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lundi 5 juillet 2010

Louis XV : Mettre la France à l’heure de la Chine (1766) N°724 3e année

Le Périgourdin, Henri-Léonard-Jean-Baptiste Bertin (1720 –1792) est, certainement, l’un des ministres de Louis XV et de Louis XVI parmi les plus méconnus alors qu’il est, sans doute, l’un de ceux qui eut l’originalité la plus certaine.
La Chine entre sur la scène européenne au XVIIIe siècle : Elle cesse d’être assimilée à l’Inde, sa population n’est plus considérée comme blanche pigmentée mais comme jaune. Si elle est depuis un moment, l’objet des attentions des Portugais, des Hollandais, des Russes et, naturellement, des Britanniques, il reviendra aux jésuites français, sous la houlette du Père Amiot, installés à la cour de l’Empereur de Chine de donner une impulsion décisive.
A la fin de la guerre de Sept Ans avec les défaites terrestres et navales, les parlements en rébellion continuelle, une opinion publique énervée, le royaume de France traverse une crise morale sans précédent. Louis XV, qui n’est pas le souverain indifférent et paresseux que Michelet a popularisé, crée en 1762 pour l’ancien contrôleur général des finances, Henri Bertin, un secrétariat d’Etat aux multiples départements : les mines, la navigation fluviale, l’agriculture, les travaux historiques, que les salons moqueurs appelèrent le « petit ministère », ministère qui dura 18 ans !
En fait, Henri Bertin devint le premier ministre, de l’Agriculture, de l’Industrie et même de l’Enseignement supérieur par son rôle dans la création du Cabinet des chartes, des grandes écoles dont celle des Mines (1778) Ce fut, selon le mot de Michel Antoine, «
un ministère de l’érudition ». A cette nouveauté s’ajoutait outre celle d’entreprendre avec la Chine une correspondance économique le début de la sinologie en France.
Selon Chamfort et Grimm, Louis XV et son ministre Bertin voulaient changer l’état d’esprit de la nation. Quelle était la nation qui pouvait offrir à la fois un modèle différent, une indépendance absolue, la grandeur si ce n’est la Chine qui était, au XVIIIe siècle au firmament de sa puissance d’Asie sous la férule de grands empereurs de la dynastie Qing : Kangxi (1661-1722) Yongzheng (1723-1735) et Qianlong (1735-1796)?
Malgré l’édit impérial de 1724 qui proscrivait toute présence et tout culte étranger, les Jésuites bénéficiaient de la clémence de Qianlong. Vers 1762, le Père Amiot envoya deux chinois, Ko(1733) et Yang (1734), terminer leur noviciat. Mais l’expulsion des Jésuites obligea les deux chinois à entrer chez les Lazaristes. Leurs tribulations firent naître dans l’esprit de Bertin que ces deux jeunes hommes pourraient devenir, faute d’une représentation diplomatique, des « agents de liaison » entre Versailles et Pékin. Le gouvernement français entreprit de leur faire découvrir la France agricole (les Physiocrates attendaient beaucoup de connaître le taux de rendement de la terre chinoise , en réalité, trés supérieur à la nôtre), industrielle, universitaire, scientifique, les savants dans tous les domaines. L’intendant du Limousin, Turgot établit une liste de 52 questions pour les 2 chinois puis rédigea, en 1766, pour la cour pékinoise, les fameuses «
Réflexions sur la formation et la distribution des richesses » qui devint sous la plume d’Adam Smith en 1775, « Richesse des nations »
C’est ainsi que débutèrent les relations franco-chinoises. La France garde les 16 volumes des Mémoires concernant les Chinois (Bibliothèque de l’Institut Fond Delessert) publiés entre 1776 et 1791 puis en 1814 (Laplace), qui ne négligent aucun sujet et dont les historiens Henri Cordier et Joseph Dehergne ont rappelé toute l’importance.
Toute la presse de l’époque se fit l’écho de ces échanges en tout point moderne, notamment le
Journal des savants en 1777 :

« Ce Recueil…est le fruit d’une correspondance qu’on entretient depuis dix ans avec les missionnaires qui sont dans cet empire et avec deux Chinois qui ont demeuré autrefois en France où ils ont appris les sciences d’Europe. Ils retournèrent à la Chine en 1765, avec des Mémoires et des questions sur tous les objets sur lesquels on désiroit d’avoir des éclaircissemens. Ce sont les réponses à ces Mémoires que l’on se propose de publier tous les ans et le volume que nous annonçons est le premier de ce Recueil. »

La France voulait connaître un pays pour ce qu’il était (longtemps on a voulu établir un lien entre l’Egypte et la Chine, entre le taoïsme et le catholicisme via une mystérieuse tribu sémite), l’entreprendre sur un pied d’égalité et non envisager une quelconque colonisation. Il y avait, bien entendu, des arrière-pensées géopolitiques en raison des présences de la Russie et du Royaume-Uni. Prendre pied en Chine permettait à la France de contrebalancer l’ambition de Londres, de se placer au-delà de l’Inde. D’ailleurs, n’oublions pas que l’expédition de La Pérouse était motivée par des calculs autant scientifiques que stratégiques : la France ne venait-elle pas de poser quelques jalons en Indochine par l’entremise de Mgr Pignault de Béhaine en 1787 ? La correspondance entre Bertin et les Chinois via le Père Amiot suivie par Louis XV puis Louis XVI, les deux souverains étant férus de découvertes scientifiques et de nouveautés géographiques, éclaire d’un jour plus particulier le XVIIIe siècle français.
Mettre la France à l’heure chinoise signifiait, sans doute dans l’esprit de Louis XV, la nécessité de redonner envie à une nation en proie aux doutes sur son rang dans le monde et de conjurer les impatiences politiques aux secousses de plus en plus violentes au sein de la société française.
Les règnes de Louis XV et plus particulièrement celui de Louis XVI seront toujours tiraillés entre la modernité et la prudence, cette dernière qui sera vue comme un refus de toute réforme structurelle, là se trouve, sans doute, l’origine de 1789.
En 2010, l’engouement pour la Chine est comme on le voit ancien et peut-être que le ministre du Bien Aimé et Turgot avaient-ils plus d’intelligence et de hauteur que nombre de spécialistes contemporains. Bien avant Napoléon la monarchie avait compris l’importance de la Chine.

Jean Vinatier
Copyright©SERIATIM 2010

Sources :


Joseph Dehergne : Une grande collection : « Mémoires concernant les Chinois » Bulletin de l’Ecole Française d’Extrême Orient, Tome 72, 1983, pp.267-298

Henri Cordier : « La Chine en France » Séances de l’année Académie des Incriptions et des Belles-Lettres, année 1908, Vol.52, N°9, pp.756-770

Antoine (Michel) : Louis XV, Paris, Fayard, 1989

Maurepas (Arnaud de) & Boulant (Antoine) : Les ministres et les ministères du siècle des Lumières, 1715-1789, Paris, Christian/JAS, 1996, pp.290-294

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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Monsieur
après 10 voyages en Chine, maintes lectures sur ce pays, je regrette bien de n'avaoir pas trouvé et relu votre article 10 fois depuis que je recherche les liens de l'admiration que portèrent nbre de Français avant le sguerres de l'opium


Bravo

Anonyme a dit…

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