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samedi 12 décembre 2009

Janvier 1768 : « Sire, cette manière de conduire les finances… »-N°592- 3e année

Quelques mois avant sa disgrâce le Contrôleur général des finances, Clément—Charles-François de L’Averdy, marquis de Gambais (1724-1793) adressa à Louis XV un rapport sur l’état des finances dont on pourra tirer des réflexions contemporaines.
Pendant le gouvernement du duc de Choiseul (1758-1770) le ministère L’Averdy (1763-1768) a tenté de réaliser plusieurs réformes dont celle des communes (1764) qui mit fin aux offices municipaux remplacés par des conseils municipaux élus, prélude à d’autres projets touchant à l’organisation administrative du royaume. L’Averdy, descendant d’italiens venus en France (Del’Averdi) et anoblis au XVIe siècle, était un magistrat janséniste et par conséquent hostile aux Jésuites. Très pieux, d’une grande rigueur morale et intellectuelle, il vécut de l’intérieur du gouvernement les fortes tensions entre le Roi, les Parlements et l’évolution d’une opinion publique de plus en plus critique qui allaient aboutir à la grande crise de 1770, la dernière avant la Révolution.
Retiré dans son château de Neuville (Gambais) il y sera arrêté pendant la Terreur puis guillotiné.
Détail people, Arnaud Montebourg, député socialiste et grand pourfendeur des abus, a pour épouse la comtesse de La Briffe descendante directe du ministre de Louis XV et propriétaire avec sa famille de cette magnifique demeure.

« Depuis longtemps, Sire, vos finances sont conduites avec le recours de palliatifs et de ressources momentanées non proportionnées à l’étendue du mal. Cette époque remonte au moins à la conclusion du traité d’Aix la Chapelle (fin de la guerre de Succession d’Autriche, 1748) La dépense depuis ce temps a toujours surpassé la recette tous les ans : l’Etat s’est arriéré par des emprunts ou par des dettes. Les dépenses énormes de la dernière guerre (guerre de Sept ans, 1756-1763) ont infiniment augmenté le mal ; et enfin les quatre premières années de la paix ont présenté une si énorme confusion qu’il est sensible qu’on ne pouvait pas y remédier pendant qu’on cherchait à constater tout et à y remettre de l’ordre. Lorsqu’il faut tous les ans des secours extraordinaires considérables, tout le monde s’en aperçoit ; le discrédit arrive à la fin, parce que l’effroi de l’abîme où conduit nécessairement une administration de cette nature, fait que chacun retire sa confiance et que la ressource extraordinaire ne réussit point ou du moins qu’avec beaucoup de peine. C’est ce qu’on commençait à éprouver en 1766 ; c’est ce qu’on a éprouvé en 1767. Et on est convaincu que le crédit ne pouvait pas produire des ressources complètes l’année prochaine parce que l’état des affaires a trop percé dans le public, qu’il sait trop bien calculer aujourd’hui et qu’il en conclut la faillite comme nécessaire.
Il est donc certain que la voie des palliatifs et des secours momentanés, mauvaise en soi, quoique quelquefois nécessaire, est d’ailleurs épuisée en bonne partie. Mais quand elle pourrait se soutenir encoure toute entière pendant quelque temps, il est sensible que ce ne pourrait être que pour un très petit nombre d’années, que la guerre, si elle survenait, détruirait toute existence et qu’ainsi les événements qu’on redoute, n’en arriveraient pas moins mais seulement avec un éclat plus considérable et plus funeste.
De plus, Sire, cette manière de conduire la finance est dangereuse en politique sous deux points de vue importants. En premier, elle enhardit l’ennemi qui voit l’état fâcheux du royaume sur lequel il veut envahir des possessions ou des branches de commerce. En second lieu, elle perd l’autorité royale. La défiance et la désapprobation enlèvent au gouvernement toute considération ; les besoins l’obligent de céder dans beaucoup d’occasions malgré le chagrin qu’il en ressent. La finance et l’autorité du prince sont comme le niveau de l’eau. L’histoire ancienne le démontre et ce qui se passe sous nos yeux en est la preuve. L’époque des atteintes qu’on a essayé de porter à l’autorité est précisément celle du moment où la dépense a surpassé la recette. Et les épreuves qu ‘on a faites depuis qu’on a cherché à rétablir cette autorité si nécessaire au bonheur et à la tranquillité de l’Empire, démontrent que sans une finance bien réglée ces efforts sont impuissants ; qu’ils produisent des convulsions sans arrêter les entreprises et que leurs effets, en tout cas, sont si lents qu’on peut pour ainsi dire les réduire à zéro.
Mais comment apporter des remèdes lorsqu’on voit un déficit de plus de 60 millions sans ce qui reste encore à payer de la dette arriérée et exigible. Il n’est personne qui ne soit justement effrayé du tableau et qui ne désespère du salut commun. Cependant l’Etat ne doit pas périr. Il doit avoir en lui-même et les ressources possibles et les voies de contrainte pour se les procurer tout à la fois ou successivement. Le tout est de le faire convenablement. Car quand même un grand Etat serait réduit à la nécessité dure et honteuse de faire faillite, il aurait encore à chercher et à trouver la moins nuisible de le faire et elle demanderait à être conduite avec une règle déterminée. Mais écartons cette idée aussi funeste. En s’appliquant aux maux de la patrie, on doit essayer tous les moyens possibles de sauver son maître avec les secours de son autorité et les citoyens malgré eux et malgré leurs plaintes. »




Jean Vinatier

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Sources :


Archives nationales, série K/885 n°4 : Rapport sur la situation des finances par M. de L’Averdy, Contrôleur général des Finances

Mireille Touzery : L’invention de l’impôt sur le revenu –La taille tarifée, 1715-1789, Comité pour l’Histoire Economique de la France, Paris, 1994, pp.216-217
Joël Felix : Finances et politique au siècle des Lumières – Le ministère L’Averdy, 1763-1768, Comité pour l’Histoire Economique de la France, Paris, 1999
Arnaud de Maurepas/Antoine Boulant : Les ministres et les ministères du Siècle des Lumières 1715-1789, Christian/Jas, Paris,1996, pp.333-336


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