Info

Nouvelle adresse Seriatim
@seriatimfr
jeanvin22@gmail.com



jeudi 20 mai 2021

20 mai 1795 : épuration, ouvrière, populaire : naissance du Directoire N°5701 15e année

 La chute de Robespierre le 27 juillet 1794 débute une année transitoire jusqu’à la naissance d’une nouvelle forme de gouvernement au sein de la République, le Directoire, le 9 brumaire an IV (30 octobre 1795). Cette année charnière, 1795, prendra toute sa valeur lors des émeutes de Prairial (20 mai 1795).

La fin du maximum qui permettait de réguler les prix et de mauvaises conjonctures raniment des colères populaires et ouvrières comme à la fin des années 1780.  Les émeutes contre la faim, l’inflation, la cherté des prix et les antagonismes politiques très rudes entre, Montagnards, post-Thermidoriens et les Modérés de la Convention finissante, formèrent un baril de poudre qui attendit sa mèche. Elle s’alluma le 20 mai par l’incursion de sections parisiennes dans la salle de la Convention où se fit cette scène célèbre, la présentation de la tête du député Féraud au Président Boissy d’Anglas.

Quand le Tiers-Etat se déclare le 17 juin 1789 Assemblée nationale, c’est une minorité qui s’impose à deux autres (Clergé, noblesse) dans un cadre bien clôt où les députés y compris ceux du Thiers tiennent à être appelés « Messeigneurs » quand on s’adresse à eux. Si cette date est révolutionnaire, elle reste, néanmoins, dans une salle et un monde. Le basculement s’opérera lors du renvoi, le 12 juillet de Necker par Louis XVI. Cette nouvelle crut annoncer la fin de l’Assemblée qui apeurée en appellera au peuple. Ce jour-là, la révolution changera de dimension, elle deviendra réellement nationale, ouvrant en grand les portes nouvelles à une série d’acteurs et de couches sociales depuis l’univers enchevêtré de l’ancien régime où les privilèges (corporatifs) étaient autant de libertés collectives dans une société d’ordre séparé.

Cette entrée populaire, aussi ouvrière et paysanne, sur la scène politique ne cessera plus d’accompagner la Révolution et expliquerait, peut-être, pourquoi, il serait si difficile de l’arrêter : le nombre dépassant les premiers auteurs révolutionnaires. De 1789 à 1792, la Révolution est bourgeoise, de 1792 à 1794 (de la chute du Roi à celle de Robespierre), elle serait plutôt populaire puis entre la fin juillet 1794 et la fin mai 1795 se déroulerait la période de l’ultime face à face entre des Montagnards et une alliance de Thermidoriens, de Modérés, que l’historien Morris Slavin appellera « la queue de Robespierre ».1

 « queue de Robespierre » révélatrice de la lutte et de son dénouement violent, des luttes internes qui éclatèrent dès l’instant où l’Incorruptible chuta. La fin de la peur de voir venir son tour comme suspect, raviva les oppositions, non seulement au sein de la Convention (Montagnards de l’an III contre Montagnards ex-dantonistes et les Modérés majoritaires) mais face à la Commune de Paris qui avait joué un rôle décisif dans la journée du 10 août, l’émergence, des Sans-Culottes, d’une garde nationale cessant d’être exclusivement aisée, de bastion robespierriste.

Les émeutes de Prairial achevées dans le sang, les exécutions et les déportations sur fond de retour politique de royalistes et des soulèvements fédéralistes permettront à l’aile libérale et bourgeoise de la révolution d’en finir avec les sections en mettant en place le Directoire le 30 octobre 1795. Le peuple, acteur politique, sorti en juillet 1789, se défait en mai-octobre 1795.

Les émeutes de Prairial ont une importance considérable qu’une longue historiographie a placé parmi d’autres colères quand elle marque le début de la fin de la révolution populaire et ouvrière que le Directoire peinera à clore d’où la solution du triumvirat (Sieyès (puis Lebrun), Bonaparte, Ducos (puis Cambacérès) financée par une coalition de banquiers franco-suisses : on connait la suite…

 

Pour compléter cette date, je conseille de lire l’excellent livre de Bosc et Bellissa, Le Directoire. La République sans la démocratie2 et je mets ci-dessous, l’article de Samuel Guicheteau, auteur du livre, Les ouvriers en France, 1700-1835, Paris, Armand Colin, 2014.Il explique le complexe monde ouvrier, émergence d’une classe sociale aujourd’hui disparue en tant que telle.

