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mardi 14 décembre 2010

Georges Corm « Le nouveau gouvernement du monde » N°806 4e année

Ci-dessous l’entretien accordé par Georges Corm à Lina Kennouche journaliste au quotidien francophone Al-Balad à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, Le nouveau gouvernement du monde, Paris, La Découverte :
Avant lire cet entretien vous pouvez lire sur le site de Georges Corm un autre échange pour la revue Afrique/Asie

« Interview paru dans le quotidien francophone Al Balad à Beyrouth le 2 décembre 2010.
Entretien Georges Corm « Le Nouveau Gouvernement du Monde »

« Un caractere utopique nocif au coeur de l’ideologie de la globalisation » Dans son dernier ouvrage, « Le Nouveau Gouvernement du Monde », l’économiste historien et professeur d’université, Georges Corm, explique, par une analyse brillamment conduite, les origines de l’immobilisme alarmant des décideurs politiques et économiques mondiaux. Au fonctionnement pervers d’une économie globalisée, il substitue des alternatives viables et préconise une démondialisation pour assurer « la paix future du monde »

Dans votre ouvrage récent, vous déconstruisez la thèse centrale des néo libéraux considérant que celle-ci est le produit de choix politiques résultant d’une adhésion massive des élites aux dogmes néolibéraux. Comment ces dogmes sont devenus hégémoniques ?

Les dogmes néo libéraux ont été très séduisants pour toute une génération d’intellectuels qui étaient auparavant engagés dans diverses formes de marxisme et de socialisme, mais également pour les hommes d’affaires et les responsables politiques. Ces dogmes venaient annuler les tensions idéologiques fortes, qui avaient caractérisé la pensée économique et politique depuis le milieu du 19eme siècle en Europe, relatives aux causes de la pauvreté, à la nécessité de supprimer l’exploitation de l’homme par l’homme, d’aboutir à une répartition équitable des revenus, de réparer les dégâts causés par la colonisation. Toutes ces grandes querelles idéologiques s’achèvent avec l’effondrement de l’URSS et le triomphe de la culture anglo-saxonne très axée sur les thèses du « doux commerce » de Montesquieu et d’Adam Smith ainsi que celles de Max Weber qui avait idéalisé le système capitaliste et l’avait lié à tort à l’émergence du protestantisme.
Brusquement, tout redevient simple: l’intervention de l’Etat dans l’économie ainsi que le désir d’une société plus juste, voire égalitaire, sont considérés comme la source de tous les totalitarismes (fascistes ou communistes). La stabilité monétaire constitue le bien suprême de l’humanité et il convient désormais que
les banques centrales n’aient plus qu’un seul objectif : celui d’assurer la stabilité des prix par un instrument unique, le maniement du taux d’intérêt, seul capable de lutter efficacement contre l’inflation ; pour cela il faut assurer une indépendance absolue des banques centrales par rapport au pouvoir politique. La libéralisation du commerce et du mouvement des capitaux et de l’investissement étranger devient la voie la plus adéquate pour la prospérité de toutes les nations. L’esprit humain sans cesse à la recherche de solutions faciles à trouver son bonheur dans ce credo simpliste qui vient remplacer de façon opportune les recettes marxistes léninistes ou la théorie de l’Etat providence, chère à la sociale démocratie européenne d’après la Seconde Guerre mondiale. C’est pourquoi nous avons assisté à la conversion de tellement d’intellectuels marxistes non seulement au néo libéralisme, mais au credo du néo conservatisme politique occidental qui l’accompagne. L’idéologie néolibérale n’est en fait que l’envers des formes aigue d’idéologie marxiste léniniste.

Ne pensez-vous pas qu’une sorte de novlangue néolibérale est devenue la dominante dans beaucoup de milieux académiques et surtout dans les medias et que celle-ci a contribué grandement à renforcer l’hégémonie susmentionnée ?

J’ai repris l’expression de Marie France Perrot, une remarquable universitaire française, qui parle de « langue de coton » dans son analyse d’un rapport des Nations Unies sur la pauvreté. Le coton est doux, il ne pique pas, à la différence des autres langues, celles qui analysent la dureté des réalités économiques et sociales. Les médias et les décideurs parlent cette nouvelle langue reposante.
Cela permet de ne plus se poser de questions existentielles qui ont déchiré l’esprit humain depuis le XIXè siècle et provoqué des révolutions en série en Europe, comme hors d’Europe.

Vous évoquez le nom de plusieurs auteurs que vous estimez être des précurseurs visionnaires oubliés de l’alter mondialisme. Quels ont été lesapports théoriques critiques qui demeurent d’actualité dans la pensée de
ces auteurs ?

J’ai commencé par rappeler et citer l’oeuvre de grands sociologues français comme Jean Baudrillard qui, il y’a 50 ans avait déjà dénoncé de façon claire et convaincante les méfaits de la société de consommation ; mais j’évoque également les travaux d’avant-garde du Club de Rome qui au début des années 70 avait lancé un cri d’alarme sur l’exploitation irresponsable des ressources de la planète. J’ai aussi évoqué d’autres économistes éminents, entre autres l’Américain John Galbraith qui a pour sa part dénoncé la société d’affluence, le Français Gabriel Tarde, malheureusement oublié aujourd’hui, et qui à la fin du 19eme siècle avait déjà analysé les dangers et méfaits de la publicité. J’ai souhaité montrer que nous ne manquions pas d’analyse critique profonde de l’évolution désastreuse du système économique qui se mondialise et que je
qualifie d’inefficace et de gaspilleur et ayant entraîné l’effondrement de l’éthique et de la morale.

