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mercredi 26 décembre 2007

Patrick Ourednik ironise le XXe siècle N°104 - 1ere année

Patrick Ourednik est un auteur et poète tchèque né en 1957. Il traduit, aussi, dans sa langue, Rabelais, Queneau, Beckett, Michaux. En 2005, il publia Europeana, une brève histoire du XXe siècle aux éditions Allia. En 150 pages il nous livre le siècle passé d’une éblouissante façon et avec une redoutable ironie.
Ci-dessous deux extraits intitulés, «
Problème d’érection » et « Le destin de l’humanité » :


« Au vingtième siècle le sexe a pris une grande importance en Europe et peu à peu il est devenu plus important que la religion et presque autant que l’argent et tout le monde voulait s’accoupler de différentes manières pour que le désir reste intact et les hommes s’enduisaient le membre viril de cocaïne pour prolonger leur érection. Et après la Deuxième Guerre Mondiale on a commencé à voir dans les films des scènes où les héros s’accouplaient ce qui avait été considéré jusqu’alors comme déplacé car beaucoup de gens avaient des sentiments religieux et la plupart du temps l’acte sexuel était simplement suggère par un plan sur le lit ou sur une pendule ou sur le ciel ou alors l’écran devenait noir tout à coup. Et les femmes voulaient jouir plus souvent et les hommes étaient nerveux et rencontraient des problèmes d’érection et s’enduisaient le membre viril de cocaïne et se faisaient psychanalyser pour apprendre s’ils n’auraient pas vécu dans leur enfance un traumatisme qu’ils ignoraient. La psychanalyse fut inventée en 1900 par un neurologue viennois [Freud] qui voulait étudier les processus psychiques et déterminer les sujets à l’aide de leur inconscient et qui jugea que la névrose et l’hystérie etc. étaient les symptômes de traumatismes sexuels remontant à l’enfance et il inventa des méthodes et des concepts nouveaux comme compulsion de répétition ou renversement dans le contraire ou censure moi sur-moi de libido et complexe qui pouvait être de castration ou d’Œdipe. Et en 1938 il partit à Londres pour fuir les nazis et ses quatre sœurs moururent en camp de concentration. Et dés que le patient apprenait l’origine de son angoisse il se sentait déjà mieux parce qu’il était normal d’être angoissé pour peu qu’on puisse détecter l’origine de l’affection. Les communistes disaient que les gens vivant en société communiste n’avaient pas besoin de sexe puisque le plus grand plaisir de l’homme provenait du travail dont on pouvait être fier alors que sous le capitalisme les travailleurs exploités ne tiraient aucune joie de leur travail et devaient recourir à des succédanés. Et ils disaient que sans conscience de classe l’acte sexuel ne pouvait apporter aucune satisfaction même en se répétant à l’infini et ils craignaient que si les gens commençaient à se faire psychanalyser et à recourir à des succédanés la cohésion du camp socialiste en soit menacée. Et ils ne souhaitaient pas que les gens lisent des livres déliquescents et décadents ni qu’ils portent des vêtements voyants ou des coupes de cheveux extravagantes ou qu’ils mâchent du chewing-gum etc. Le chewing-gum fut inventé par un pharmacien américain et commercialisé en Europe dès 1903 mais il n’est devenu courant que dans les années cinquante et soixante grâce aux jeunes gens qui en mâchaient pour exprimer leur désaccord avec la société de consommation et n’avaient pas encore de plombages dans les dents. »

[….]


« Les communistes et les nazis disaient qu’il fallait instaurer un monde où l’ordre naturel des choses serait respecté. Plus tard les historiens et les anthropologues ont dit que le communisme et le nazisme avaient substitué la foi révolutionnaire à la foi religieuse et que les gens qui adhéraient au communisme et au nazisme le faisaient pour les mêmes motifs dont le plus puissant était de pouvoir se compter parmi les élus entre les mains desquels reposait dorénavant le destin de l’humanité. Les nazis pensaient que le monde harmonieux de l’avenir serait composé d’individus vigoureux dévoués et solidaires et que la communauté d’intérêts et la cohésion de tous constitueraient un rempart contre la décadence à laquelle les humanistes et les rationalistes avaient conduit l’ancien monde. Les communistes eux pensaient que dans le monde nouveau les citoyens seraient interchangeables et formeraient un ensemble homogène et infrangible et que personne n’auraient plus d’intérêts personnels puisque tout serait commun et ainsi serait évitée la décadence à laquelle les intérêts égoïstes des classes dirigeantes avaient conduit l’ancien monde. Et les uns et les autres disaient que la démocratie sapait les valeurs sociales et rendait les gens homosexuels et anarchistes et parasites et sceptiques et individualistes et alcooliques etc. Et ils combattaient les homosexuels et les parasites et les communistes et en Russie communiste les enfants des ivrognes devaient arpenter tous les dimanches la place de leur ville avec une pancarte qui disait PAPA ARRÊTE DE BOIRE JE VEUX AVOIR MA PLACE DANS LE MONDE NOUVEAU et en Allemagne nazie les ivrognes devaient arpenter la place avec une pancarte qui disait J’AI TOUT BU SANS SONGER Â MA FAMILLE. Et quand les ivrognes ne se corrigeaient pas ils étaient envoyés en camps de concentration afin de travailler au bien commun. Sur le portail des camps allemand il était écrit LE TRAVAIL REND LIBRE et sur celui des camps soviétiques NOUS TRAVAILLONS Â L’ACCOMPLISSEMENT DU PLAN. Et au lieu de dire BONJOUR les communistes disaient VIVE LE TRAVAIL parce qu’ils jugeaient que le travail avait des vertus didactiques et que si tout le monde travaillait le communisme triompherait dans le monde. Et quand les gens disaient BONJOUR ou SALUT ou DIEU TE GARDE au lieu de dire VIVE LE TRAVAIL ils devenaient suspects et leurs voisins disaient d’eux que c’étaient de mauvais patriotes. »

©copyright Jean Vinatier 2007

Source :
Patrick Ourednik, Europeana, une brève histoire du XXe siècle, Paris, Editions Allia, 2005, pp. 62-64, 70-72. Prix: 6,10€
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