Info

Nouvelle adresse Seriatim
@seriatimfr
jeanvin22@gmail.com



mardi 15 novembre 2022

Iran : les symboles d’une révolte, une conversation avec Farhad Khosrokhavar N°5908 16e année

« L'Iran est-il en train de vivre un moment révolutionnaire ? Alors que l'Union européenne vient de prendre de nouvelles sanctions à l'égard du régime au pouvoir à Téhéran, nous avons interrogé Farhad Khosrokhavar, spécialiste de la sociologie de la révolution iranienne de 1979. Nous revenons avec lui sur ce qui fait la différence et la singularité des révoltes qui embrasent le pays depuis l'assassinat de Mahsâ Amini. »

« Le mouvement révolutionnaire qui se déroule en Iran depuis bientôt deux mois a comme point de départ la mort de Mahsâ Amini, jeune femme kurde tuée par la police des mœurs car elle aurait mal porté un voile. Est-ce que ce mouvement va conduire à une désislamisation de la société iranienne ? »

Farhad Khosrokhavar :

Je ne crois pas à la désislamisation et donc à la laïcisation, au sens propre du terme, de la société iranienne. On voit dans ce mouvement une forme de sécularisation, effective, indéniable, mais cette sécularisation doit être replacée dans le contexte de la culture iranienne.

Tout d’abord, les manifestations ont débuté par le rejet du voile obligatoire. Il ne s’agit pas d’un mouvement de rejet du voile en général. On voit très bien dans les manifestations que des femmes voilées accompagnent des femmes non voilées pour dénoncer cette contrainte qui consiste à dicter aux femmes leur attitude et leurs apprêts vestimentaires. Ici, en France, il y a une partie des féministes qui a affirmé que si le voile était enlevé là-bas il fallait aussi qu’on l’enlève aussi ici. Or en Iran, il ne s’agit pas de dénoncer le voile, mais de dire que la femme doit décider elle-même. Donc personnellement, conformément à ce qui se passe en Iran, je pense que c’est aux femmes elles-mêmes de décider. Si des femmes veulent porter le foulard ou le voile, qu’elles le portent – évidemment pas le voile intégral, puisqu’il dérobe à la femme son identité dans une société ou les identités sont constituées par le visage. Si elles ne veulent pas le porter, aucune instance ne devrait tenter d’infléchir leur volonté souveraine à ce sujet.

La différence majeure, bien entendu, est que la France est une démocratie, ce qui fait qu’il y a des droits inaliénables de l’individu, même voilé, alors qu’en Iran les femmes non voilées n’ont pas de droits et par conséquent sont soumises à la répression, avec des amendes importantes, des coups de fouet, parfois des peines de prison et, dans le cas de Mahsâ Amini, la mort brutale.

Dans ce contexte, les hommes et les femmes de 15 à 25 ans, c’est-à-dire de la troisième génération après la révolution de 1979, sont en révolte, ensemble, contre le régime théocratique. On voit très bien que les hommes soutiennent les femmes et participent à l’affrontement avec les forces de l’ordre dont la cruauté et la violence n’est plus à décrire. Hommes et femmes sont dans un rapport de coopération contre un ennemi commun qui est l’Etat théocratique, c’est-à-dire un Etat qui veut détruire la société au nom de principes islamiques de plus en plus rigidifiés, qui ne sont pas les principes traditionnels de l’islam mais frottés de ceux du totalitarisme moderne pour légitimer un Etat autocratique.Pierre Ramond : Poursuivons sur la question du voile. Dans L’Utopie sacrifiée, la sociologie de la révolution iranienne, vous rappelez comment, après la révolution, « tous les maux sont désormais imputés à la femme, à la femme mal voilée. Certains vont même jusqu’à identifier en elle la source du mal absolu. De nombreux sermons des mollahs ou exhortations moralisantes des Bassidj transforment en cette période la femme en objet d’anathème, en bouc émissaire »1. L’impression se dégage que ce qu’on voit dans le mouvement serait justement la fin de l’opposition des genres au sein de la société iranienne, à travers les manifestations de solidarité des hommes à l’égard du mouvement des femmes et des femmes à l’égard des hommes. On pense notamment aux slogans « femme, vie, liberté » (زن زندگی آزادی) et « homme, patrie, prospérité » (مرد میهن آبادی)2qui se répondent dans de nombreuses manifestations. Est-ce que vous diriez que la bouc-émissarisation des femmes, qui a été une des dimensions de la Révolution des premières années de la Révolution, puis ensuite de la République islamique, est définitivement révolue ?

Je crois que c’est précisément le rejet de ce qu’on pourrait appeler la théocratie islamique, dans le sens que vous venez de décrire, qui voit dans la femme son talon d’Achille du pouvoir. Mais pour comprendre ce sentiment de faiblesse vis-à-vis du corps des femmes, je voudrais d’abord revenir sur les causes de ce mouvement. »

La suite ci-dessous :

https://legrandcontinent.eu/fr/2022/11/15/iran-les-symboles-dune-revolte-une-conversation-avec-farhad-khosrokhavar/

 

Jean Vinatier

Seriatim 2022

 

Aucun commentaire: