La lecture de la lettre aux Français du Président Macron est un long propos
adressé à lui-même : débat borné, questions écrites dont les réponses vont
de soi. Toute cette démarche est huilée de telle façon que rien n’en puisse
sortir qui contreviendrait au programme présidentiel de 2017.
Nous sommes bien éloignés de la ferveur qui s’emparait de la France en
1789 lors de la rédaction des cahiers de doléances, Louis XVI laissant une
entière liberté rédactionnelle à ses sujets, trop diront certains, par inconscience
diront d’autres. Le Roi voulut le doublement du Tiers en décembre 1788 : il
jugeait logique de libérer la parole, de biffer la censure sur la presse et se
préparait certainement à soutenir le Tiers Etat échaudé après les réactions des
privilégiés lors des deux assemblées des Notables en 1787 et 1788. L’agonie du Dauphin
puis sa mort le 4 juin 1789, le Roi ne voulut plus être qu’un monarque dans son
particulier, s’abîma dans la douleur laissant le Tiers Etat naviguer et s’enhardir…On
connaît la suite.
Deux siècles plus tard, il est beaucoup moins question de liberté et d’émancipation,
l’horizon est moins ensoleillé : il ne faut jamais oublier que tout ce que
fait l’actuel gouvernement a pour objectif de dégager l’horizon à un mois des
élections européennes. Les Gilets jaunes ne seront plus en avril, ou bien conséquence
de leur usure, ou bien de leur écrasement physique.
La Lettre aux Français n’est pas une ouverture mais une nasse à partir
de laquelle le successeur de François Hollande espère compléter sa grande manœuvre
politique : aplatir Mélenchon, favoriser une liste de gauche
macron-compatible (PS, Benoît Hamon, les Verts, Place publique de Raphaël Glucksmann),
se garder un tout petit PC en digue d’appoint, à droite évider Les Républicains
via notamment les affaires judiciaires (affaire Fillon réapparait : simple
hasard ?), générer une liste centro-juppéiste tout à fait macron-compatible.
Dans l’absolu, Emmanuel Macron souhaiterait n’avoir qu’une liste, la sienne.
Son inconvénient accréditerait l’idée qu’un seul parti serait en faveur de l’actuelle
Union européenne. Pour éviter cette critique, favoriser deux autres listes sœurs.
Armé de la sorte, Emmanuel Macron se tournerait d’un bloc contre Marine Le Pen
et Nicolas Dupont-Aignan se retrouvant dans la même situation qu’au soir du
second tour de la présidentielle de 2017.
Hier à La Mutualité, Marine Le Pen a lâché nombre de flèches contre
Emmanuel Macron, désireuse qu’elle était de rejouer le débat où elle s’empêtra
avant de parler assez souvent de l’Union européenne plaidant la nécessaire
alternance au Parlement de Strasbourg. Cette nouveauté ne peut se séparer des manœuvres
italiennes : Matteo Salvini s’est déplacé en Pologne pour poser les
premiers jalons de ce que pourrait être un ensemble souverainiste au parlement.
Les difficultés actuelles du gouvernement de Teresa May pour parvenir à un
BREXIT découragent certainement celles et ceux qui prônaient une sortie. L’option
qui apparait au sein des différents mouvements populistes ne serait plus de
sortir de l’Union européenne mais de s’y ancrer davantage, de miner l’actuel
édifice, d’en prendre à terme possession. Cette possible stratégie aurait le
mérite de ne plus effrayer le citoyen lambda lequel est terrorisé dès qu’on
évoque l’Euro et Bruxelles. On ne sait pas si les architectes de l’Union
européenne qui ont beaucoup prévu, ont évacué cet entrisme renversant que suggèrent
les propos de Matteo Salvini ?
La réplique d’Emmanuel Macron se bornerait, pour l’heure, à signer le
22 janvier un second traité de l’Elysée avec Angela Merkel le premier datant de
1963 et avait alors pour signataires le Général de Gaulle et Conrad Adenauer. En
1963 la France était souveraine, dotée d’une économie florissante et non
délocalisée, la RFA disposait d’une industrie, épargnée par les bombardements
alliés, et veillait à la discrétion dans les relations internationales, il y
avait donc un rapport assez équilibré entre les deux nations avec, notamment,
un objectif éducatif, l’enseignement du français en Allemagne et vice-versa ce
qui aurait fait de l’axe Paris-Berlin, une voie bilingue très prometteuse. L’on
sait que ce traité ne fut rien. En 2019, Angela Merkel est une dirigeante en
fin de parcours, Emmanuel Macron est impopulaire et même plus. L’Allemagne a
réussi la réunification, favorisé l’entrée des anciens pays membres du pacte de
Varsovie dans l’Union européenne qui ont longtemps été un réservoir humain à
bas coût pour son industrie. Aujourd’hui Berlin est la puissance hanséatique
qui conduit l’Europe et très naturellement, elle accroit son budget militaire,
s’affirme davantage hors de ses frontières. Son empire couvre largement l’actuelle
Union. Quant à la France, affaiblie, embourbée dans une dette colossale, son
industrie éparpillée, épouillant son identité, elle ne cherche plus à redevenir
une puissance mais tente par des renoncements de convenir aux desiderata
berlinois. C’est peu dire que le second traité de l’Elysée n’est pas une pâle
copie du premier, il n’est qu’un écran de fumée tragique.
Les Gilets jaunes poursuivent leur route et gardent les ronds-points si
importants à tous égards : ils s’enracinent dans le paysage, suscitent des
élans similaires dans d’autres pays : les Argentins rêvent d‘en devenir. Chaque
semaine apporte son évolution et surprend à chaque fois par la tactique
retenue. Les Gilets jaunes sont une longue mèche, l’Elysée une grenade
dégoupillée ?
Jean Vinatier
Seriatim 2019
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