Vous dites que les sciences économiques dominantes auraient perdu leur sens éthique et la centralité de la quête d’une forme de justice sociale. Comment expliquez-vous cette évolution ?

Oui, la science économique a voulu singer les sciences dures, dites exactes, en créant un appareil mathématique abstrait pour saisir des réalités beaucoup trop complexes pour être mises en équations. Le monde de l’économie n’est pas celui d’un « homo economicus » rationnel et impersonnel qui, libre de toute
régulation et encadrement, livré à ses seuls désirs, assurerait le bonheur et la prospérité de l’économie. Ce qu’ont cherché à démontrer de nombreux économistes s’étant vus attribuer des prix Nobel d’économie et qui sont donc devenus très influents. Au contraire, c’est un monde de passions, d’émotions, de luttes pour l’appropriation des richesses, et donc de l’imprévu. Cette domination de l’abstraction mathématique a rendu l’enseignement de l’économie imperméable à toute considération de nature éthique. Tout le pan de l’économie politique classique qui tendait à montrer comment il fallait assurer une distribution équitable des revenus a disparu de l’enseignement universitaire.
Par ailleurs, les systèmes judiciaires qui ont voulu réagir à l’effondrement de l’éthique des affaires ont été malmenés par les pouvoirs politiques, y compris dans les pays les plus démocratiques. La crise de 2008-2009 nous a montré à quelles aberrations ces absences de contrôle sur le monde des affaires ont mené le système bancaire des Etats-Unis et de certains pays européens.

Comment l’économie s’est elle financiarisée et quelles sont les conséquences de ce processus ?

L’énorme masse de capitaux spéculatifs s’est formée grâce à ce que la belle langue de coton du néolibéralisme a appelé la « dérégulation ». Cette dérégulation s’est déroulée au moment même où les politiques nouvelles du néolibéralisme ont créé un monde de l’incertitude par les grandes mesures américaines, d’abord de décrochage de la valeur du dollar par rapport à l’or (1971), puis de la flottaison générale de la valeur des monnaies entre elles (1976). A partir de là s’est développé le marché des produits financiers dérivés censés atténuer les risques pris dans les transactions de l’économie réelle, mais ces produits ont été transformés en source de profits spéculatifs et n’ont donc fait qu’amplifier les risques, au point de provoquer la crise que les économies des pays anciennement industrialisés traversent, car les économies émergentes ont su résister à ce déchaînement de spéculation.

Le titre de votre ouvrage est le nouveau gouvernement du monde. Quelles sont les forces dominantes au sein de celui-ci et quelles sont ses structures ?

J’ai mené une analyse poussée de la structuration d’un pouvoir mondialisé dont les composantes principales sont les bureaucraties des grandes FMN et des grandes banques, celle des Nations Unies et de ses agences spécialisés, des « think thank » américains et européens qui servent ce pouvoir mondialisé, certaines grandes ONG et certaines institutions d’intégration régionale avec à leur tête l’UE qui promeut la recette néolibérale. Enfin au sommet il y’a le G 8 devenu aujourd’hui le G 20 mais dont l’organe principale d’action reste le FMI
lequel est au coeur de l’expansion de l’idéologie néolibérale et de la mise en pratique de ses recettes.

Les néolibéraux avaient pour habitude d’opposer à leurs critiques une réponse standard désignée par son acronyme : TINA, There is no alternative. Au regard des conséquences désastreuses de ces politiques, quelles sont les alternatives viables existantes ?

Il est frappant de voir qu’au Liban au début des années 90 à chaque critique des projets de reconstruction et notamment celui du centre historique de la capitale, on rétorquait qu’il n’y avait pas d’autre alternative, cela ressort d’un terrorisme intellectuel fort qu’il est indigne d’accepter, car il s’agit d’une démission de l’esprit
humain libre et créatif. Mais tous les terrorismes ont une fin et je pense que nous sommes entrés dans une période particulièrement instable du fait que la bureaucratie du pouvoir mondialisé s’obstine sur ses positions et son langage, alors qu’une agitation sociale forte se développe en Europe et que des formes de contestation diverses émergent ici ou là et qui s’expriment à travers les manifestations du Forum social de Porto Allègre qui regroupe les courants très divers de l’alter mondialisme. J’ai montré les différents visages de la contestation qui ne viennent pas seulement de différents radicalismes, mais aussi de personnalités qui ont fait leur carrière dans ce pouvoir mondialisé et qui estiment qu’il doit se reformer. Des figures emblématiques comme l’économiste américain Joseph Stiglitz, ancien chef des conseillers économiques de la Maison Blanche et l’ancien directeur de l’UNESCO Federico Mayor, le célèbre diplomate Français en retraite Stéphane Hessel ou Jean Baptiste de Foucault, ancien Commissaire au Plan en France aussi.
Pour moi, il est clair que ce courant réformiste présente la bonne alternative à condition que son influence soit acceptée à l’intérieur de la bureaucratie mondialisée, ce qui ne me parait pas être le cas jusqu’ici. C’est pourquoi je crains des radicalisations de plus en plus fortes qui aboutiraient à encore plus de tensions, voire de répressions. Le problème demeure celui de la prédominance des fondamentalistes néolibéraux dans le fonctionnement du système et la production de centaines de milliers de jeunes universitaires étudiants en
économie ou en business administration dont le cerveau est formaté pour constituer l’armée des purs et durs dans la globalisation néolibérale.

