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dimanche 5 avril 2020

Italie: Mario Draghi, thanatopracteur rhénan? N°4872 14e année



Doutait-on que Bruxelles et Francfort fussent dans l’indifférence italienne ? Hormis appuyer sur la planche à billets du sous-sol de la BCE à Francfort et un petit mot du bout des lèvres d’Ursula Van Der Layen, l’Italie n’accueillait que des  aides et équipes médicales de Chine, de Russie, de Cuba, du Venezuela. Eh bien, si Bruxelles a une  humanité : la Commission dépêcherait un médecin de sa fabrication : Mario Draghi. Un praticien adepte de médecines rudes : l’Italie après le coronavirus subira-t-elle le corona-euro ?
A tort ou à raison le nom de Mario Draghi commence à courir les travées des rédactions : thanatopracteur ou guérisseur ?
Le gouvernement de Giuseppe Conte a annoncé que le pic pandémique arriverait dans les jours à venir et qu’à partir de cette prévision le déconfinement commencerait à être réfléchi. Une fois la pandémie terminée, l’Italie, comme tous les autres pays atteints, fera un constat d’abord morbide sur le nombre réel de décès puis sur son état, économique, social et budgétaire. Dans cette perspective, l’Italie étant la quatrième puissance économique de l’Union européenne, Bruxelles voudrait éviter deux choses : premièrement, une crise politique qui entrainerait des élections législatives anticipées avec à la clef un retour de Salvini, secondement qui est le corollaire du point précité, une dépression économique sévère, des déficits budgétaires considérables. Bref, Bruxelles essaierait de mettre en place une solution drastique en Italie comme en Grèce dont les habitants sont encore plongés dans la misère dix années après l’administration de remèdes germano-bruxellois. D’où l’idée lumineuse d’amener par étape un banquier padouan, Mario Draghi, ex-directeur de Goldman Sachs impliqué dans le trafic des chiffres de la Grèce pour lui permettre d’intégrer l’euro en 2001, gouverneur de la banque d’Italie puis successeur de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE en 2011 où il aura  à appliquer les  diktats berlinois contre Athènes. Le personnage pour « traiter » l’Italie n’a rien de rassurant. Bien évidemment, de bons sondages publiés ici et là, nous apprennent que les Italiens approuveraient ce messie adoubé en Rhénanie.
La situation politique italienne est compliquée car les Italiens ont des façons tout à fait originales pour régler tel ou tel moment politique : ils ont un génie de la combinaison qui défie tout esprit cartésien. L’actuel chef de gouvernement, Giuseppe Conte, parvenu à cette fonction parce qu’il apparaissait fade entre Matteo Salvini (La Ligua)  et Luigi di Maio (MS5) a surpris par son habileté et préside un ministère de coalition de type carpe et lapin. Durant cette pandémie, Giuseppe Conte n’a pas mécontenté les Italiens et a su tenir des discours critiques contre l’Union européenne au point de damer le pion au chef de La Ligua, aujourd’hui silencieux.
Giuseppe Conte accepterait-il de laisser sa place à un Mario Draghi ? L’homme sans relief de 2018 ne l’est plus. Il prouverait sans trop de mal qu’il constituerait un barrage suffisant à un retour de La Ligua et empêcherait toute élection législative anticipée. C’est son raisonnement : à Bruxelles verrait-on les choses de la même manière ? Si la Commission Van Der Layen a fait voler en éclat tous les paramètres dogmatiques, le choix est tout à fait temporaire. On en a vu les limites pour les coronabonds : de Vienne à La Haye en passant par Berlin, pas question de solidarité et moins encore de mutualisation. Dans cet état psychologique, est-on certain que Bruxelles (Berlin) aura des yeux de Chimène pour Rome ? Les laudateurs de l’euro et de l’Union européenne (espace géographique dédié aux seules circulations des hommes et des capitaux sans considération géopolitique, ni géostratégique) supputant à raison que les sorties pandémiques européennes seront une période dangereuse, aléatoire et fragile, auront, certainement, la tentation de mettre en place des dispositifs très sévères pour contenir toute contagion sociale et budgétaire.
Nous n’avons pas à Bruxelles et Francfort des hommes politiques, nous avons des technocrates ultra-libéraux qui ne lisent que les lignes comptables, ne regardent que les marchés financiers et sous-estiment gravement l’économie réelle, la plus atteinte lors de cette pandémie.
Comme pour la Grèce, l’Italie subira une hostilité nordique pas du tout éloignée du mépris qui eut lieu envers la Grèce. Mais l’Italie, en cas de crise majeure tant interne que vis-à-vis de Bruxelles, oserait-elle un « Italexit » ? Tsipras, très brièvement, a exploré une sortie de l’Union pour se rapprocher de la Russie. Le gouvernement italien, qui fait face à des déplacements considérables de capitaux vers l’Allemagne, le voudrait-il ? Le doute se défend.
Plus que jamais le carcan euro-européen aura tout du « bolito » (une strangulation diabolique, mortelle mise au point par les trafiquants la drogue : voir Cartel le film de Ridley Scott) : c’est une image pour souligner qu’une fois l’adhésion opérée le pays est condamné à subir. Le Royaume-Uni a échappé à cette issue tout simplement parce que Londres gardait la pleine souveraineté monétaire.
 Quel que soit l’événement, les fondamentaux bruxellois et de l’euro ne changeront pas de cap, même si à la marge des tolérances s’établiront. L’Allemagne a absorbé l’euro et a fait du cadre de l’Union européenne son hinterland bien à l’inverse de la France. L’Italie de demain, avec ou sans le docteur Draghi, affrontera une situation pénible : verra-t-on une fois encore le primat du livre comptable sur la solidarité ? A suivre !


Jean Vinatier
Seriatim 2020

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