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mardi 2 février 2010

Georges Bernanos :1944 « La révolution de la liberté » –N°625-3e année

La maison d’édition bordelaise Le Castor Astral a eu l’excellente idée de rééditer l’essai de Georges Bernanos (1888-1948), La France contre les robots, paru la première fois à Rio de Janeiro, aux éditions La France Libre en 1946. La préface de l’écrivain et journaliste Pierre-Louis Basse et la postface d’Albert Béguin (1901-1957) forment deux interventions de choix, de la part de deux hommes de générations différentes et d’horizons politiques séparés, autour de la personnalité emblématique de Georges Bernanos qui quoique chrétien et royaliste voua aux gémonies, outre tous les bien-pensants, titre d’un essai en 1931, Franco (Les grands cimetières sous la lune) et Pétain ainsi que Charles Maurras ! Résistant, gaulliste dés juin 1940, ses deux fils combattront dans les rangs des FFL, il écrira La France contre les robots à la fin de la guerre (1944-1945) dans le cadre du Comité central des Français Libres de l’Amérique Latine avec pour centre le Brésil. Ce détail a toute son importance quand on sait le programme politique, économique et social rédigé par le Conseil National de la Résistance aujourd’hui, abattu pierre par pierre par l’actuel pouvoir.
Albert Béguin a écrit dans sa postface que
La France contre les robots n’était pas un « pamphlet politique » mais une « apologie de la Liberté, défi jeté aux idolâtries du profit et de la force » Pierre-Louis Basse, en préface, ne lui répond-il pas en posant la question politique soulevée par Bernanos « Quelle place pour l’individu, écrasé par " la Mecque du capitalisme universel " » ?
Les 122 pages de cet écrit d’exil nous rappellent d’autres auteurs, Aldous Huxley, Georges Orwell, Herbert Georges Wells, le cinéaste Fritz Lang (Métropolis), le comédien Charlie Chaplin (Les temps modernes) qui prévinrent du danger de la soumission à la Société Machine destructrice de l’homme libre. Tous leurs écrits et films ont été prémonitoires.
Le texte d’une vingtaine de pages proposé ci-dessous en extraits s’intitule
La révolution de la liberté (décembre 1944) Il reprend l’esprit de La France contre les robots et figure avec d’autres écrits et correspondances inédites dans cet ouvrage.
Au fond, n’est-ce pas Paul Valéry, vers 1920, avec son affirmation
« l’histoire du monde fini commence » qui suggéra en premier la réflexion fondamentale ?

