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lundi 20 décembre 2021

Soudan : retour sur le putsch militaire d’octobre 2021 N°5772 15e année

 « Alice Franck est maîtresse de conférences en géographie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (UMR PRODIG), spécialiste du Soudan.
Elle revient pour Les clés du Moyen-Orient sur les événements politiques du pays avant et après le coup d’État, les réactions de la population soudanaise, ainsi que les réactions régionales, Russes, américaines et européennes.
Cet entretien a été réalisé mi-novembre 2021. »

 

« Le 25 octobre 2021, un putsch militaire a renversé le pouvoir en place, arrivé après la chute du régime d’Omar Al-Béchir en 2019. Comment la vie politique s’était organisée au Soudan après la révolution ?

Il faut se souvenir d’une part qu’Omar Al-Béchir est un militaire, et d’autre part que la fin du régime de Béchir a débuté par un coup d’Etat militaire identique à celui d’octobre dernier puisque ce sont des militaires proches de Béchir qui ont profité de la contestation générale du régime par les civils pour prendre le pouvoir. De grandes manifestations contre le régime de Béchir avaient débuté dès décembre 2018, faisant elles-mêmes écho à d’autres manifestations qui avaient eu lieu plusieurs mois auparavant. En avril 2019, ce sont des militaires appartenant au régime d’Omar Al-Béchir qui ont démis ce dernier. Ils n’ont pas pour autant remis le pouvoir aux civils, flouant ainsi les volontés révolutionnaires. Une fois hissés en haut de l’Etat, malgré leurs discours en faveur d’un nouveau régime, les militaires ont rapidement révélé leur visage en n’hésitant pas à user de la force contre les civils désarmés qui n’acceptaient pas cette usurpation. Malheureusement le coup d’Etat du mois dernier rappelle ce triste scénario car le 17 novembre dernier, les militaires ont à nouveau massacré les civils qui condamnaient le nouveau putsch militaire. Un bras de fer entre civils et militaires s’ouvre donc à nouveau. Chèrement payé au printemps 2019, au prix de centaines de vies innocentes, il avait contraint les militaires à partager le pouvoir : un acte constitutionnel avait été signé en août 2019 organisant une transition politique partagée entre civils et militaires avec la mise en place d’un conseil de souveraineté accueillant des membres issus des deux groupes. Le conseil de souveraineté devait être dirigé par des militaires les deux premières années de la transition puis ces derniers devaient laisser place aux civils. Entre 2019 et 2021, c’est Abdel-Fattah al-Burhane, commanditaire du putsch d’octobre 2021, qui était à sa tête.

Si ce conseil de souveraineté intégrait donc une partie militaire, le gouvernement était en revanche civil. Néanmoins, l’issue des deux ans était proche et les militaires n’entendaient pas rendre aux civils le pouvoir. Utilisant des recettes anciennes, profitant des difficultés du gouvernement aux prises avec une crise économique profonde, les militaires ont dénoncé l’action des civils en condamnant leur gestion du pays et attisé les divisions au sein de leur groupe en attirant les rebelles des régions périphériques du Soudan qui avaient laissé leurs armes et intégré le processus de transition à l’automne 2020. Cette grave crise économique tout comme les asymétries de développement ont été en partie responsables de la chute du régime de Béchir en 2019. La population avait protesté contre les pénuries et l’inflation extrêmement forte. A ce titre, il est intéressant de noter que les militaires ont immédiatement injecté des sommes d’argent importantes après leur putsch afin d’éviter la flambée des prix qui s’observe généralement après un coup d’État. Fin octobre, les prix sont restés assez stables.

Les militaires, voyant arriver à son terme leur période de présidence du conseil de souveraineté, ont ainsi agité le chiffon rouge économique ; ils ont également joué à différents niveaux sur l’appréhension de la population face à l’insécurité. Tout d’abord en profitant, relayant, voire organisant depuis des mois la montée d’une « insécurité quotidienne », au niveau des quartiers de la capitale notamment, avec un climat renforcé de petite délinquance à mettre en lien également avec les difficultés économiques. Par ailleurs dans le mois qui a précédé le putsch d’octobre, des opérations de déploiements des forces armées à Khartoum ont été menées dans le but de déjouer des tentatives de coups d’Etat, et de démanteler des cellules soudanaises de daesh faisant augmenter le climat de tension et d’appréhension des populations soudanaises à l’encontre d’un scenario de chaos. D’autant plus que le souvenir de la guerre civile qui a déchiré le Sud du pays à la suite de son indépendance en 2011, tout comme celui des guerres qu’ont connu différentes régions du pays comme le Darfour ou encore la proximité de la Libye et la crise éthiopienne actuelle, constituent des facteurs d’appréhension bien réels pour les populations civiles.

En ce sens, la présence de militaires dans la transition politique rassure d’une certaine manière une partie de la population même si cette dernière souhaite l’instauration d’un régime civil. Des tensions étaient palpables dès le début de l’association entre civils et militaires mais elles se sont accrues considérablement ces derniers mois. Conscients de la fragilité de cette alliance presque contre-nature, et doutant de la volonté réelle des militaires à abandonner le pouvoir, les civils ont appelé à sortir dans la rue pour commémorer l’anniversaire de la révolution du 21 octobre 1964, qui avait mis fin à la période militaire du général Abboud, en signe de soutien à la présence de civils au sein du régime. Des centaines de milliers de Soudanais ont répondu à cet appel et les militaires ont certainement craint d’attendre davantage pour s’emparer du pouvoir à eux seuls, face à une potentielle réorganisation de la population en soutien des civils.

Il y avait donc une certaine cohérence dans cette reprise du pouvoir par la force par les militaires… »

La suite ci-dessous :

https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Alice-Franck-Retour-sur-le-putsch-militaire-d-octobre-2021-au.html

 

 

Jean Vinatier

Seriatim 2021

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