« Miguel Abensour a profondément renouvelé
la réflexion sur la démocratie : attentive au désir d’émancipation, sa
philosophie politique s’est organisée à partir d’une conception originale de
l’utopie qui entend rompre avec la mythologie de la « cité idéale »
ou de la « bonne société ».
« Ce qui frappe d’emblée, lorsque
l’on jette un coup d’œil rétrospectif à l’œuvre de Miguel Abensour, c’est la
grande diversité des thématiques et des auteurs sur lesquels celui-ci
travaillait, qu’on ne peut cependant appréhender dans toute sa richesse qu’à
condition de prendre en compte la trame d’ensemble qui la sous-tend : que
ce soit à propos de sa réflexion sur la démocratie sauvage, de son travail sur
le lien entre mélancolie et révolution chez Auguste Blanqui et Walter Benjamin,
de son interrogation sur la pensée d’Emmanuel Levinas, notamment à propos du
rapport entre éthique et politique, Miguel Abensour se sera toujours efforcé de
penser la possibilité de l’émancipation en donnant à l’utopie toute sa valeur,
entendue non comme le balbutiement d’un projet révolutionnaire en bonne et due
forme, mais dans un lien indissoluble avec la démocratie, comme la forme même
de la politique. C’est dans ce cadre que les hommes cherchent à se libérer de
la domination en ouvrant dans le présent des brèches par où ils se montrent
capables d’imaginer autre chose, en ménageant ainsi la possibilité de rompre
avec la malédiction du pouvoir lorsqu’il est celui qu’exerce un homme sur un
autre homme, et non la puissance d’agir en commun.
Miguel Abensour sera en effet toujours resté fidèle à
l’interrogation qui fut la sienne, quand à l’orée des années 1970, il avait
soutenu (sous la direction de Gilles Deleuze) une thèse de doctorat sur la
relation qu’entretenait Marx à l’utopie. À rebours du marxisme sclérosé qui
dominait encore à l’époque, M. Abensour défendait l’idée que la pensée de
Marx contenait des éléments d’utopie qui lui étaient constitutifs [1].
Devenu par la suite professeur de Science politique aux universités de Dijon,
de Reims, puis de Paris-7, directeur de collection aux éditions Payot, tout en
restant très attaché au Collège international de Philosophie dont il fut le
président au milieu des années 1980, M. Abensour ne cessa d’explorer cette
sorte de « continent noir » que fut l’utopie, trop souvent dépeint
par la bien-pensance libérale comme matrice d’une politique mortifère, ou
caricaturé par le marxisme dogmatique comme rêve naïf d’une société meilleure
mais privée des moyens de le concrétiser. »
La suite
ci-dessous :
Nicolas Poirier, « Miguel Abensour, l’émancipation par l’utopie », La Vie des idées , 6 octobre 2017. ISSN : 2105-3030.
Jean Vinatier
Seriatim 2017
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