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dimanche 15 août 2021

Afghanistan : rappel historique N°5688 15e année

Avant de revenir sur les derniers événements qui s’accélèrent, chute des capitales provinciales, la dernière Jalalabad, et Abdul Rachid Dostom, l’emblématique chef des ouzbeks en Afghanistan, qui passe en Ouzbékistan, ci-dessous, pour mieux appréhender l'histoire de ce pays, des extraits de l’édition commentée de la Relation de sir Alexander Burnes (né en 1805) officier britannique envoyé en mission à Kaboul, peu de temps après la première guerre Anglo-afghane (1836-1838) au destin tragique : en novembre 1841, il mourut lapidé puis découpé….

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« De 1837 jusqu’à sa métastase terroriste après 1989, l’Afghanistan, pour son infini malheur, aura été un principal théâtre de rivalité entre un empire russe continental en expansion vers l’Asie du Sud, et une puissance anglo-saxonne – Londres jusqu’en 1947, Washington depuis -ancrée sur le pourtour marin du continent et tout aussi déterminée à contenir la Russie dans l’intérieur des terres. La confrontation s’assombrit d’une sanglante teinte idéologique à partir de 1919, quand Moscou veut fournir son soutien diplomatique et financier aux dirigeants de l’Afghanistan neutraliste contre l’empire anglo-indien d‘abord, puis contre le Pakistan après le retrait britannique des Indes en 1947, pour durer jusqu’à l’invasion du pays en révolte par l’armée rouge en 1979, soldée par le retrait soviétique final de Kaboul en février 1989, défaite qui sapa, de fait, l’Empire historique russe : le mur de Berlin s’écroula neuf mois plus tard. »1

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« Autre caractéristique de l’Afghanistan : à maints égards, la société est marquée par la division.

Conséquence des multiples invasions, la population afghane se compose de plusieurs ethnies. Mais il n’existe pas de correspondance entre les zones de peuplement des ethnies et tribus et les frontières des provinces et des principautés qui séparent le pays des Etats voisins. Ainsi, plusieurs ethnies (Pachtounes, Béloutches ou Hazara par exemple) sont également représentées dans les pays voisins (en Perse, au Béloutchistan et au Pakistan – dans l’Etat princier de Chitral pour les Hazara). Les relations entre les pays en sont nécessairement affectées. Les conflits ultérieurs, avec d’autres Etats ou au sein même de l’Afghanistan, ainsi que la volonté d’unification dont fera preuve au XIXe siècle Abdur Rahman, qui initiera de nouveaux déplacements de population, accentueront le phénomène.

Depuis l’établissement de la monarchie afghane par Ahmad Shah en 1747, les Pachtounes constituent le groupe ethnique dominant. Les ethnies minoritaires ne commenceront réellement à jouer un rôle politique significatif qu’à la suite de l’invasion soviétique en 1979.

Les divisions sont également religieuses et les appartenances ethniques et religieuses ne coïncident pas toujours. Alors que les Pachtounes et certains Hazara et Tadjiks sont sunnites (de rite hanéfite), les Qizilbash ainsi que d’autres Hazara et Tadjiks sont chiites (duodécimains), les Kafirs sont animistes, les Guèbres zoroastriens, les marchands originaires de Shikarpur sont hindous et il existe de petites communautés juives et arméniennes.

Autre facteur de division ; l’opposition entre populations sédentaires et populations nomades au sein de chaque ethnie, ainsi qu’entre population des plaintes et population des montagnes.

La division prévaut également au plan politique. L’indépendance que revendiquent les tribus peut avoir un effet protecteur, lors d’une invasion notamment, lorsque le pays se sent ingouvernable pour l’occupant. Mais elle est aussi un facteur de fragmentation de la société afghane qui rend difficile pour le pays de se concevoir en tant que nation. Elle a pour prix l’absence d’unité du pays. Elle rend difficile pour un pouvoir ou Etat central de se faire accepter par les tribus. Mais, fragilisé, le pays est vulnérable face aux attaques des Etats voisins ou des envahisseurs. Il a dès lors besoin de recourir à leur aide pour s’imposer auprès des tribus.

Au sein même des ethnies, les différents clans et familles qui les composent s’opposent également entre eux, quand ce ne sont pas les membres d’une même famille qui rivalisent pour s’imposer. Apparaissent ainsi très tôt dans l’histoire afghane des oppositions qui perdurent jusqu’à aujourd’hui, entre Ghilzaï et Durrani ou entre Saddozaï et Barakzaï, notamment.

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Les dissensions internes sont dons aussi dangereuses pour le royaume que les attaques venues de l’extérieur.

On peut utilement se reporter à l’ouvrage de Michael Barry  qui énonce cinq règles concernant le mode de fonctionnement afghan que l’on peut brièvement résumer comme suit : l’Afghanistan refuse toute domination directe par une puissance extérieure mais ne peut se passer de l’aide financière de puissances extérieures. Un chef n’est en mesure d’imposer son autorité que grâce au clientélisme, ce qui le rend dépendant de subventions extérieures. Cela l’amène à jouer les puissances extérieures les unes contre les autres afin d’obtenir le soutien de l’une d’entre elles. La société afghane n’est capable d’unité que dans l’adversité, lorsqu’elle est menacée par une puissance extérieure. L’Afghanistan est tout à la fois une victime qui tente de résister à la pression exercée par les puissances étrangères et en partie responsable de son malheur puisqu’il dépend de ces dernières.2 »

Notes :

1-Mission à Kaboul – la relation de sir Alexander Burnes (1836-1838) – préface de Michaël Barry, Paris, éditions Chandeigne, 2012, p.8

2-Ibib, Nadine André, Dossier historique, pp. 322,323,324.

Les auteurs :

Michaël Barry est professeur à Princeton. Il est, notamment, l’auteur sur l’Afghanistan de Le royaume de l’insolence (1504-2011), Paris, Flammarion, 2011

Nadine André est maître de conférence à l’université Stendhal-Grenoble 3 :

https://ilcea4.univ-grenoble-alpes.fr/node/65/mission-kaboul-relation-sir-alexander-burnes-1836-1838

 

Jean Vinatier

Seriatim 2021

 

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