Info

Nouvelle adresse Seriatim
@seriatimfr
jeanvin22@gmail.com



jeudi 27 décembre 2007

V.S Naipaul « une idée des mes racines » N°105 - 1ere année

L’écrivain Naipaul est né, en 1932, à Chaguanas sur l’île de Trinidad (Trinité et Tobago), colonie anglaise qui comptait une nombreuse communauté indienne brahmane. Naipaul en était. Prix Nobel de littérature en octobre 2001, son discours de réception –dont des extraits sont proposés ci-dessous – éclaire fort bien son long et difficile chemin pour s’élucider.
Son discours n'a-t-il pas une actualité parmi les hommes « pour avoir mêlé narration perceptive et observation incorruptible dans des œuvres qui nous condamnent à voir la présence de l'histoire refoulée » ?
Ce texte n’invite-il pas également à mieux penser les problèmes dans les banlieues ?
« Pour vous donner une idée de mes racines, j’ai dû faire appel à un savoir et à des idées qui me sont venus bien après, et d’abord de l’écriture. Enfant, je ne savais presque rien, rien au-delà de ce que j’avais appris chez ma grand-mère. Tous les enfants, j’imagine, viennent au monde comme ça, sans savoir qui ils sont. Mais le petit Français, par exemple, ce savoir l’attend. Il est tout autour de lui. Il lui vient indirectement de la conversation des adultes. Il se trouve dans les journaux et à la radio. Et à l’école, les travaux de générations de savants, simplifiés pour les manuels scolaires, vont lui donner une certaine idée de la France et des Français.
A Trinidad, si brillant sujet que je fusse, j’étais environné de zones d’obscurité. L’école n’élucidait rien pour moi. J’étais gavé de faits et de formules. Tout devait être appris par cœur ; tout était abstrait pour moi. Là encore, je ne crois pas qu’il y ait un plan ou un complot pour rendre nos cours semblables. Ce que nous recevions, c’était le savoir scolaire standard.
Dans un autre cadre, il aurait eu un sens. Et du moins une partie de l’échec m’eût été imputable. Avec mon expérience sociale limitée, il m’était difficile d’entrer par l’imagination dans d’autres sociétés, proches ou lointaines. J’adorais l’idée des livres, mais j’avais du mal à les lire. J’étais le plus à l’aise avec des choses comme Andersen et Esope, hors du temps, hors de l’espace, sans exclusive. Et quand enfin en terminale j’en suis venu à aimer certains de nos textes littéraires – Molière, Cyrano de Bergerac -, j’imagine que c’est parce qu’ils avaient quelque chose du conte de fées.
Quand je suis devenu écrivain, ces zones de ténèbres qui m’environnaient enfant sont devenus mes sujets. Le pays, les aborigènes, le Nouveau Monde, la colonie, l’histoire, l’Inde, le monde musulman – auquel je me sentais aussi lié -, l’Afrique, puis l’Angleterre, où j’écrivais mes livres. C’est ce que j’avais à l’esprit en disant que mes livres se dressent l’un sur l’autre et que je suis la somme de mes livres. Et en disant que mes origines, source et aiguillon de mon œuvre, étaient à la fois extrêmement simples et extrêmement compliquées. Vous avez vu à quel point tout était simple dans la petite ville de Chaguanas. Et, je crois que vous comprendrez combien ce fut compliqué pour l’écrivain. Surtout au début, quand les modèles littéraires dont je disposais –les modèles donnés par ce que je ne peux qu’appeler mon faux savoir – traitaient de sociétés entièrement différentes. [….] J’ai dit que j’étais un écrivain d’intuition. C’était le cas, et il en va encore ainsi aujourd’hui que je suis si près de la fin. Je n’ai jamais eu de plan. Je n’ai suivi aucun système. J’ai travaillé intuitivement. Mon but était chaque fois de faire un livre, de créer quelque chose de facile et d’intéressant à lire. A chaque étape, il me fallait travailler dans les limites de mes connaissances, de ma sensibilité, de mon talent et de ma vision du monde. Tout cela s’est développé livre après livre. Et il me fallait écrire ces livres qui me donnât ce que je voulais. Je devais déchiffrer mon univers, l’élucider, pour moi-même. [….] Le but a toujours été d’étoffer mon image du monde, et la raison en vient de mon enfance : me rendre plus à l’aise avec moi-même. […] Quand j’ai commencé, je ne savais pas dut out où j’allais. Je voulais seulement faire un livre. J’essayais d’écrire en Angleterre, où j’étais resté après mes années d’université, et j’avais l’impression que mon expérience était très mince, n’était pas vraiment l’étoffe des livres. Dans aucun livre je ne pouvais trouver quoi que ce fût qui approchât ce que j’avais connu enfant. Le jeune Français ou le jeune Anglais qui avait envie d’écrire aurait trouvé d’innombrables modèles pour le mettre sur la voie. Je n’en avais aucun. Les histoires de mon père sur notre communauté indienne appartenaient au passé. Mon univers était très différent. Plus urbain, plus mélangé.[…]
Ce sont la fiction et le récit de voyage qui m’ont donné ma manière de voir….J’ai compris, par exemple, en entreprenant mon troisième livre – vingt-six ans après le premier-, que le plus important dans un récit de voyage, ce sont les gens parmi lesquels se promène l’écrivain. Il faut que les gens se définissent eux-mêmes. Idée fort simple, mais qui exigeait une nouvelle forme d’écriture, une nouvelle manière de voyager. Et c’est la même méthode dont je me suis servi ensuite, lorsque, je suis allé, pour la deuxième fois, dans le monde musulman.
[…]
Je vais finir comme j’ai débuté, par l’un de ces merveilleux essais de Proust dans Contre Sainte-Beuve : " Les belles choses que nous écrirons si nous avons du talent sont en nous, comme le souvenir d’un air, qui nous charme sans que nous puissions en retrouver le contour[…]. Ceux qui sont hantés de ce souvenir confus des vérités qu’ils n’ont jamais connues sont les hommes qui sont doués. […] Le talent est comme une sorte de mémoire qui leur permettra de finir par rapprocher d’eux cette musique confuse, de l’entendre clairement, de la noter […]. " »


©copyright Jean Vinatier 2007
Œuvres dont :

L’Inde brisée, Trad. Bernard Géniès - Paris, Christian Bourgois, 1989
Crépuscule sur l'islam : voyage au pays des croyants. Trad. Natalie Zimmermann et Lorris Murail. – Paris: A. Michel, 1981.
L'énigme de l'arrivée. Trad. Suzanne Mayoux. – Paris: C. Bourgois, 1991
Comment je suis devenu écrivain, Paris, Editions 10/18, 2002

Aucun commentaire: