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jeudi 22 septembre 2022

Ukraine : le nucléaire sur la table des ogres ? N°5898 16e année

 Les discours de Poutine et Biden n’apaisent en rien le conflit en cours. Pour le Président américain principalement axé sur les midterms, il conviendrait ou bien que la Russie demande des pourparlers ou bien que la Russie ne s'effondre pas. Dans les deux cas, Joe Biden pourrait se targuer d’être un chef de guerre bienheureux. Cependant cette surenchère de la part tant de Vladimir Poutine que de Joe Biden n’est pas sans rappeler ce qu’il advint en 1914 : on rappellera que le Tsar Nicolas II décida, en premier la mobilisation, accédant autant aux pressions de son entourage que de celles du gouvernement français (visite de Poincaré à Saint-Pétersbourg en juillet 14). Il est juste aussi de rappeler que la seule puissance à voir larguer deux bombes atomiques sont les Etats-Unis, la première pour précipiter la reddition nippone, la seconde pour informer le monde (celui alors principalement visé était soviétique) qu’il n’y aurait plus qu’un seul « boss ».

La mobilisation russe quoique partielle, le mot fondamental est prononcé. Le danger dans cette situation est de relever que les situations intérieures prennent le pas sur les ambitions bonnes ou mauvaises à l’extérieur. C’est un basculement qui pourrait être fatal. 

Aujourd’hui, à la différence de la crise des missiles de 1962, où les seuls interlocuteurs étaient Moscou et Washington, les acteurs sont plus nombreux ; ainsi les puissances nucléaires au nombre de 9 (USA, Russie, Royaume-Uni, France, Chine, Inde, Pakistan, Israël, Corée du nord) mais aussi les puissances régionales qui n’existaient pas alors du fait de la décolonisation en cours….

Pour contrer la montée en force du bellicisme qui nous met en danger, une ligue des neutres ou bien de non-alignés serait un chemin à prendre. Encore faudrait-il un point commun qui existait, par exemple, à Bandung en 1955. En 2022, on compte 120 pays non-alignés (Amérique du Sud, Afrique, Asie - orientale et du sud ) qui pèsent peu, le décolonialisme ayant fait son temps. Surgissent des organisations (OCS, BRICS) qui sur les plans économiques et financiers essaient de manière intercontinentale d’explorer des voies de développement sans passer forcément par la case dollar. Une ambition intéressante et intelligente mais qui demande du temps et de la pratique quand les Etats-Unis disposant tant de l’alliance militaire (OTAN), que de bases multiples et d’une monnaie refuge sont en réalité sans adversaire équivalent et peuvent, par le softpower, la maîtrise du récit, influer, conditionner les masses. Ainsi, si le gouvernement chinois veut ne plus dépendre de l’Internet californien en 2024, sa population ne « rêve » que des lumières de Las Vegas ! L’Europe vit avec les lunettes USA sur le nez. En réalité, ce qui fait la force euro-américaine c’est l’idée selon laquelle nous partageons les mêmes valeurs et que le Royaume-Uni regardé comme la mère fondatrice de la démocratie autant que du capitalisme serait alors la clef de voûte du lien transatlantique. C’est une acceptation post-1945. Dans l’entre-deux guerres, les américains échouèrent complètement à vendre leur histoire Atlantique auprès des européens. 

Face à une puissance qui dispose de tout (les Etats-Unis seraient la seule puissance-continent à pouvoir vivre en une presque autarcie si elle changeait de principes économiques et surtout renonçait à son messianisme), les autres pays sont, en réalité, dans un désordre et une dispersion. Dans le conflit en Ukraine, Washington, très éloignée du champ des opérations et ne subissant aucun contre-coup des sanctions (élaborées par Biden !!) est sur un mont Pagnotte qui lui permet de regarder l’événement de haut sans être happé. C’est aussi un déséquilibre que le Royaume-Uni a connu avec « son splendide isolement » à la fin du XIXe siècle.

C’est ce désordre du monde qui permet l’exercice unilatéral de la prépotence. Si par malheur, la Russie usait de l’arme nucléaire, c'est l’Europe qui en pâtirait, pas les américains. L’important, actuellement, n’est pas tant de savoir si les Etats-Unis feront plier la Russie mais qu’avec cette guerre se perpétuerait, ensuite, l’exercice solitaire du faire ce que l’on veut illustré par les extraterritorialités (monétaire, judiciaire…etc.) On ne se rend pas suffisamment compte des privilèges que cette puissance s’octroie alors même qu’elle fut et reste la plus belliqueuse tout en prônant le mythe de la « petite maison dans la prairie ».

L’argument massue étant que d’un côté, il y aurait les démocraties (alliées aux USA) et de l’autre les régimes autoritaires. L’introduction de la morale dans les relations internationales épaulée par la défense des minorités quelles qu’elles soient sous couvert de « valeurs », de « démocratie » a dénaturé le rapport naturel entre les Etats d’autant plus que tout repose sur des variables en fonction des intérêts et des calculs du moment. On observera également que l’Europe et les Etats-Unis se servent de cette morale pour conforter leurs assises et nouer avec un néocolonialisme (la France en Afrique).

Sans connaître les événements de demain, les déclarations russo-américaines, chacune de son côté, affichent publiquement ce qui ne va pas dans le monde. Je ne crois pas que dépendre d’une seule puissance soit sain, pas plus que de permettre à telle ou telle autre de procéder à des violations territoriales. L’ONU devrait être cette assemblée non alignée, ce qu’elle n’est pas ayant renoncé à siéger en Suisse, neutre et qu’elle a laissé passer l’occasion pour l’océan Arctique de le placer sous son égide : ainsi pour la première fois aurait été possible de protéger et d’épanouir une aire de façon solidaire, prélude à la conscience mondiale. Au lieu de quoi, chaque pays en bordure y plante son drapeau….

Sans doute, cheminons-nous vers la tragédie. Mais via cette confrontation US/Russie, parviendrons-nous à mesurer le déséquilibre dangereux sur lequel nous sommes? 

Jean Vinatier

Seriatim 2022

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