« Comment évaluez-vous le dernier sommet Union
européenne-Balkans de Sofia où il a été question de la position des pays membre
après la remise en cause de l’accord sur le nucléaire iranien par les
Etats-Unis ?
Hervé Juvin : La réunion
européenne de Sofia a donné l’occasion d’afficher une résolution de façade, une
unité obligée, vite oubliées devant la réalité des affaires.
De quoi s’agit-il ? De décider de la réponse de
l’Union européenne à la décision de Donald Trump de suspendre l’accord signé
avec l’Iran, le fameux JCPOA, et de rétablir les sanctions à l’encontre de
toute entreprise commerçant avec l’Iran, après une courte période de trois ou
six mois suivant la dénonciation de l’accord. La diplomatie européenne voit
dans cet accord, qui limite strictement les activités nucléaires de l’Iran et
contient un dispositif de contrôle intrusif rarement vu auparavant, l’une de
ses réussites – en est-il tellement d’autres ? En accord avec les rapports
des missions d’inspection, mais contrairement aux allégations israéliennes,
l’Union européenne considère que l’accord est respecté par l’Iran.
Le débat ne porte aucunement sur une plus ou moins
grande attention au supposé programme nucléaire militaire iranien, il porte sur
la légitimité de la remise en cause de l’accord – est-ce que les activités
balistiques de l’Iran, les opérations des Gardiens de la Révolution ou du
Hezbollah en Syrie et en Irak, constituent des ruptures implicites de
l’accord ? – en même temps, et plus fondamentalement, sur le droit des
Etats-Unis à imposer unilatéralement le respect de leurs embargos, non votés
par le Conseil de Sécurité ou l’assemblée générale de l’ONU, à n’importe quelle
entreprise de n’importe quel pays, y compris en désaccord avec l’embargo ?
Quels
mécanismes de riposte les pays européens peuvent-ils actionner ?
Hervé Juvin : Il y a un
précédent à la situation actuelle. En 1996, une Union européenne résolue était
parvenue à exempter les entreprises européennes des conséquences des lois Helms
Burton et d’Amato qui organisaient le blocus de Cuba, et aussi de la Libye.
Mais nous n’en sommes plus là. Il est facile d’évoquer des mécanismes de
riposte juridique, comme la « loi de blocage », ou encore les
représailles commerciales. En réalité, une riposte, si elle n’est pas impossible,
est délicate à concevoir, difficile à mettre en œuvre, et tout autant à
décider.
D’abord, parce que la globalisation a pour effet de
multiplier les interdépendances entre banques, industries, sociétés de services
européennes et américaines, au point qu’un conflit semble impensable ;
d’ailleurs, au lendemain de la décision américaine, quelques-unes des plus
grandes entreprises européennes comme Total ou Maersk ont annoncé qu’elles se
pliaient à l’embargo américain ; entre le marché américain et le marché
iranien, le choix est vite fait !
Ensuite, parce que sous prétexte de lutte
antiterroriste, toute une série de dispositions, d’accords et de lois ont livré
aux Etats-Unis des quantités d’information qui leur donnent de fait un pouvoir
de contrôle et de blocage inédit sur les entreprises de l’Union européenne,
comme d’ailleurs sur leurs citoyens.
Citons seulement l’accès des agences américaines à
tous les échanges interbancaires passant par Swift, la communication de toutes
les informations personnelles sur tous les passagers du transport aérien, la
collaboration de toutes les banques avec le fisc américain au titre de la loi
FATCA, sans parler de l’espionnage des données commerciales et financières des
entreprises sous couvert de lutte anti-blanchiment… Ajoutons-y le renforcement
du FCPA, qui a coûté cher à Alstom, Alcatel, Total, qui va coûter cher à
d’autres ! La capacité de tout acteur économique d’entretenir des
relations avec l’Iran sans être vu, repéré et poursuivi, est faible.
Enfin, parce qu’il ne manque pas au sein de l’Union
européenne, de forces agissantes qui veulent le conflit avec l’Iran, coupable
d’avoir défié le plan du « Grand Moyen Orient » et son exécutant
local, de pays qui sont dans un concours d’alignement sur l’OTAN et les néo-conservateurs
américains, sans parler de ceux qui monnaient leur soumission au prix de leur
sécurité.
Autant le dire, les chances de riposte européenne sont
faibles. C’est que l’Union a voulu faire l’Europe par le commerce, et par la
sous-traitance de la Défense aux Etats-Unis. Le prix à payer pour ce pari raté
est sans doute l’existence même de l’Union à laquelle l’Europe préexiste, à
laquelle elle survivra ! Si l’Europe doit exister en tant qu’acteur
géopolitique, elle n’existera que par une politique de puissance et de Défense
indépendante, elle ne s’affirmera qu’en se séparant de ce qui n’est pas elle,
et notamment d’Etats-Unis qui ne cessent de s’éloigner des choix sociaux,
économiques, diplomatiques des peuples européens.
C’est toute la valeur de l’épreuve iranienne ;
les Européens, sous le signe de Vénus, veulent croire que l’aisance économique
produira la décomposition du régime des Mollahs. Sous le signe de Mars, les
Américains veulent croire que la menace de la guerre seule y parviendra. Au
sortir de cette épreuve, il se pourrait bien que l’Union européenne sorte un
peu plus affaiblie, pour une fois encore n’avoir pas pu protéger l’Europe,
représenter l’Europe, assurer la défense de l’Europe contre l’occupant. »
La site ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2018
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