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mardi 28 juillet 2009

Panikkar : « l’Asie et la domination occidentale »¹- N°504- 2e année

A la veille de la rencontre sino-américaine, la relecture de cet ouvrage paru en 1953 avec une longue et vigoureuse préface d’Albert Béguin, de Kavalam Madhava Panikkar (1895-1963), ambassadeur indien en Chine (1948-52) en Egypte (1952-54) puis en France (1956-59) et auteur d’une Histoire de l’Inde publiée chez Fayard en 1958, est un exercice tout à fait heureux.
A dessein, nous donnons des extraits de la conclusion générale qui résument le livre et se montrent à bien des égards instructifs sur l’entrée des pays d’Asie dans le monde : aspects, politiques, économiques, sociaux, religieux.


« La domination européenne sur l’Asie, depuis l’arrivée de Vasco de Gama jusqu’au départ des flottes occidentales, a une importance fondamentale dans l’histoire de l’humanité. Quatre cent cinquante années de relations et plus d’un siècle de sujétion ont complétement bouleversé la physionomie des pays d’Asie ; il n’est pas un aspect de la vie quotidienne des Chinois, des Indiens, etc…, qui n’ait été affecté. Les conditions politiques, sociales, économiques ont été totalement modifiées. Les systèmes religieux et philosophiques, le mode de vie et la mentalité ont été tranformés à un point qu’il est difficile de comprendre maintenant, car les ferments laissés dans toute l’Asie par ce contact prolongé sont loin d’avoir accompli leur œuvre ; et l’on ne peut raisonnablement prévoir leur action future.
Quelles seront les nouvelles structures politiques de l’Asie ? Dans quel sens ces sociétés libérées de l’emprise européenne évolueront-elles ? Quelle sera leur réaction devant les forces économiques aujourd’hui en jeu ? Dans quel esprit leurs lois seront-elles conçues ? Comment les grandes religions, Hindouisme, Bouddhisme et Islamisme, s’accommoderont-elles des nouvelles idées sociales introduites par l’Occident ? Toutes ces questions, indispensables à une estimation exacte de l’influence européenne, ne trouveront leur réponse que dans l’avenir.
S’il est impossible d’entrevoir l’Asie de demain et de prophétiser la manière dont les expériences, les idées et les institutions des différents pays d’Asie se fondront dans leurs caractéristiques ethniques et leurs traditions historico-sociales, l’on peut affirmer sans crainte d’être contredit que les bouleversements immenses intervenus, les mouvements idéologiques qui leur ont donné un nouveau visage, impliquent une rupture radicale et sans retour avec le passé. La domination européenne, en forçant les peuples asiatiques à la fois à résister et à s’adapter aux idées nouvelles qui, seules, pouvaient les aider à se libérer et à se renforcer, leur a donné une nouvelle vitalité et a réellement préparé l’avénement d’un monde nouveau.

[….]

Il faut cependant remarquer que si les nouvelles idées sont nées du contact avec l’Occident et ont par la suite subi l’influence de la Révolution d’Octobre et de la pensée communiste, l’audience de plus en plus large qu’elles trouvent ne signifie pas une rupture dans la continuité des grandes civilisations asiatiques. Les civilisations chinoise, indienne et autres, si modifiées soient-elles par les nouvelles idées et enrichies par les nouvelles expériences, insistent même de plus en plus sur leur particularisme national. Dans l’Asie du Sud et du Sud-Est, cela est dû dans une large mesure à la vitalité des religions rajeunies ; l’Hindouisme, le Bouddhisme et l’Islam sont sortis encore plus puissants et plus vigoureux de leur lutte contre le Christianisme. [….] Ainsi, bien que l’influence de l’Europe et la pénétration des idées nouvelles aient introduit de grands changements en Asie, et qu’elles puissent sans doute conduire à des modifications encore plus grandes, les civilisations asiatiques continueront à coup sûr de s’inspirer de leur génie propre, et resteront toujours intellectuellement et spirituellement séparées de l’Europe chrétienne.
Il fallut longtemps pour secouer l’indifférence de l’Asie à l’égard du reste du monde ; l’Indien moyen ignorait jusqu’à l’existence d’autres peuples que le sien et il ne prit conscience de la réalité européenne qu’au XIXe siècl, après la conquête anglaise. Quant au Chinois, il fallut deux guerres pour qu’il consentisse à regarder les Européens comme autre chose que des tribus barbares habitant aux confis du monde civilisé. Le Commissaire impérial Lin, s’adressant à la reine Victoria en 1842, lui décernait en toute candeur le titre de « Chef de Tribu ». Même pour les Chinois du XIXe siècle, le monde tournait autour du Royaume Central, qu’on appelait très sérieusement le « Céleste Empire ». Les Etats limitrophes de la Chine ne s’opposaient d’ailleurs pas à ses prétentions, et le peuple chinois était fermement convaincu que, si même des pays importants pouvaient exister dans des régions lointaines, ils ne pouvaient pas en tout cas rivaliser de puissance, en grandeur et en civilisation avec le leur.

[….]
Ce n’est pas notre propos que de prédire l’avenir, et il serait hasardeux de prophétiser le sens des relations futures entre l’Asie et l’Europe. L’influence grandissante de l’Amérique d’une part et de l’Union soviétique de l’autre, chacune prêchant ardemment et inlassablement leurs ways of life qu’on peut croire, non sans quelques raisons, incompatabiles, et essayant chacune de mettre l’Asie de leur côté, ne peut que consommer le déclin de l’Europe en Orient. Il faut cependant se rappeler qu’au cours de toute l’histoire des relations entre l’Europe et l’Asie, on ne tenta jamais d’imposer une idéologie aux peuples asiatiques. Si donc l’Asie a été marquée par l’Europe, c’est parce qu’elle lui a résisté, et parce qu’il lui était nécessaire, pour la combattre, de se pénétrer de ses techniques et de son savoir. Et c’est justement parce que l’Europe n’a pas tenté « d’occidentaliser » l’Asie que l’assimilation des techniques et des idéologies européennes est sans doute définitive, et portera ses fruits même dans plusieurs siècles. »

Jean Vinatier

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Source
:

1- K.M. Panikkar, L’Asie et la domination, occidentale, Préface d’Albert Béguin, , Seuil, Paris, 1953, pp. 421-22, 443-44, 445.

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