« (…Il y a vingt ans, le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu’alors réservée aux forçats. Oh ! oui, je sais, vous vous dites que ce sont là des bagatelles) Mais l’homme de mon pays, l’homme de l’ancienne France attachait à ses bagatelles une importance énorme. Chaque citoyen, chaque corporation, chaque état, chaque confrérie et presque chaque village, avait ses privilèges et les maintenait coûte que coûte. Durant des siècles pas un homme de police n’eût franchi le seuil inviolable de l’Université de Paris, sans être massacré par les étudiants. L’abbaye de Saint-Germain-des- Prés, comme beaucoup d’autres, jouissait du droit d’asile. Les immenses terrains qu’elle possédait au bord de la Seine, étaient ainsi devenus un repaire de malandrins. L’Abbé leur proposa de les embarquer à ses frais pour l’Amérique, avec un petit pécule. Dix-huit refusèrent pour lesquels on exigea du Roi une lettre de pardon. L’homme de l’ancienne France, cher lecteur, vous paraîtrait aisément aujourd’hui un anarchiste. Ce que vous appelez désordre, il l’appelait ordre. Je suis un homme de l’ancienne France, les Démocraties d’uniformisation me font rire. L’opinion publique, au XVIIIe siècle, s’est soulevée contre l’usage traditionnel d’enrôler de force, dans les ports, en cas de nécessité, un certain nombre de jeunes marins. Elle accusait aussi les sergents recruteurs de payer trop généreusement à boire aux garçons dont ils sollicitaient la signature qui allait les faire, pour six ans, soldats du Roi…
Aujourd’hui l’exception est devenue la règle, la Démocratie mobilise tout, hommes, femmes, enfants, animaux et machines, sans même vous demandez de trinquer à sa santé.
[….]
Tandis que j’écris ces lignes, quelques centaines d’hommes dont les noms sont ignorés du public mais la puissance presque sans bornes, réunis par groupes dans de somptueux bureaux standards, discutent entre eux les ressources de chaque nation en fer, en cuivre, en manganèse, en phosphates, en pétrole, et se croient capables de fixer en dernier ressort, appuyés sur leurs statistiques, la destinée du genre humain. J’ai bien le droit d’établir des statistiques, moi aussi. Je me demande quel est le pays où l’on trouve, sinon le plus d’hommes libres, du moins le plus d’hommes héréditairement et traditionnellement attachés non à l’idée vague, théorique ou juridique de la liberté – comme un philosophe déiste au concept de l’Être Suprême inaccessible et inconnaissable – mais à leurs libertés, à leurs droits, si humbles qu’on les suppose, à leurs droits, à leurs dignités ! Car pour qu’un homme puisse se dire libre, il importe absolument qu’il ait fait de la Liberté son point d’honneur. Un homme d’honneur peut se passer de radio, de cinéma, d’auto, de frigidaire, mais il ne peut pas se passer d’honneur. Il refuse de céder la plus petite parcelle de son honneur, c’est-à-dire de ses libertés légitimes. Un homme d’honneur peut très bien mourir par point d’honneur – pour une raison en apparence futile. Elle n’est futile que pour les imbéciles. Un imbécile en effet est seul capable de se demander sérieusement si le simple geste à peine esquissé d’un soufflet, doit être considéré moins insultant qu’un coup de pied au derrière. Lorsqu’on comprend cela, on est beaucoup moins tenté de rire du brave bourgeois français refusant de laisser prendre ses empreintes digitales. Il avait parfaitement le droit de se demander si on s’en tiendrait là, si on ne finirait pas par lui imprimer au fer rouge un numéro sur la cuisse, afin de faciliter le travail des fonctionnaires. Et d’ailleurs les raisons par lesquelles on justifie la première mesure, serviraient aussi pour la seconde. Elles serviraient pour beaucoup d’autres, elles serviraient presque à l’infini. L’erreur commune est de se dire, à chaque nouvelle restriction : « Après tout, ce n’est qu’une liberté qu’on me demande. Lorsqu’on se permettra d’exiger ma liberté toute entière, je protesterai avec indignation ! »
[…]
Je m’excuse de dire ici en peu de mots ce qui ferait la matière d’un livre, mais qu’importe ! Ceux qui lisent ces lignes avec indifférence s’endormiraient sur le livre. Je n’ai jamais parlé pour les gens qui, sous prétexte de comprendre, exigent de moi que je les rassure, que je les rende rassurés à leurs habitudes de penser et de sentir, à leurs pantoufles. A ceux qui veulent courir le risque de penser par eux-mêmes, je n’ai pas de consigne à donner, j’essaie de leur ouvrir un chemin. Je ne suis pas un philosophe, un penseur, un professeur. Je suis un homme comme vous, comme n’importe lequel d’entre vous, mais je sens ce que vous ne sentez pas, ce que vous subissez sans le sentir, - l’immense pression exercée à chaque heure, jour et nuit, sur nous tous, par le conformisme universel, anonyme, disposant de ressources inépuisables, de méthodes ingénieuses et implacables pour la déformation