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dimanche 15 octobre 2023

La géopolitique du pape François est-elle un défi à l’ordre atlantique ? par François Tanase N°5713 17e année

 

L’auteur

« Docteur en histoire, ancien membre de l’École française de Rome et diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris. Maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne en histoire médiévale, il est également membre de l’UMR 8167, Orient et Méditerranée. Ses recherches portent en particulier sur l’histoire de la papauté et ses relations avec les mondes orientaux et asiatiques. Il est notamment l’auteur d’une Histoire de la papauté en Occident publiée dans la collection Folio Histoire »

Présentation par Diploweb des deux parties de l’article :

« Thomas Tanase développe de façon très docmentée une analyse des dix années du pontificat de François, pour comprendre comment celles-ci, au-delà des qualités personnelles du pape argentin, ont débouché sur un échec stratégique majeur, aggravant l’impasse du monde catholique.

Cette étude commence par observer dans une première partie comment le Vatican du pape François reste inséré dans les réseaux de la mondialisation, luttant à l’Ouest contre les « populismes », c’est-à-dire contre un ensemble de mouvements très divers mais nourris d’un discours anti-élites et anti-système, qui, depuis le Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016, menacent de remettre en cause les règles du système international telles qu’elles se sont développées depuis les années 1990. T. Tanase montrera ensuite dans une seconde partie comment, pour compenser, la papauté se tourne vers des pôles extra-occidentaux d’équilibre, et notamment vers l’Eurasie de la Russie de Vladimir Poutine et de la Chine de Xi Jinping, politique mise en difficulté par la relance de la guerre russe en Ukraine depuis le 24 février 2022. »

LE PAPE François, dix ans après son élection au trône pontifical en 2013, reste une figure populaire. Son avènement a suscité beaucoup d’espoir, et a donné l’impression d’un vent de renouveau, avec l’arrivée pour la première fois au sommet de l’Église catholique d’un pasteur venu des grandes métropoles du Sud – c’est-à-dire non seulement un pape venu d’un autre horizon que celui de l’Occident, avec son histoire et ses habitus mentaux et sociaux, mais aussi un pape habitué à côtoyer dans son quotidien toutes les religions et les communautés du monde. Cependant, les choses ne se sont guère améliorées pour l’institution pontificale depuis une dizaine d’années. Populaire en dehors, le pape François a de nombreux adversaires au sein du monde catholique. Il est souvent critiqué pour ses prises de position, tandis que la crise du catholicisme s’est aggravée. Surtout, à l’heure où l’affirmation de la Chine et le retour de la Russie ont finalement débouché sur un véritable conflit qui remet en cause les règles de la globalisation posées dans les années 1990, conflit dont la première grande bataille se joue actuellement en Ukraine, la diplomatie pontificale semble ne plus savoir quoi faire.

Pourtant, on ne peut pas reprocher au pape François de ne pas avoir vu venir les choses : le pontife parlait déjà en août 2014 d’une troisième guerre mondiale « a pezzi », par morceaux, expression reprise solennellement lors des commémorations pontificales du centenaire de la Première Guerre mondiale [1]. Elle a été utilisée à de nombreuse reprises par le pape François, et notamment lors de la relance de l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, même s’il a fini par se demander s’il ne faudrait pas « à présent parler de guerre totale » [2]. Il n’en reste pas moins que le pape François s’est retrouvé complètement débordé par l’invasion de l’Ukraine par la Russie de 2022 et l’accélération des événements qu’elle marque. Toute la diplomatie qu’il a mise en place depuis dix ans pour prévenir cette situation a été entièrement prise à contre-pied. Plus encore, le pape François se retrouve piégé par une contradiction fondamentale : celle entre le centre institutionnel, historique de l’Église catholique, qui reste situé dans un Occident de moins en moins chrétien, recompacté, au moins pour le moment, par la guerre en Ukraine, et la réalité d’un cœur du monde catholique qui bat de plus en plus du côté des pays du Sud et dont François est si bien le représentant. Or l’Amérique latine, l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Inde ou la Chine se sentent peu impliqués émotionnellement dans le conflit ukrainien, alors qu’ils se rappellent encore très bien, sans même remonter jusqu’au colonialisme, le bilan des coups d’État, des changements de régime ou des guerres « humanitaires » promues par l’Occident. Plus encore, nombre de ces pays semblent voir dans les événements actuels la possibilité de secouer l’ordre de la globalisation atlantique telle qu’elle a été imposée depuis les années 1990, et qu’ils n’ont souvent accepté que de manière contrainte et forcée. Une réalité que les pays occidentaux se sont efforcés de ne pas voir, mais dont le pape argentin avait fait un axe majeur de sa géopolitique jusqu’à l’invasion russe de 2022.

