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samedi 9 juillet 2022

Ce que l’Algérie doit à la lutte d’indépendance de l’Irlande par Slimane Hargas N°5882 16e année

 « La guerre livrée par le FLN contre la France coloniale a souvent été tenue pour une révolution à nulle autre pareille. Toutefois, des militants indépendantistes se sont inspirés de bien d’autres histoires, dont celle du conflit anglo-irlandais, qui a été pour eux un instrument de légitimation révolutionnaire, puis de propagande destinée à s’attirer les bonnes grâces de la jeune République d’Irlande. »

 

« « Ce qu’il y a de commun entre Joyce, Faulkner et moi, c’est qu’eux étaient irlandais et moi je suis algérien »1, soutient Kateb Yacine au milieu des années 1980. Il est indubitable que ce dernier, éminent pourfendeur de l’idéologie coloniale, prononce ces paroles en ayant en tête l’esprit révolutionnaire et contestataire que les deux peuples ont en commun. Une autre assertion de l’auteur de Nedjma en fait foi : il relate en effet avoir eu une voisine irlandaise avec laquelle il échangeait quotidiennement « des sourires où s’exprimait une vive complicité anti-impérialiste »2. Ces rapprochements sont loin d’être sans précédent : l’Irlande était une « référence obligée »3 du nationalisme algérien, y compris lorsque celui-ci n’était encore qu’à l’état embryonnaire.

Un instrument rhétorique

Peut-être n’est-ce qu’une coïncidence de l’histoire, mais la gestation du nationalisme algérien est plus ou moins concomitante de la signature, en 1921, du traité anglo-irlandais qui sonne le glas d’une guerre d’indépendance longue de deux ans. Ce traité donne naissance à l’État libre d’Irlande et confirme la partition de l’île, sa partie septentrionale demeurant dans le giron britannique. Les vicissitudes du conflit anglo-irlandais ne passent pas inaperçues en France et en Algérie. Dans la droite lignée des indigénophiles du XIXe siècle, à l’instar de Leroy-Beaulieu, l’Ikdam, journal de l’émir Khaled, petit-fils de l’émir Abdel Kader, se sert de l’exemple de l’Irlande afin d’adresser un message comminatoire à la France sur les répercussions qu’aurait la poursuite de sa politique discriminatoire envers les « indigènes » :

Si l’émir Khaled oscille entre expression de loyauté à la France et discours protonationaliste, Ahmed Taoufik El-Madani, fils de réfugiés algériens installés en Tunisie, se montre quant à lui moins ambivalent. En 1923, il publie un article d’une vingtaine de pages sur l’Irlande dans la revue Al-Fajr. La ligne de force qui traverse cet article est l’idée selon laquelle l’Irlande a dû verser son sang pour acquérir son indépendance. À partir de ce constat, El-Madani établit une règle : il incombe aux opprimés de comprendre que la liberté ne peut être donnée volontairement par le colonisateur ni s’accomplir par une quelconque œuvre philanthropique et charitable à l’initiative de celui-ci. Elle ne s’obtient qu’au prix de lourds sacrifices. L’auteur appelle alors tous les peuples opprimés à saluer la victoire de l’Irlande, et à prendre conscience qu’aucun obstacle dressé par l’autorité coloniale ne peut indéfiniment entraver la marche irrésistible d’un peuple capable d’abnégation et de résilience vers sa liberté. Ainsi l’Irlande est-elle élevée en exemple destiné à instiller chez les nationalistes anticoloniaux un sentiment de confiance et d’optimisme quant à leurs chances de voir leurs combats aboutir.

Bien que le texte rédigé par El-Madani en hommage à la révolution irlandaise soit inédit et pionnier dans le contexte maghrébin, il paraît improbable qu’il ait impulsé à lui seul la propagation des analogies entre l’Algérie et l’Irlande, lesquelles commencent à poindre dans le discours indépendantiste à compter des années 1920. Plusieurs facteurs indiquent que les nationalistes algériens se sont enquis de l’histoire irlandaise à partir de différents points d’accès, compte tenu de leur maîtrise de la langue française et de leur contiguïté avec les milieux communistes français. Avant même le déclenchement de la révolution d’Octobre, Lénine lui-même cite l’Algérie et l’Irlande parmi les nations opprimées dont il se réjouirait qu’elles s’insurgent contre les puissances coloniales française et anglaise. Dans cette logique, le Parti communiste français (PCF) participe à la formation politique de Messali Hadj, qui devient en 1927 secrétaire de l’Étoile nord-africaine, première organisation à revendiquer l’indépendance de l’Algérie.

Messali Hadj s’imprègne de l’histoire révolutionnaire irlandaise, à telle enseigne qu’il en fait un instrument rhétorique en vue de légitimer le combat qui est le sien à l’échelle internationale, en assimilant la situation de son pays à celle de l’Irlande avant 1921. C’est ce qu’il fait par exemple en juin 1933, lorsqu’il démontre dans son discours comment « sous prétexte de civiliser un peuple déjà “civilisé”, la France accomplit une œuvre de destruction à l’égard des Musulmans »5. L’évocation de l’Irlande n’est pas anodine, car rien de tel qu’une nation européenne pour tenter de dessiller les yeux d’auditoires parfois acquis à l’idéologie coloniale sur l’absurdité du mythe selon lequel les peuples dominés seraient nécessairement dénués de civilisation.

Tirer les leçons de la « débâcle » irlandaise »

« La suite ci-dessous :

https://orientxxi.info/magazine/ce-que-l-algerie-doit-a-la-lutte-d-independance-de-l-irlande,5739

 

Jean Vinatier

Seriatim 2022

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