Doutait-on que Bruxelles et Francfort fussent dans
l’indifférence italienne ? Hormis appuyer sur la planche à billets du
sous-sol de la BCE à Francfort et un petit mot du bout des lèvres d’Ursula Van
Der Layen, l’Italie n’accueillait que des aides et équipes médicales de Chine, de
Russie, de Cuba, du Venezuela. Eh bien, si Bruxelles a une humanité : la Commission dépêcherait un
médecin de sa fabrication : Mario Draghi. Un praticien adepte de médecines
rudes : l’Italie après le coronavirus subira-t-elle le corona-euro ?
A tort ou à raison le nom de Mario Draghi commence à
courir les travées des rédactions : thanatopracteur ou guérisseur ?
Le gouvernement de Giuseppe Conte a annoncé que le pic
pandémique arriverait dans les jours à venir et qu’à partir de cette prévision le
déconfinement commencerait à être réfléchi. Une fois la pandémie terminée,
l’Italie, comme tous les autres pays atteints, fera un constat d’abord morbide
sur le nombre réel de décès puis sur son état, économique, social et budgétaire.
Dans cette perspective, l’Italie étant la quatrième puissance économique de l’Union
européenne, Bruxelles voudrait éviter deux choses : premièrement, une
crise politique qui entrainerait des élections législatives anticipées avec à
la clef un retour de Salvini, secondement qui est le corollaire du point
précité, une dépression économique sévère, des déficits budgétaires
considérables. Bref, Bruxelles essaierait de mettre en place une solution
drastique en Italie comme en Grèce dont les habitants sont encore plongés dans
la misère dix années après l’administration de remèdes germano-bruxellois. D’où
l’idée lumineuse d’amener par étape un banquier padouan, Mario Draghi,
ex-directeur de Goldman Sachs impliqué dans le trafic des chiffres de la Grèce pour
lui permettre d’intégrer l’euro en 2001, gouverneur de la banque d’Italie puis
successeur de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE en 2011 où il aura à appliquer les diktats berlinois contre Athènes. Le personnage
pour « traiter » l’Italie n’a rien de rassurant. Bien évidemment, de
bons sondages publiés ici et là, nous apprennent que les Italiens approuveraient
ce messie adoubé en Rhénanie.
La situation politique italienne est compliquée car les
Italiens ont des façons tout à fait originales pour régler tel ou tel moment
politique : ils ont un génie de la combinaison qui défie tout esprit
cartésien. L’actuel chef de gouvernement, Giuseppe Conte, parvenu à cette
fonction parce qu’il apparaissait fade entre Matteo Salvini (La Ligua) et Luigi di Maio (MS5) a surpris par son
habileté et préside un ministère de coalition de type carpe et lapin. Durant
cette pandémie, Giuseppe Conte n’a pas mécontenté les Italiens et a su tenir
des discours critiques contre l’Union européenne au point de damer le pion au
chef de La Ligua, aujourd’hui silencieux.
Giuseppe Conte accepterait-il de laisser sa place à un
Mario Draghi ? L’homme sans relief de 2018 ne l’est plus. Il prouverait
sans trop de mal qu’il constituerait un barrage suffisant à un retour de La
Ligua et empêcherait toute élection législative anticipée. C’est son
raisonnement : à Bruxelles verrait-on les choses de la même manière ?
Si la Commission Van Der Layen a fait voler en éclat tous les paramètres
dogmatiques, le choix est tout à fait temporaire. On en a vu les limites pour
les coronabonds : de Vienne à La Haye en passant par Berlin, pas question
de solidarité et moins encore de mutualisation. Dans cet état psychologique,
est-on certain que Bruxelles (Berlin) aura des yeux de Chimène pour Rome ?
Les laudateurs de l’euro et de l’Union européenne (espace géographique dédié
aux seules circulations des hommes et des capitaux sans considération géopolitique,
ni géostratégique) supputant à raison que les sorties pandémiques européennes
seront une période dangereuse, aléatoire et fragile, auront, certainement, la
tentation de mettre en place des dispositifs très sévères pour contenir toute
contagion sociale et budgétaire.
Nous n’avons pas à Bruxelles et Francfort des hommes
politiques, nous avons des technocrates ultra-libéraux qui ne lisent que les
lignes comptables, ne regardent que les marchés financiers et sous-estiment
gravement l’économie réelle, la plus atteinte lors de cette pandémie.
Comme pour la Grèce, l’Italie subira une hostilité
nordique pas du tout éloignée du mépris qui eut lieu envers la Grèce. Mais l’Italie,
en cas de crise majeure tant interne que vis-à-vis de Bruxelles, oserait-elle
un « Italexit » ? Tsipras, très brièvement, a exploré une sortie
de l’Union pour se rapprocher de la Russie. Le gouvernement italien, qui fait
face à des déplacements considérables de capitaux vers l’Allemagne, le
voudrait-il ? Le doute se défend.
Plus que jamais le carcan euro-européen aura tout du « bolito »
(une strangulation diabolique, mortelle mise au point par
les trafiquants la drogue : voir Cartel le film de Ridley Scott) : c’est
une image pour souligner qu’une fois l’adhésion opérée le pays est condamné à subir.
Le Royaume-Uni a échappé à cette issue tout simplement parce que Londres
gardait la pleine souveraineté monétaire.
Quel
que soit l’événement, les fondamentaux bruxellois et de l’euro ne changeront
pas de cap, même si à la marge des tolérances s’établiront. L’Allemagne a
absorbé l’euro et a fait du cadre de l’Union européenne son hinterland bien à l’inverse
de la France. L’Italie de demain, avec ou sans le docteur Draghi, affrontera
une situation pénible : verra-t-on une fois encore le primat du livre
comptable sur la solidarité ? A suivre !
Jean Vinatier
Seriatim 2020
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