L’article suivant fera donc une analyse des dix années du pontificat de François, pour comprendre comment celles-ci, au-delà des qualités personnelles du pape argentin, ont débouché sur un échec stratégique majeur, aggravant l’impasse du monde catholique. Cependant, il s’agit ici d’aller au-delà des analyses habituelles se contentant de suivre le cours des événements et d’appliquer en permanence à l’Église une grille de lecture reposant sur l’opposition entre « progressistes » et « conservateurs », qui n’est pas fausse mais qui reste à la surface des choses. Faute de s’articuler avec une réflexion sur la diversité géographique, culturelle du monde catholique, elle finit par ressembler souvent à une analyse opposant les « gentils » et les « méchants », pour reprendre le langage du pape François. Cette étude commencera donc par regarder dans une première partie comment le Vatican du pape François reste inséré dans les réseaux de la mondialisation, luttant à l’Ouest contre les « populismes », c’est-à-dire contre un ensemble de mouvements très divers mais nourris d’un discours anti-élites et anti-système, qui, depuis le Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016, menacent de remettre en cause les règles du système international telles qu’elles se sont développées depuis les années 1990. Cette étudemontrera ensuite dans une deuxième partie comment, pour compenser, la papauté se tourne vers des pôles extra-occidentaux d’équilibre, et notamment vers l’Eurasie de la Russie de Vladimir Poutine et de la Chine de Xi Jinping, politique mise en difficulté par l’actuelle guerre en Ukraine.

L’étude de la géopolitique de l’Église du pape François se devra de la sorte d’illustrer comment les difficultés actuelles du catholicisme s’articulent avec les problématiques engendrées par la crise des pays occidentaux et la transformation de l’ensemble du système mondial. Le pape François mène en effet cette politique d’équilibriste parce qu’il doit lui aussi faire face à des repères qui se brouillent avec l’ouverture d’un nouveau cycle historique, lequel verra probablement à terme l’émergence d’un système international très différent de celui d’un monde dominé par la seule globalisation anglo-saxonne. Or ce nouveau cycle risque d’entrainer par la force des choses au moins en partie un changement de vision du monde, d’organisation des sociétés, un bouleversement porté par les nouvelles puissances en train d’émerger – un mouvement auquel l’Église catholique, en raison de son caractère mondialisé, est très sensible. En ce sens, le pape François rencontre vraiment une époque, qu’il incarne aussi à travers ses tâtonnements et ses hésitations, annonciatrices des nouvelles recompositions à venir. »

1-Première partie Le pape François face à l’Occident 16/09/2023

https://www.diploweb.com/La-geopolitique-du-pape-Francois-est-elle-un-defi-a-l-ordre-atlantique-Premiere-partie-Le-pape.html

2-Seconde partie. Le pape François, l’Orient, l’Eurasie et la Chine 15/10/2023

https://www.diploweb.com/La-geopolitique-du-pape-Francois-est-elle-un-defi-a-l-ordre-atlantique-Seconde-partie-Le-pape.html

 

Jean Vinatier

Seriatim 2023

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