question de la représentation – comment sommes-nous représentés, et par qui ? Tous les mouvements d’indépendance ont de longs chapitres sur la question des arts et de la culture, de la décolonisation des mentalités, des esprits et des corps. Aux indépendances, on voit des troupes se créer, le Festival mondial des arts nègres à Dakar [1966] et le Festival culturel panafricain d’Alger [1969] arrivent très tôt. Et puis il y a le cinéma, qui a toujours été important pour moi. Tous ces mouvements sur les questions de la représentation et de la narration m’interrogent : comment va-t-on raconter des histoires autrement que de la manière coloniale et impérialiste ?

Ma curiosité est très forte car je veux voir comment les choses sont montrées. Je veux savoir comment ils ont fait, comment ils dissimulent, euphémisent, disent sans dire. Toutes ces manières de faire m’intéressent parce qu’elles peuvent m’apprendre ce qu’il faudrait faire autrement. Donc je vais partout où l’histoire est racontée autrement que par un texte : dans les musées, les mémoriaux…

La suite ci-dessous :

https://afriquexxi.info/Francoise-Verges-Le-musee-occidental-a-ete-tragique-pour-les-peuples

 

Jean Vinatier

Seriatim 2023

 

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