 

« Cette présentation vise à mettre en lumière quelques enjeux de l’histoire des ouvriers dans la Révolution française. Deux questions peuvent guider la réflexion : comment faire l’histoire des ouvriers ? Quels éclairages cette histoire des ouvriers apporte-t-elle à l’analyse de la Révolution ?

Identité et expérience : renouvellements de l’histoire sociale et de l’histoire de la Révolution française

Il n’est plus possible de considérer les ouvriers comme un groupe a priori. Cependant, il est également impossible d’ignorer l’importance de l’industrie au 18e siècle et, donc, l’existence d’une main-d’œuvre industrielle. Or, l’importance même de la main-d’œuvre industrielle a pour conséquence sa diversité : les ouvriers travaillent dans de multiples activités et dans des cadres variés (seul à domicile, en atelier, dans une manufacture concentrée, sur des chantiers) ; ils exercent des métiers plus ou moins qualifiés ; hommes et femmes, citadins et ruraux se distinguent ; enfin, les travailleurs de l’industrie présentent des situations socio-économiques différentes. Tandis que certains sont salariés, d’autres travaillent à façon (notamment des ruraux pluri-actifs, mais aussi de petits maîtres déchus à l’instar des célèbres canuts lyonnais). Cette diversité de la main-d’œuvre industrielle pose des problèmes de définition et de méthode. Tous ces travailleurs ne se sentent pas appartenir à un même groupe social : il existe donc des mondes ouvriers. De plus, à la hiérarchie des qualifications peuvent s’articuler le clivage des sexes, le clivage ville / campagne. La diversité se double donc de césures entre ouvriers. Les Ouvriers, comme les Paysans ou le Peuple, ne sont pas des catégories naturelles, mais des constructions forgées par les acteurs historiques, puis par des historiens.

