L’épopée impériale a-t-elle été un accélérateur des idéaux révolutionnaires en Europe ? Cette interrogation peu posée, se contenterait-on de croire que Napoléon aurait été, selon Mme de Staël, « le Robespierre botté de la révolution » ?
Quel souffle a été le plus puissant, celui des acteurs de 1789 ou bien l’abeille impériale ?
La seconde n’aurait pas pu être sans les premiers mais, quand on observe le XVIIIe siècle européen, l’on voit tellement prendre forme un autre monde, par les idées philosophiques, le doux commerce et les rivalités inter-mercanti, la première guerre mondiale ou de Sept Ans, la déclaration d’Indépendance des colonies canadiennes méridionales (4 juillet 1776) que la Révolution française n’en serait qu’une partie de plus. Pourtant ce qui distingue la déclaration de Philadelphie, de la Déclaration des droits de l’Homme, c’est la portée urbi et orbi de la seconde. Car les Insurgents n’étaient que des révoltés contre le gouvernement de Lord North tandis que ceux de France, passés d’une prise de pouvoir parlementaire se regardèrent comme aussitôt comme les nouvelles vigies du monde : l’homme nouveau. L’Europe d’alors, dans ses élites francophiles, sauf en Allemagne réclamant l’allemand comme première langue, balançait tout autant entre les Lumières françaises et celles du Nord (anglaise, nordique) et, dans un premier temps accueillit les évènements parisiens et versaillais avec intérêt. Les idéaux révolutionnaires atteignirent tout le continent. Ce qui ferma le banc de l’accueil fut la guerre déclarée par la France au roi de Bohême et de Hongrie puis la déclaration de guerre aux châteaux qui concernèrent aussi les chaumières. Les dévastations françaises en Belgique, en Allemagne inaugurèrent vingt-trois années de campagnes militaires d’un bout à l’autre de l’Europe dont pendant l’Empire français (1804-1815).
Les Républiques sœurs italiennes, néerlandaise, belge, toutes fondirent dans un système impérial napoléonien et échouèrent entre les mains des Bonaparte, de même en Espagne et en Allemagne. Et quand Napoléon eut le choix de faire renaître la Pologne en 1807, il préféra un Grand-duché de Varsovie bancal. L’empire ne fit donc naitre aucune nation libre, bien au contraire, au fil des ans, suscita-t-il contre lui les hostilités générales de tous les peuples continentaux au point que la bataille de Leipzig devint celle des Nations et dès 1813,, à Prague, les coalisés préparèrent le Congrès de Vienne.
Cependant, la défaite finale le 18 juin à Waterloo si elle a terminé la période impériale et la fin de l’opposition frontale contre le Royaume-Uni débutée au XIVe siècle (guerre de Cent ans), elle n’a pas atteint les idéaux révolutionnaires qui trouveront dans ce que les Allemands appellent l’Avant-mars 1848 (Vormärz), une période féconde par l’émergence de nouvelles idées sociales, économiques, politiques via, notamment, le socialisme et des utopies portés aussi par la révolution industrielle qui fit apparaître l’ouvrier. A peine l’abdication signée à l’Elysée le 22 juin 1815, en Italie, en Espagne, en Russie des soulèvements se produiront et quoique différents auront une fin similaire mais en annonceront de suivants bien plus puissants. Ce sont aussi les indépendances espagnoles d’Amérique, de Grèce, l’enclenchement des émancipations balkaniques (Monténégro, Serbie), des provinces moldave, valaque et de Bessarabie.
La longue mèche du XVIIIe siècle ante-révolutionnaire puis celle de la Révolution avaient pris place dans les esprits y compris dans certaines couches sociales moyennes grâce à la presse qui devint, grâce à la Révolution moins factuelle et plus engagée, argumentaire. L’épopée impériale a séduit une infime partie de l’élite éclairée en Europe mais soumise à un empire où elle devenait française alors que le désir profond était d’être d’abord Allemand libre, Italien libre, Espagnol libre, Néerlandais libre, Suisse libre…etc. L’empire napoléonien s’est heurté à la liberté bien loin des républiques sœurs des années 1792.
C’est pourquoi, Napoléon Ier ne saurait être regardé comme un accélérateur des idéaux révolutionnaires. Napoléon Ier est un conquérant d’abord du pouvoir en France dont il se voulut la seule tête. Il avait la possibilité de fonder une Seconde République, il choisit l’empire et l’hérédité ; ensuite, en Europe, où il plaçât frères et sœurs sur des trônes, un temps napoléonien fragile tout comme les centre trente départements de Hambourg jusqu’à Barcelone, Rome et l’Illyrie. Napoléon prétendit à Sainte-Hélène qu’il avait très proche d’unifier l’Europe mais, dans le même temps, il imaginait sa famille alliée à tous les princes d’Italie, rêvait à des pourpres et même qu’un Bonaparte devint pape !
Une question aussi s’ajoute : Napoléon Bonaparte pouvait-il ne pas être un conquérant ? La puissance tellurique révolutionnaire née dans une France jeune, la plus peuplée d’Europe, sure d’elle-même, pouvait-elle s’arrêter à la frontière ? Les bulletins de Bonaparte à l’armée d’Italie témoignent de la fougue de cet homme brillant militaire qui fit accomplir aux hommes des exploits inédits. L’idéal révolutionnaire s’adressant à tous les hommes ne forçait-il à aller partout ? Si Sieyès avait trouver une autre épée que celle de Bonaparte pour le coup d’Etat de Brumaire (17-19), ce sabre-là aurait-il été moins avide ?
Les dynamiques révolutionnaires française, russe génèrent des débats vifs et sanglants entre ceux qui bornaient la cause et ceux qui ne regardaient que son extension, celle chinoise n’eut pas ce problème, la Chine étant d’une spatialité singulière, un « empire du milieu », un monde en soi.
Jean Vinatier
Seriatim 2021
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