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vendredi 15 mars 2019

« Olivier Koch, Tristan Mattelart, dirs, Géopolitique des télévisions transnationales d’information »N°4646 13e année


Courte critique de cet ouvrage par Olivier Arifon pour la revue Questions de communication :

« Cet ouvrage traite d’un sujet peu abordé, les télévisions nationales d’information continue à vocation internationale développées par de nombreux pays. Il propose un état des lieux en regroupant dix contributions de chercheurs venus des sciences de l’information et de la communication et d’autres horizons. Après un (très) long article historique et de contexte développé par Tristan Mattelart (pp. 31-82), ce livre présente plusieurs cas, dépasse la focalisation classique et déjà ancienne sur cnn et sur Al jazeera. Les cas traités sont la Turquie, la France, Al jazeera, les présentatrices dans le monde arabe, le Venezuela, la Russie, la Chine, l’Inde et la diplomatie publique des États-Unis à l’heure des réseaux.
Le concept d’économie politique de l’information est l’élément central pour l’analyse des télévisions transnationales. Il est brièvement introduit et il est peu repris par les autres auteurs, comme nous le verrons plus loin. Le postulat est le suivant : nombre de télévisions transnationales d’information non occidentales existent pour faire contrepoids à l’hégémonie des télévisions issues de l’Occident. Le terme clé est celui de domination. Ceci peut expliquer pourquoi certains articles sont soit essentiellement descriptifs, soit tendent vers l’analyse du discours et des logiques d’acteurs. Les chapitres descriptifs insistent sur les historiques des projets de télévisions et permettent – parfois – de comprendre les enjeux ou les paradoxes de ces chaînes. Cependant, les contributions axées sur les analyses d’acteurs sont souvent plus percutantes comme dans les articles sur Al jazeera, le Venezuela, la Russie et les réseaux aux États-Unis.
Venons-en maintenant aux contributions avant de soulever les limites de l’ouvrage. L’article de Tristan Mattelart (pp. 31-82) aborde de nombreux thèmes tels la censure, les agences internationales de vidéos, les satellites, internet, les agrégateurs, les blogueurs, la diplomatie publique… Il est difficile de savoir si ce texte est un cadrage théorique ou un descriptif exhaustif des instruments de diplomatie publique. En outre, ce qui marque, c’est l’absence de ces mêmes thèmes dans la plupart des autres textes de l’ouvrage.
L’article suivant sur l’audiovisuel français présente, de manière historique, les deux facettes et les ambiguïtés propres au dispositif du pays concerné. L’article sur Al jazeera, fort pertinent, montre le lien entre politique d’un pays et usage d’un média. Le jeu complexe de la chaîne se fait entre influence, occupation de l’espace pan arabe et autonomie – relative – vis-à-vis du pouvoir qatari. Mohammed El Oifi (pp. 151-167) replace Al Jazeera dans son contexte essentiellement panarabe et va au-delà du discours sur les effets de cette chaîne en Occident. La contribution sur les présentatrices dans les chaînes pan arabes esquisse les concurrences et le ressort de ces télévisions pour attirer du public en jouant avec les codes vestimentaires. Il explique ensuite les responsabilités prises par des femmes dans l’animation d’émissions telles que les débats. Un regret toutefois, des copies d’écrans auraient été bienvenues. Le papier suivant, sur teleSUR, la télévision du gouvernement vénézuélien (pp. 169-186), indique que ce canal est pensé pour refléter les luttes « globales » du sud par rapport au nord grâce à des informations alternatives en réponse à la domination de l’Occident. Ce projet amorcé par Hugo Chavez est plein de paradoxes et de limites, car il est essentiellement un objet politique, fortement sensible aux alternances dans les pays contributeurs au financement de la teleSUR. Ilya Kiriya avec Russia Today (pp. 187-204) résume la problématique de certaines chaînes d’information en deux mots, autant dire deux pôles : propagande et compétitivité. La comparaison internationale entre chaînes transnationales est souvent rude pour les chaînes axées sur la propagande qui voient leurs contenus révélés en creux par les chaînes de références que sont, entre autres exemples, cnn et Al jazeera. L’auteur montre ici que Russia Today, au lieu de faire la promotion du régime russe, s’attache à appauvrir, voire à dévaloriser, l’image des États-Unis. Le chapitre sur la Chine et la chaîne cnc world (pp. 205-226) débute par un très long historique de la politique chinoise de communication (citant également Confucius et Sun Tzu) et propose deux points clés intéressants : le « journalisme de prudence » et le « recrutement de prudence ». Ces deux notions sont mobilisées pour expliquer les difficultés d’audience de cnc World et les limites pour devenir un média crédible et reconnu à l’échelle internationale. Cependant, il est dommage que ces notions soient présentées sans être réellement débattues dans les trois dernières pages.
Enfin, le travail d’Olivier Koch sur les réseaux aux États-Unis (pp. 247-266) est intéressant. Il analyse l’échec de Al hura, chaîne créée et soutenue par les États-Unis pour contrer Al jazeera dans le monde arabe. L’auteur propose ensuite un nouveau paradigme, aujourd’hui répandu dans la diplomatie publique : l’influence qui passe aussi par les réseaux, dans une logique d’autonomisation des acteurs sur place. Ce type d’action conduit souvent à fournir des solutions techniques, à soutenir des projets locaux ou les acteurs devenus autonomes et relais d’influence au lieu de tenter d’imposer un message par une télévision.
Au total, deux limites se dessinent dans cet ouvrage. Si, comme le propose l’article introductif, ces télévisions sont analysées avec une lecture d’économie politique, reflet d’une logique de domination, l’ouvrage laisse au lecteur un goût d’inachevé. En l’absence d’une problématique précise, les articles font rarement référence soit à ces logiques annoncées de domination, soit à d’autres logiques. Ainsi, même si le concept de soft power, fondé par Joseph Nye, est imprécis et débattu, peu de chapitres de ce livre introduisent cette notion. C’est dommage car la notion construit un cadre d’analyse qui peut expliquer les actions des acteurs étatiques, comme le montre l’article sur la Chine. D’ailleurs, l’un des défis des travaux sur la communication internationale apparaît. Centrée sur des monographies par pays, la recherche peut facilement passer à côté des approches pourtant fécondes du comparatisme.
Ensuite, l’ouvrage aurait gagné en profondeur en proposant une mesure et une évaluation des foyers réceptifs et des audiences, chiffres assez faciles à obtenir. La question de l’évaluation et de la réception, plus sensible, car très politique, aurait encore enrichi le propos. En effet, l’une de problématiques de la communication transnationale reste la réception d’un média hors de son pays d’origine et, in fine, l’impact espéré et attendu par les opérateurs, ici les États. « 
Source :


Jean Vinatier
Seriatim 2019



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