« Jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, l’imaginaire collectif se
représentait l’an deux-mille comme un triomphe de modernité. Un paradis
technologique où la machine aurait réglé l’ensemble des maux de la Terre, et où
l’Homme libéré de toute contingence matérielle saurait se destiner à de plus
hautes vocations. La science-fiction d’Hollywood annonçait des capsules
individuelles sillonnant les airs entre les gratte-ciels, des cybers-programmes
stimulant les capacités cérébrales et des véhicules à remonter le temps.
La propagande était si bonne que le public en redemandait... Bientôt
dix-sept ans après les douze coups de l’heure fatidique, l’humanité ne semble
pas encore tout à fait remise de sa gueule de bois.
Car si effectivement, de nombreux fantasmes d’alors se concrétisent, on
constate que leur développement sert quasi-exclusivement au renforcement des
moyens de contrôle des populations de la part des pouvoirs en place. En
parallèle, toutes les infrastructures sociales subissent en continu des assauts
de démolition contrôlée, qu’il s’agisse de santé, d’éducation, de système
législatif ou de sécurité. Chaque institution se voit détournée de ses
fonctions régaliennes, et nul ne semble comprendre ce qui se passe... Plus de
deux-cent cinquante mille décès chaque année font des erreurs médicales la
troisième cause de mortalité aux États-Unis, où l’illettrisme concerne par
ailleurs environ un quart de la population. En France, deux millions de
téléspectateurs regardent quotidiennement un joueur de bonneteau encocaïné leur
souiller la tronche avec ses débilités. Les nouvelles icones sont des
porte-maillots du Qatar et autres mouflettes en silicone incapables de
s’exprimer. De part et d’autre de l’Atlantique, les candidats à la
pestilentielle offrent le spectacle d’enfants qui gesticulent, se chamaillent
et se coupent sans arrêt la parole pour ne rien dire. Des gens meurent tombés
d’une falaise en voulant se prendre en « selfie », d’autres en
chassant le pokémon au milieu d’une voie d’autoroute... Tout est normal. La
sécu remboursera jusqu’à trente mille euros votre opération de changement de
sexe, et la mairie de Paris subventionnera votre film de promotion du fist-fucking.»
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2016
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