Il est également impossible de projeter sur les ouvriers du XVIIIe siècle les critères du XXe siècle. Il faut donc s’intéresser à l’identité originale de ces ouvriers. L’identité n’est ni donnée, ni figée : elle s’éprouve lors d’expériences partagées, elle est donc plurielle et ouverte. Les ouvriers développent une conscience professionnelle : ils se sentent appartenir à un métier. Cette conscience professionnelle s’inscrit dans l’ensemble des identités communautaires : les hommes du 18e siècle se sentent appartenir à un village, à un quartier, à un métier. De plus, l’identité n’est pas univoque : ce sentiment d’appartenance à une communauté s’inscrit dans une série d’identités emboîtées. Les ouvriers sont insérés dans l’ensemble des couches populaires : ils partagent par exemple l’attachement à l’économie morale, qui veut que les autorités réglementent l’activité économique pour permettre la vie.
Il est néanmoins judicieux d’étudier les ouvriers dans leur ensemble pour deux raisons. D’une part, ils présentent des traits communs et originaux. Le travail est le creuset d’une identité ouvrière. Au travail, les ouvriers forgent des pratiques et des valeurs : le travail qualifié nourrit l’exaltation du métier ; l’élasticité du temps de travail, la plasticité de l’espace de travail, la maîtrise du processus de production nourrissent l’attachement à l’autonomie ; la qualification et l’autonomie fondent la fierté. Toutefois, il faut préciser que des modalités similaires de construction de l’identité au travail ne donnent pas nécessairement naissance à une conscience collective car l’exaltation de la qualification suscite le sentiment d’appartenir à un métier. Fiers de leur savoir-faire, menuisiers, verriers, maçons … développent un sentiment comparable : ils se sentent tous appartenir à un métier, mais chacun à son métier.
D’autre part, les ouvriers partagent au travail une série d’expériences : l’industrialisation, les bouleversements des Lumières et la Révolution française. Mais, pas plus que l’identité comparable forgée au travail ne donne automatiquement naissance à une conscience collective, ces expériences partagées ne suscitent une telle conscience. En effet, les ouvriers ne constituent pas un « matériau humain brut », selon la formule d’E.P. Thompson dans son livre sur La formation de la classe ouvrière anglaise, qui constitue une référence fondamentale pour l’histoire ouvrière actuelle (1). Ils vivent les mutations du XVIIIe et du XIXe siècle pour partie en fonction de leur identité préexistante. Ainsi, leur conscience professionnelle se trouve cristallisée par des organisations professionnelles, dont le renforcement, inhérent à la montée des tensions qui accompagne l’industrialisation, peut entretenir les césures entre métiers ou entre les ouvriers qualifiés et les autres, notamment les femmes. Par ailleurs, les ouvriers participent aux mobilisations populaires générales de la Révolution française et développent alors la conviction de posséder des droits civiques. Ainsi réapparaissent des identités plurielles, sous des formes nouvelles.
Si l’invention d’une conscience collective ouvrière n’est nullement évidente, l’identité ouvrière n’est pas pour autant figée. Bien au contraire, les ouvriers sont des acteurs des transformations à l’œuvre et leur identité s’enrichit. Ils élaborent des stratégies et cultivent des aspirations, et contribuent ainsi au développement de ces transformations au même titre que les autres protagonistes sociaux. De plus, celles-ci sont des processus originaux et complexes, forgées précisément par les rapports entre les différents acteurs sociaux.
Les ouvriers peuvent donc être appréhendés comme des acteurs à part entière. Acteurs du façonnement de leur identité, ils ne sont pas créés par la révolution industrielle sous la forme d’un prolétariat homogène au XIXe siècle. Les ouvriers sont donc aussi des acteurs de la voie originale française d’industrialisation. Ils résistent aux exigences nouvelles des manufacturiers et des négociants, qui, dès le XVIIIe siècle, cherchent à rationaliser le travail et à remettre en cause leur autonomie. Mais leur résistance ne doit pas être vue comme archaïque : les ouvriers ne sont pas des obstacles à l’application d’un modèle anglais de révolution industrielle. Leur résistance contribue plutôt au façonnement de l’originalité de l’industrialisation française. Elle suscite le renforcement des organisations ouvrières qui favorisent, dans les luttes, la découverte des Lumières, la revendication de droits, notamment durant la Révolution. De plus, l’intervention des ouvriers dans la Révolution contribue à son ampleur, concourt donc à en faire la matrice de l’originalité de l’histoire de France. Enfin, les ouvriers sont des acteurs de la Révolution française : ils développent des luttes ouvrières tout en participant aux diverses mobilisations populaires, révolutionnaires ou anti-révolutionnaires, citadines et rurales. Les ouvriers sont des acteurs de toutes les mutations en cours : ils les abordent à travers leur identité et celle-ci s’enrichit de leurs expériences, sans que pour autant l’émergence d’une conscience collective soit évidente.
Ce renouvellement de l’analyse sociale, qui écarte la réification des groupes sans renoncer à une approche collective de la société, peut contribuer au renouvellement de l’interprétation de la Révolution française, dont témoigne le colloque Vers un ordre bourgeois ?, dans lequel J.-P. Jessenne écrit qu’on peut « réinterroger l’événement révolutionnaire en partant des acquis récents de l’histoire sociale selon lesquels l’identité (…) des groupes (…) n’est pas un donné, mais le résultat d’une construction ( ;) l’identification d’un groupe ou d’une classe découle d’interactions multiples entre des rapports socio-économiques, des représentations culturelles et des investissements politiques » (2). Pour autant, les ouvriers n’abordent pas la Révolution comme un « matériau humain brut », pour reprendre l’expression de E. Thompson : leur participation à la Révolution est marquée par l’investissement dans celle-ci de leurs revendications et, plus largement, des tensions inhérentes à l’industrialisation dans la Révolution.

La sans-culotterie revisitée par l’histoire du travail »

La suite ci-dessous :

https://revolution-francaise.net/2014/11/10/596-les-ouvriers-en-france-1700-1835

 

 

Notes :

1-https://www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_1978_num_232_1_3311

 

2-Bosc (Yannick), Belissa (Marc) : Le Directoire. La République sans la démocratie, Paris , La Fabrique, 2018

 

Lire aussi :

Waresquiel (Emmanuel de) : Sept jours. La France entre en Révolution, Paris, Tallandier, 2020

Maral (Alexandre) : Les derniers jours de Versailles, Paris, Perrin, 2018

Et bien évidemment les ouvrages de Jean-Clément Martin et Marcel Gauchet sur Robespierre et la Terreur.

 

 

 

Jean Vinatier

Seriatim 2021

Aucun commentaire: