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mardi 26 août 2008

Leconte de Lisle : « Les hurleurs » N°272 - 2eme année

Charles Marie René Leconte de Lisle (1818-1894) naît à l’île Bourbon (Réunion). Poète influent, chef de file des parnassiens. Politiquement, il milite pour l’abolition de l’esclavage et sera, un temps, proche des idées fouriéristes avant de se rallier (discrètement à Napoléon III). Elu en 1886 à l’Académie française au fauteuil de Victor Hugo, il connaît une célébrité indéniable. Ses débuts avaient été durs, il connut la pauvreté jusqu’à la publication en 1852, des Poèmes antiques, dont le succès public lui ouvre les portes du monde des lettres. Suivront les Poésies barbares en 1862 (Poèmes barbares en 1889) puis les Poèmes tragiques en 1884.
Leconte de Lisle a une prédilection pour les sujets « barbares » et « antiques », à travers desquels il veille à être fidèle à l’histoire et prend en compte les connaissances de la science contemporaine sur les civilisations passées. Si toute son œuvre est traversée par l’expression tragique du sentiment de l’existence, son talent pour « l’épique » le conduit vers les grandes fresques mythologiques, historiques. C’est également un poète animalier.
Le poème, « Les hurleurs », ci-dessous est tiré des
Poésies barbares :


« Le soleil dans les flots avait noyé ses flammes,
La ville s’endormait aux pieds des monts brumeux.
Sur de grands rocs lavés d’un nuage écumeux
La mer sombre en grondant versait ses hautes lames.

La nuit multipliait ce long gémissement.
Nul astre ne luisait dans l’immensité nue ;
Seule, la lune pâle, en écartant la nue,
Comme une morne lampe oscillait tristement.

Monde muet, marqué d’un signe de colère,
Débris d’un globe mort au harsard dispersé,
Elle laissait tomber de son orbe glacé
Un reflet sépulcral sur l’océan polaire.

Sans borne, assise au Nord, sous les cieux étouffants,
L’Afrique, s’abritant d’une ombre épaisse et de brume,
Affamait ses lions dans le sable qui fume,
Et couchait près des lacs ses troupeaux d’éléphants.
Mais sur la plage arride, aux odeurs insalubres,
Parmi les ossements de bœufs et de chevaux,
De maigres chiens, épais, allongeant leurs museaux,
Se lamentaient, poussant des hurlements lugubres.

La queue en cercle sous leurs ventres palpitants,
L’œil dilaté, tremblant sur leurs pattes fébriles,
Accroupis çà et là, tous hurlaient, immobiles,
Et d’un frisson rapide agités par instants.

L’écume de la mer collait sur leurs échines
De longs poils qui laissaient les vertébres saillir ;
Et, quand les flots par bonds les venaient assaillir,
Leurs dents blanches claquaient sous leurs rouges babines.

Devant la lune errante aux livides clartés,
Quelle angoisse inconnue, au bord des noires ondes,
Faisait pleurer une âme en vos formes immondes ?
Pourquoi gémissiez-vous, spectres épouvantés ?

Je ne sais ; mais,ô chiens qui hurliez sur les plages,
Après tant de soleils qui ne reviendront plus,
J’entends toujours, du fond de mon passé confus,
Le cri désespéré de vos douleurs sauvages ! »

©Jean Vinatier 2008

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Source :

In Poèmes barbares, Paris, A.Lemerre, 1882, pp;172-173

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