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mardi 28 juin 2022

Bertrand Badie. Les « alliances de bloc » sont mortes et l’Occident ne le comprend pas N°5876 16e année

 « Le professeur et chercheur Bertrand Badie livre pour Orient XXI une réflexion stimulante sur l’évolution des alliances au temps de la mondialisation. Sur les accords dits d’Abraham, les jeux complexes de la Turquie, de la Russie ou des États du Golfe en Syrie ou en Libye, il éclaire ces nouvelles « connivences fluctuantes ». Entretien avec Sophie Pommier. »

« J’appartiens à une génération pour laquelle l’alliance veut dire des choses très précises que l’on tient imprudemment pour nécessaires et éternelles. Celles et ceux qui ont été socialisés du temps de la bipolarité et de la guerre froide ont en tête un modèle d’alliance simple qui structurait durablement, de part et d’autre du Rideau de fer, deux coalitions de puissance comparable. L’alliance signifiait alors un engagement à la fois pérenne et organisé. Cette évidence en réalité n’en est pas une si on se réfère à l’histoire longue. Si on regarde en arrière, les choses apparaissent déjà beaucoup plus compliquées. Jusqu’en 1945, les alliances n’avaient rien de durable. Au gré des rapports de forces, au gré des équilibres de puissance, on s’alliait à l’un pour combattre l’autre, jusqu’à ce que, dans l’épisode suivant, la géométrie vienne à se modifier, voire à s’inverser. La parfaite illustration de cette logique nous est fournie par le Pacte germano-soviétique de 1939. Mais on pourrait remonter plus loin dans le temps et constater que des alliances même étranges pouvaient se nouer dès lors que le déséquilibre de puissances était trop fort, l’un des exemples les plus fameux étant l’« alliance impie » entre François Ier et Soliman le Magnifique lorsqu’en face l’Empire1 était trop fort et avait besoin d’être contrebalancé.

La bipolarité, une parenthèse dans l’histoire des relations internationales

En 1945, les choses ont changé : on est entré dans l’exception avec la bipolarité. Le glissement progressif vers une forme d’alliance pérenne s’est concrétisé avec la création de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en 1949, qui a suscité ensuite la constitution d’une autre alliance destinée à l’équilibrer, avec l’apparition du Pacte de Varsovie en 1955. Quand celui-ci a été dissous, l’OTAN a eu à délibérer sur sa pérennisation : nous étions au printemps 1991. Le président américain George H. Bush avait alors préconisé le maintien de l’organisation, s’attirant cette remarque de François Mitterrand : « Vous êtes en train de nous servir une nouvelle Sainte-Alliance ». Dans son esprit, cela voulait dire que l’on sortait d’une logique mécanique d’équilibre entre les blocs pour sacraliser une alliance et la rendre durable. De pragmatique et utilitaire qu’elle était dans un contexte de Guerre froide, l’alliance n’avait plus dès lors pour justifier son existence que cette onction que lui donnent des valeurs jugées supérieures et que partageraient durablement les pays membres, exactement comme en 1815, face à l’effondrement de l’empire français, s’était constituée exceptionnellement la Sainte-Alliance, à l’instigation du tsar de Russie.

Dans le contexte moderne, cette sacralisation ne va pas de soi. D’abord parce que la référence à des valeurs communément partagées devient de plus en plus difficile, et on le voit bien à travers les différends qui opposent la Pologne ou la Hongrie aux pays de l’Europe occidentale ; et ensuite parce que ce consensus sur les valeurs relève davantage de la façade, de la rhétorique et de l’autojustification que de la réalité des choses. Il résiste en tout cas à toute analyse sociologique qui dénie toute unanimité, dans chaque pays, sur les valeurs prétendument partagées. D’où ce besoin mécanique et au demeurant dangereux pour l’OTAN d’avoir face à elle un ennemi qu’elle réinvente pour se justifier. Lorsque la Russie de Boris Eltsine ne pouvait pas tenir cette fonction, on a essayé de cibler la Chine. Laquelle s’est refusée à jouer ce jeu. Nous étions alors au tournant des deux siècles : la Chine était surtout intéressée à entrer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qu’elle a rejoint en décembre 2001, à se banaliser comme puissance au sein de la mondialisation. On a dû alors trouver un ennemi étrange, puisqu’il n’était plus un pays, mais une « méthode », à savoir le terrorisme. Tout ceci a abouti à la situation actuelle marquée par un autre virage : l’OTAN se reconstitue face à la menace russe à la faveur de la crise ukrainienne, suivant un semblant de Guerre froide qui précisément n’en est pas une !

Le jeu fluctuant des connivences pragmatiques »

La suite ci-dessous :

https://orientxxi.info/magazine/bertrand-badie-les-alliances-de-bloc-sont-mortes-et-l-occident-ne-le-comprend,5706

Jean Vinatier

Seriatim 2022

 

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