Le dernier sommet de l’OTAN tenu à Madrid est la continuation de ce qui précède sur le fond depuis des lustres et plus encore depuis l’offensive russe en Ukraine. La double entrée de la Finlande et de la Suède dans cette organisation parfait un objectif géostratégique américain : que le continent européen soit un bloc et que ce bloc soit entre ses mains. Il peut y avoir des acteurs européens qui négocient en permanence une spécificité telle l’Allemagne mais au fur et à mesure que s’approche la confrontation ou plus exactement la mise en ordre de bataille du rapport de forces entre les États-Unis et la Chine, l’espace périphérique dédié aux « singularités » se rétrécira. Ainsi, la Turquie par son emplacement géographique est sans doute la seule actrice à pouvoir faire le derviche tourneur et dans ce rôle Reycep Erdogan est un danseur étoile qui a, cependant, le risque à trop être le point central, d’être un catalyseur des tensions euro-asiatiques.
Dans ce cadre géopolitique, l’Ukraine fait figure d’antenne relais, de plateforme logistique avec un animateur président uniquement chargé de dire chaque matin tel un curé à sa messe quotidienne, ce qu’il faut faire urbi et orbi. Cette redondance du Ita missa est commence à peser. Mais pèse davantage le total affaissement européen qui va tête baissée sous les ailes américaines persuadées que son plumage sera protecteur. Le grand drame, outre évidemment celui subit par les ukrainiens et dans un autre ordre bien des russes, est ce renoncement à être. On a un exemple avec l’idée lancée par Emmanuel Macron autour de la « communauté politique européenne », davantage une formule MacKinsey que le produit d’une maturation mais bien récupérée par le Premier ministre britannique, Boris Johnson qui y voit une occasion pour le Royaume-Uni se revenir dans le jeu européen comme acteur extérieur et avec l’intention d’y jouer le rôle de diviseur. Tout cela est masqué par l’idée d’une Méditerranée « mare nostrum », une façon de ramasser les restes du projet de Nicolas Sarkozy.
L’absence totale d’interrogation européenne sur la grande crise intérieure américaine est patente de cet abandon d’intelligence dont nous fûmes autrefois le vivier. Le consentement à finir étouffé, pillé, ballotté par les intérêts étrangers, à biffer toute projection semble être le sommet de la construction européenne. On abuse les opinions publiques par les amendes que Bruxelles dresse contre les GAFAM mais c’est là un rôle de gendarme qui ne va pas plus loin.
Tant que nous n’enlèverons pas les lunettes américaines posées sur nos nez, nous irons de mal en pis. Mais l’intoxication des populations et plus encore des « élites » sur l’évidence étasunienne est telle que dès qu’un politique le fait, il est aussitôt sanctionné par les urnes. Cette pétrification des esprits nous prépare très mal aux défis très tumultueux que nous prendrons en pleine figure.
De quoi avons-nous l’air en devenant russophobe, sinophobe par principe? Il serait très instructif de relire des écrits des décennies précédentes autour de ces deux pays pour mesurer l’abîme où nous sommes tombés. Je ne parle pas d’adhésion à ces régimes communistes, je parle de leur puissance géographique, historique, de leur ancienneté de civilisation. Cela fait un bon moment que la Russie et la Chine ont avalé le communisme…
L’ennemi russe permet aux États-Unis de fédérer l’Europe tel un boa s’étendant tout le long de sa future victime…avant de l’ingérer. Ce que l’Europe n’a même pas voulu comprendre, c’est que sans notre continent les Américains n’affronteraient pas la Chine, nous sommes le poids qu’il faut pour que la balance géopolitique leur soit favorable. L’Asie ne se sinise pas, elle apprend l’autonomie ce qui n’est pas la même chose. Que la Chine ambitionne de rayonner sur ce continent est une chose qui ne doit pas faire oublier que depuis l’Arabie Saoudite jusqu’au Japon en passant par la Russie, l’Iran, l’Inde, la Turquie, cet espace historique empêche l’émergence d’une seule puissance mais dans le même temps si les Atlantiques (USA/Europe) par la seule jalousie de la Chine nous voulions l’écraser, nous serions face à une Asie très hostile et qui ne se laisserait pas faire. Il faut bien distinguer la crainte d’un pays par rapport à un autre avec la prépotence d’un pays non asiatique contre l’un des leurs.
Il y a une prise de conscience asiatique en tant que telle à l’inverse de l’Europe. Nous le mesurâmes tout récemment à l’occasion de la décision de la Cour suprême fédérale américaine sur l’avortement…où l’Europe et principalement la France réagirent comme si cette cour était nôtre…que nous étions donc « américains »…L’Europe serpente dangereusement….
Jean Vinatier
Seriatim 2022
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