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dimanche 26 mars 2023

Vivre pauvre au temps des Lumières par Laurence Fontaine N°5659 17e année

Le sociologue Jean-François Lae, pour La vie des idées, fait la recension de l’ouvrage de Laurence Fontaine : Vivre pauvre…Quelques enseignements tirés de l’Europe des Lumières, Paris, Gallimard, 2023.

« Les salaires sous l’Ancien Régime permettaient difficilement de vivre de son travail. Nombreux étaient ceux qui devaient multiplier les activités pour joindre les deux bouts. L. Fontaine en fait un portrait saisissant.

Véritable plongée au cœur de la pauvreté du XVe, XVIe et XVIIe siècle, nous parcourons sur 495 pages des saynètes de rues, des accrochages et des négociations de dettes pour vivre, des échanges et des solidarités qui - comme une sorte d’enquête ethnographique - montrent comment les classes populaires aux quatre coins de l’Europe se débrouillent pour survivre. Comment le crédit est activé dans les moindres relations multipliant les petites affaires morales ? Comment circulent concrètement les biens, les personnes, les travaux, les réputations, les coups de main, les places pour éviter la diète ? Quelles en furent les conséquences sur les femmes et les enfants transformés en monnaie d’échange pour quelques mois en cas de maladie ou de décès ? Autant de questions sur l’établi de Laurence Fontaine qui, depuis 40 ans, nous explique que déjà les salaires de l’Ancien Régime ne permettaient pas de vivre. Que derrière les comptes au jour le jour, ce régime inégalitaire fut une terrible fabrique de mendiant(e)s dont nulle famille n’échappait. Que les dettes ne sont ni un invariant ni le monopole des usuriers, mais qu’elles circulent par chaîne à tous les étages des sociabilités et attachements des classes populaires, quels qu’en soient le lieu, l’âge ou le sexe.

Au dos des grandes histoires

Comment voir si précisément le grain des budgets ? C’est par une histoire pragmatique que l’auteur y parvient, en assumant une sensibilité aux détails des récits.

Habituée à croiser les sources - que ce soient les livres de comptes, les correspondances de simples marchands, les archives des notaires, les fiches des colporteurs ou les relevés de la maréchaussée - Laurence Fontaine tient solidement le fil rouge du crédit, le geste premier du pauvre, sur les trois siècles étudiés. Et d’écouter de plus près les petites élites locales qui cherchent des solutions pour réduire la pauvreté, à travers un concours lancé par l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Châlons-sur-Marne en 1777. C’est le concours du siècle ! 125 réponses, des milliers de pages écrites par les élites provinciales, des intendants des régions, des gestionnaires d’hospice, des militaires qui y vont de leurs constats et de leurs idées pour tenter de fixer un peu mieux ces flux circulant de journaliers-travailleurs-pauvres-mendiants-voleurs. Le concours de 1777 lance un appel à réfléchir « sur les moyens de détruire la mendicité en rendant les mendiants utiles à l’État sans les rendre malheureux  ». Chacun y va avec de nouvelles mesures, on plaide pour laisser les victimes mendier ou pour mieux organiser des quêtes. L’idée d’assurance pointe, à travers les calamités, comme la grêle ou l’incendie, sans parvenir à éclore.

Mais l’important n’est pas là. C’est l’occasion pour l’auteure de lire sous ces milliers de pages les portraits de budgets qu’elle cherche finement. D’où une multiplication d’histoires pour « sauver sa vie », une formidable foisonnement de courtes biographies offert par les bureaux de charité et des hôpitaux, des observations plus courantes venant des philanthropes et des palais de justice. Et à nouveau de les croiser avec d’autres sources de sorte à nous entraîner dans d’incroyables tournées entre Gênes, Venise, Bologne ou Florence ; d’Amsterdam à Bruges, Anvers, Bruxelles, La Haye ; de Madrid à Saint Pétersbourg ; de Rennes à Guingamp, Elbeuf ou Le Havre, Lyon à Paris.

Malgré cette étendue, l’échelle est à hauteur de l’individu.

Malgré cette vaste géographie, la combinaison est nourrie d’études de cas.

Malgré les comptes épars, il y aura reconstitution de la créance.

Le principe du choix opéré consiste à additionner les « figures » de dettes, de comptes, de liens familiaux, d’activités licites ou non, de métiers saisonniers pour confirmer que la pauvreté n’est pas une condition figée, une position définitive, une exclusion dirait-on dans un langage moderne. Tout bouge tellement que la notion de « classe » ne tient pas l’analyse tant elle suppose de choisir, ordonner et hiérarchiser, codifier en somme.

La thèse entend défendre une histoire « en dessous » des structurations supposées des marchés, non pas aux marges des corporations, mais dans un continuum entre mobilité, travail, mendicité, vagabondage, besogne, abandon provisoire d’enfant et hébergement d’occasion. Tous ces moments marchent ensemble nous dit Laurence Fontaine, toutes les pratiques sociales observables dans ces mille histoires présentent un tableau de mobilité dans lequel se bousculent les chertés des denrées et les occasions de travailler ; les fragilités selon les phases du cycle de vie et selon les sexes, les trajectoires de vie (mariage précoce ou tardif des parents, accidents et maladies), enfin suivant les secteurs économiques.

Combinaison d’activités”

La suite ci-dessous :

https://laviedesidees.fr/Les-miserables-de-l-Ancien-Regime.html

 

 

Jean Vinatier

Seriatim 2023

 

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