Certains défenseurs du néolibéralisme n’hésitent pas à puiser dans les valeurs religieuses pour justifier l’ordre social inégalitaire qu’il génère. Pour votre part vous affirmez que la résistance aux néolibéraux peut se fonder aussi sur des valeurs religieuses musulmanes ou chrétiennes. Lesquelles ?

Quand on puise dans l’éthique aussi bien musulmane que chrétienne on s’aperçoit que les questions économiques et sociales, avec en leur centre la justice sociale, sont essentielles dans la doctrine de ces deux religions. Elles condamnent, en effet, tout enrichissement sans cause et bénissent le travail productif au service de la société et non pour exploiter la société. Elles ont aussi très tôt développé la notion de bien public, centrale dans l’oeuvre de Saint Thomas d’Aquin et de beaucoup de juristes musulmans. Enfin, elles ont la même attitude en vertu de laquelle tout progrès économique doit être mis au service de la société ; de plus l’accumulation des richesses privées ne peut être un but de l’existence. Ce qui a amené les deux religions à préconiser beaucoup de limitations à la propriété privée, en considérant que seul Dieu est propriétaire des
richesses qu’il a crées dans ce monde et, qu’en conséquence, il convient d’en faire un usage modéré au service du bien public. Malheureusement aujourd’hui les religions sont d’avantage tournées vers l’affirmation fondamentaliste de l’identité que vers les questions de système économiques conciliant rationalité et éthique.

Ne pensez-vous pas que malgré la globalisation militaire, économique et financière, nous assistions à l’émergence d’un monde multipolaire. Quelles conséquences économiques à cette nouvelle configuration internationale ?

Je suis extrêmement réservé sur cette illusion d’un pouvoir multipolaire qu’entretiennent les médias et beaucoup d’écrits, car le fait de céder des parts de pouvoir aux Etats des pays émergents importants ne veut pas dire que la réalité de ce pouvoir change. Au contraire, il en sort renforcé. L’analyse que je fais dans mon ouvrage des communiqués du G20 qui comprend 12 pays émergents montre bien qu’il n’y aucune différence de langage, ni d’approche par rapport aux communiqués du G8. Ceci est d’ailleurs logique puisque le développement accéléré de pays comme l’Inde, le Brésil, la Chine se fait sur les mêmes bases que celles des pays anciennement industrialisés, à savoir le déchaînement de l’appétit de consommation de nouveaux groupes sociaux qui s’enrichissent. Nous sommes très loin d’un système économique différent qui repartit avec plus de justice les revenus et qui casse cette frénésie de consommation qui met en danger la planète par ses conséquences désastreuses sur les ressources naturelles et la pollution de l’environnement.

Faut-il souhaiter une autre mondialisation ou une dé-mondialisation ?

Je préconise une dé-mondialisation en développant un argument clé pour assurer la paix future du monde, à savoir le nécessaire rétablissement de la cohérence des espaces économiques totalement éclatés et désarticulés par l’effet de la globalisation, ce qui empêche l’existence de l’harmonie sociale et de modes de vie paisibles et stables. J’ai d’ailleurs bien montré dans mon ouvrage les excès auxquels aboutissent les délocalisations massives, la flexibilité des salaires et les vagues migratoires. Tout ceci entraîne les malaises identitaires et les replis sur des fondamentalismes ethniques ou religieux, terreau des phénomènes terroristes. A mon sens, il est urgent d’y mettre un terme en montrant le caractère utopique nocif qui est au coeur de l’idéologie de la globalisation néolibérale et qui empêche la société d’être elle-même. Pour se sentir citoyen du monde il faut d’abord être solidement ancre dans son terroir, sa culture et sa civilisation et non pas devenir une espèce de mutant qui a perdu son identité de base sans avoir acquis une autre identité. Le monde de la
globalisation n’est qu’un monde du déracinement, de l’anxiété, de gaspillage économique et de privilèges matériels sans aucun ancrage de légitimation autre qu’une idéologie qui ne manquera pas de s’effondrer également parce qu’elle s’use très vite. »



Jean Vinatier
SERIATIM 2010

Sources :

http://www.georgescorm.com/personal/download.php?file=al_balad_dec2010.pdf
http://www.georgescorm.com/personal/index.php?lang=fr
http://www.georgescorm.com/personal/nouveau-gouvernement.php
http://www.georgescorm.com/personal/download.php?file=3781661.pdf

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