Le chapeau de l’entretien laisse pantois…
L’auteur :
Tim Heinkelmann-Wild est chercheur post-doctoral et maître de conférences en à l’Université Ludwig Maximilians de Munich et Visiting Scholar à l’Université de Cambridge. Sa thèse de doctorat intitulée After Exit : Alternative Leadership and Institutional Resilience after Hegemonic Withdrawal a reçu la mention « summa cum laude » à la LMU de Munich et le John McCain Dissertation Award de la Conférence sur la sécurité de Munich en 2025. Il est également coauteur de l’ouvrage European Blame Games : Where does the Buck stop ?, publié chez Oxford University Press en 2024, avec Berthold Rittberger, Bernhard Zangl et Lisa Kriegmair. Il est membre du German Council on Foreign Relations (DGAP).
« En désignant les organisations internationales comme boucs émissaires, les attaques trumpistes sapent le multilatéralisme et l’ordre libéral issu de 1945. Ce désengagement américain relance le débat sur un possible leadership alternatif porté par l’UE.
La Vie des Idées : Les États-Unis ont toujours eu une relation ambivalente avec le multilatéralisme, se retirant par le passé d’un certain nombre d’organisations internationales pour en contester les dysfonctionnements (OIT, UNESCO, ONUDI, etc.) avant de les réintégrer. Sommes-nous en présence d’une continuité ou d’une rupture à cet égard ?
Tim Heinkelmann-Wild : Il s’agit en tout cas d’une tendance générale de la politique étrangère américaine. Une évaluation systématique du (dés)engagement des États-Unis dans les institutions internationales montre qu’ils ont fréquemment remis en cause leur soutien aux organisations et accords internationaux par le passé, et ce même avant Trump. Les États-Unis ont ainsi quitté l’Organisation internationale du travail (OIT) sous Jimmy Carter, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) sous Ronald Reagan, et l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) sous Bill Clinton. En outre, George W. Bush a refusé de ratifier le protocole de Kyoto et le statut de Rome qui instaurait la Cour pénale internationale (CPI).
Cette tendance s’explique par le pouvoir prééminent des États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui les rend plus libres de poursuivre leur politique étrangère au sein des institutions multilatérales, et de choisir de le faire en se coordonnant ou non avec d’autres États. A l’inverse, plus les États sont faibles, moins ils peuvent se permettre d’agir ainsi et doivent donc se regrouper et se coordonner pour faire la différence sur la scène internationale.
Les variations de l’engagement des États-Unis dans les institutions internationales sont alors déterminées par différents facteurs, parmi lesquels on trouve notamment un certain scepticisme national à l’égard de la coopération internationale, une dénonciation du caractère intrusif des institutions internationales et l’ascension de puissances rivales. À l’heure actuelle, ces trois facteurs vont dans le sens d’un désengagement des États-Unis. Premièrement, les institutions internationales n’ont jamais été aussi nombreuses et ont des possibilités d’interférer dans le jeu politique, ce qui limite la marge de manœuvre même des États-Unis et transforme alors les organisations internationales en cibles de contestation. Deuxièmement, la polarisation politique intérieure aux États-Unis se répercute voire s’accentue également en matière de politique internationale, ce qui rend les décisions de politique étrangère plus difficiles à prendre au Congrès. Enfin, les États-Unis sont en déclin par rapport à l’ascension de puissances comme la Chine, et sont confrontés à des blocs de plus en plus influents d’États révisionnistes et illibéraux, tels que la Russie.
Il est frappant de constater que Joe Biden a lui aussi été soumis à ces forces internes et externes et qu’il n’a pu que partiellement tenir la promesse du « America is back » (« l’Amérique est de retour »). Sous la présidence de Joe Biden, les États-Unis ont en effet reconduit leur soutien à certaines institutions multilatérales. Cela a été le cas de l’Accord de Paris, de l’UNESCO, du Conseil des droits de l’homme des Nations unies et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Néanmoins, Biden n’est jamais revenu sur d’autres engagement comme l’accord sur le nucléaire iranien, l’accord de partenariat transpacifique (Transpacific Partnership Agreement ou TPP) ou le traité Ciel Ouvert (Open Skies Treaty). Les manques en matière de financement de la lutte contre le changement climatique n’ont pas non plus été complètement comblés durant la période Biden, qui a également vu émerger de nouvelles politiques protectionnistes contraires aux règles du libre-échange mises en place par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), telles que la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act). Au lieu de s’engager ou même de créer de nouvelles institutions multilatérales, les États-Unis de Biden ont préféré conduire leur politique étrangère par le biais de clubs minilatéraux sélectifs qui leur permettaient de choisir leurs partenaires.
Toutefois, si la politique de Trump s’inscrit dans des tendances plus profondes, elle n’en est pas moins spécifique, et ce à plusieurs égards. En termes de retrait et de désengagement des institutions internationales, Trump 1.0 a atteint l’un des scores les plus élevés depuis 1945. Trump 2.0 pourrait battre son propre record puisqu’il a déjà ordonné un réexamen complet des contributions et de la participation des États-Unis à toutes les organisations et à tous les traités internationaux [1]. Mais c’est surtout par la nature de ses attaques que Trump se distingue. Alors que les autres présidents américains cherchaient généralement à maintenir - au moins dans leur rhétorique - leur engagement envers l’ordre international libéral d’après-guerre que les États-Unis ont contribué à créer, Trump rejette ouvertement le libéralisme politique et économique ainsi que les procédures multilatérales et inclusives qui sous-tendent cet ordre.
La Vie des Idées : Pourquoi les organisations internationales sont-elles des cibles faciles pour les gouvernements ? Pourriez-vous développer les différentes stratégies de mise en accusation (« blaming strategies ») que vous identifiez dans votre travail ? En quoi la stratégie de Trump est-elle spécifique ? »
La suite ci-dessous :
https://laviedesidees.fr/Le-multilateralisme-sans-les-Etats-Unis
Jean Vinatier
Seriatim2025
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