des esprits. Ces ressources, ces méthodes sont entre les mains d’un petit nombre d’hommes d’argent sans scrupule, beaucoup plus puissants que les gouvernements, et dont la bonne volonté stupide serait plus à craindre que la malice. Sous leurs coups répétés, je vois s’effondrer l’une après l’autre les des traditions spirituelles mille fois plus précieuses et vénérables encore que la vénérable et précieuse abbaye du Mont-Cassin. Je ne suis ni professeur, ni philosophe, mais si je l’étais, je ne croirais pas qu’il suffise d’opposer quelques définitions irréprochables à des milliers de slogans manœuvrant bien en ordre et chargeant ensemble comme des tanks. On se moque toujours des gens qui se paient d’idées. Qu’importe l’idée inscrite sur un papier froid, ou dans un cerveau presque aussi froid que le papier !
Il faut qu’une idée s’incarne dans nos cœurs, qu’elle y prenne le mouvement et chaleur de la vie. [….] Lorsque l’idée de liberté ne sera plus que dans les livres, elle sera morte. Ô vous qui me lisez, commencez par le commencement, commencer par ne pas désespérer de la Liberté ! L’énorme mécanisme de la Société moderne en impose à vos imaginations, à vos nerfs, comme si son développement inexorable devait tôt ou tard vous contraindre à livrer ce que vous ne lui donnerez pas de plein gré. Le danger n’est pas dans les machines, sinon nous devrions faire ce rêve absurde de les détruire par la force, à la manière des iconoclastes qui, en brisant les images, se flattaient d’anéantir aussi les croyances. Le danger n’est pas dans la multiplication des machines, mais dans le nombre sans cesse croissant d’hommes habitués, dès leur enfance, à ne désirer que ce que les machines peuvent donner. Le danger n’est pas que les machines fassent de vous des esclaves, mais qu’on restreigne indéfiniment votre liberté au nom des Machines, de l’entretien, du fonctionnement, du perfectionnement de l’universelle Machinerie. Le danger n’est pas que vous finissiez par adorer les Machines, mais que vous suiviez aveuglément la Collectivité –dictateur, état, parti –qui possède les Machines, dispose des Machines, vous donne ou vous refuse la production des Machines. Non, le danger n’est pas dans les Machines, car il n’y a d’autre danger pour l’homme que l’homme même. Le danger est dans l’homme que cette civilisation s’efforce en ce moment de former.
[…]
L’individu dispose d’un petit nombre de moyens, chaque jour réduit, de résister à la pression de la masse, comme un sous-marin en plongée, à celle de l’eau. Tous les régimes, au cours, de l’Histoire, ont tenté de former un type d’homme accordé à leur système, et présentant par conséquent la plus grande uniformité possible. Il est inutile de dire une fois de plus que la civilisation moderne dispose, pur atteindre ce but, de moyens énormes, incroyables, incomparables. Elle est parfaitement en mesure d’amener peu à peu le citoyen à troquer ses libertés supérieures contre la simple garantie des libertés inférieures, le droit à la liberté de penser – devenu inutile puisqu’il paraîtra ridicule de ne pas penser comme tout le monde – contre le droit à la radio ou au cinéma quotidien.
[….]
Il est évidemment difficile de se représenter un citoyen des Démocraties venant échanger au guichet de l’Etat, sa liberté de penser contre un frigidaire. Les choses ne se passeront pas exactement ainsi, bien entendu. Mais nous savons la tyrannie que l’habitude exerce sur presque tous les hommes. Nous voyons aujourd’hui la spéculation exploiter avec une espèce de rage croissante les habitudes de l’homme. Elle en crée sans cesse de nouvelles – en même temps que les joujoux mécaniques que ses ingénieurs lui fournissent, et qu’elle jette inlassablement sur le marché. La plupart de ces besoins, constamment provoqués, entretenus, excités par cette forme abjecte de la Propagande qui s’appelle la Publicité, tournent à la manie, au vice. La satisfaction quotidienne de ces vices portera toujours le nom modeste de confort, mais le confort ne sera plus ce qu’il était jadis, en embellissement de la vie par le superflu, le superflu devenant peu à peu l’indispensable, grâce à la contagion de l’exemple sur les jeunes cerveaux de chaque génération. Comment voulez-vous qu’en homme formé, dès les premières heures de sa vie consciente, à ces innombrables servitudes, attache finalement grand prix à son indépendance spirituelle vis-à-vis d’un système précisément organisé pour lui donner au plus bas prix ce confort, mais encore pour l’améliorer sans cesse ?
Georges Bernanos »¹



Jean Vinatier

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Source :

1- Bernanos (Georges) La France contre les robots, Préface Pierre-Louis Basse, Postface Albert Béguin, Bordeaux, Le Castor Astral Editeur, 2009, pp.166-167, 168-169, 171-172, 172, 172-173, 173-174.


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