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jeudi 7 août 2008

Aloysius Bertrand : « La chambre gothique » et « Scarbo » N°263 - 2eme année

Aloysius Bertrand (1807-1841) inventeur du poème en prose est mort dans la misère et presque l’anonymat. Il est, ajourd’hui, célèbre et respecté.
Son recueil de poèmes,
Gaspard de la nuit sera publié la première fois en 1842 par son ami, le sculpteur, David d’Angers. Baudelaire lui rendra hommage dans la dédicace du Spleen de Paris. Mallarmé l’admirait et André Breton dira qu’il était un « surréaliste dans le passé ».
Le poète est lié au romantisme pittoresque : passion pour le Moyen-Âge, pour le fantastique et même le grotesque avec l’invention du personnage de Scarbo, gnome malfaisant et moqueur.




« LA CHAMBRE GOTHIQUE.



« Nox et solitudo plenae sunt diabolo. »
Les Pères de l'Église
La nuit, ma chambre est pleine de diables.


« Oh! la terre, - murmurai-je à la nuit, est un calice embaumé dont le pistil et les étamines sont la lune et les étoiles! »

Et, les yeux lourds de sommeil, je fermai la fenêtre qu'incrusta la croix du calvaire, noire dans la jaune auréole des vitraux.



Encore, - si ce n'était à minuit, - l'heure blasonnée de dragons et de diables! - que le gnome qui se soûle de l'huile de ma lampe!

Si ce n'était que la nourrice qui berce avec un chant monotone, dans la cuirasse de mon père, un petit enfant mort-né!

Si ce n'était que le squelette du lansquenet emprisonné dans la boiserie, et heurtant du front, du coude et du genou!

Si ce n'était que mon aïeul qui descend en pied de son cadre
vermoulu, et trempe son gantelet dans l'eau bénite du bénitier!

Mais c'est Scarbo qui me mord au cou, et qui, pour cautériser ma blessure sanglante, y plonge son doigt de fer rougi à la fournaise!


II



SCARBO.



Mon Dieu, accordez-moi, à l'heure de ma mort, les prières d'un prêtre, un linceul de toile, une bière de sapin et un lieu sec.
Les patenôtres de Monsieur le Maréchal.


« Que tu meures absous ou damné, marmottait Scarbo cette nuit à mon oreille, tu auras pour linceul une toile d'araignée, et j'ensevelirai l'araignée avec toi!
- Oh! que du moins j'aie pour linceul, lui répondais-je, les yeux rouges d'avoir tant
pleuré, - une feuille du tremble dans laquelle me bercera l'haleine du lac.

- Non! - ricanait le nain railleur, - tu serais la pâture de l'escarbot qui chasse, le soir, aux moucherons aveuglés par le soleil couchant!

- Aimes-tu donc mieux, lui répliquai-je, larmoyant toujours, - aimes-tu donc mieux que je sois sucé d'une tarentule à trompe d'éléphant?

- Eh bien, - ajouta-t-il, - console-toi, tu auras pour linceul les bandelettes tachetées d'or d'une peau de serpent, dont je t'emmailloterai comme une momie.

Et de la crypte ténébreuse de St-Bénigne, où je te coucherai debout contre la muraille,
tu entendras à loisir les petits enfants pleurer dans les limbes. »



Source :

« Gaspard de la nuit, troisième livre : la nuit et ses prestiges »
in Œuvres complètes, éditée par Helen Hart Poggenbourg, Paris, H.Champion, 2000


©Jean Vinatier 2008

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