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jeudi 24 février 2022

Du Kosovo au Donbass 1998-2022 N°5812 16e année

Vladimir Poutine a franchi un Rubicon en attaquant l’ensemble du dispositif militaire ukrainien dépassant donc largement l’objectif de mise sous contrôle du seul Donbass où sont les deux républiques de Donetsk et de Lougansk. Le Donbass étant une province de l’Ukraine décimée pendant la grande famine et repeuplée par Staline de millions de russes peu de temps avant la seconde guerre mondiale.

Comment en est-on arrivé là…

Hubert Védrine disait hier, peu s’en faut, qu’il ne fallait jamais ignorer l’histoire, bien la connaître et s’y replonger le cas échéant. Or ce qui ce produit aujourd’hui, le franchissement général de la frontière, les bombardements pourraient fort bien apparaitre comme la suite d’un mouvement général enclenché lors de l’éclatement de la Yougoslavie en 1990/91 et de la guerre qui s’ensuivit dans la province du Kosovo (1998-1999) que l’Otan et la coalition européenne firent détacher de la Serbie. Le bombardement de Belgrade amena le président Milosevic à s’incliner : battu l’année suivante à l’élection présidentielle, il sera arrêté en 2001 puis déféré devant le Tribunal International pour l’ex-Yougoslavie où il décédera en 2006. Le Kosovo est aujourd’hui un état reconnu internationalement et abrite la plus grande base américaine d’Europe, Bondsteel.

Si le Kosovo était peuplé d’Albanais, son territoire est aussi celui du Champ du merle où succomba le royaume serbe en 1389. Pour la Serbie, pays slave et orthodoxe, cette province était hautement symbolique de son histoire.

Lors de la dislocation de l’Union soviétique (1989-1991), l’Ukraine proclama son indépendance. Elle se fit avec les frontières ukrainiennes héritées depuis le traité de Pereïaslav en 1654 qui mettait fin à la mainmise de la République des Deux nations (Pologne/Lituanie) et débutait une nouvelle russification. Ce retour dans le giron russe, de la Russie kiévienne disparue lors des invasions mongoles de 1240 permit au Tsar Alexis Ier, descendant des grands-princes de Moscou, de s’intituler empereur de tous les Rus’. Dans ses mémoires Léon Trotski né en Ukraine, ne doute pas un seul instant d’être russe.

De 1991 jusque vers les années 2014, les relations s’établirent correctement entre l’Ukraine et la Fédération de Russie. Entre temps, Vladimir Poutine succédait à Boris Eltsine qui amorçait un nouveau tournant dans la politique russe à savoir celle de recouvrir une puissance historique, de protéger ses marches, biélorusse et ukrainienne. Les adhésions de tous les pays membres du pacte de Varsovie plus les trois pays baltes à l’Otan apparaitront   pour Moscou comme une ceinture autour du pantalon russe. Vladimir Poutine ne redoutant plus qu’une seule chose que la Biélorussie et l’Ukraine entrassent dans l’Otan.

Lors des négociations du traité de libre-échange entre l’Ukraine et la Russie puis avec l’Union européenne, le climat se tendit et prit une dimension géopolitique qui atteint son maximum en février 2014 quand le Président Viktor Ianoukovytch fut renversé et destitué par une « révolution » dite de Maïdan. Moscou y verra la main de la CIA (révolutions orange). Dès le printemps 2014 commença la guerre dans le Donbass puis, en juin, l’annexion de la Crimée par l’armée russe qui récupéra la flotte ukrainienne ralliée à sa cause. Cette période là est clairement une réponse russe aux événements de Maïdan.

Les insuccès de l’armée ukrainienne dans le Donbass amenèrent à des négociations dites les accords de Minsk (ensemble de textes entre juin et septembre 2014) qui prévoyaient un règlement pacifique au conflit sous l’égide de l’Ukraine, de la Russie, de l’Allemagne, de la France (format Normandie).

Depuis huit années, chacune des parties se renvoyait la balle éveillant, au fil des ans, davantage la méfiance moscovite qui soupçonna de la part de Paris et de Berlin (avec derrière Washington) une volonté de faire trainer les choses, l’objectif étant, sans doute, de lasser la Russie puis d’intégrer l’Ukraine dans l’Otan.

Il faut bien comprendre que les États-Unis voyant l’URSS disparaitre se persuadèrent d’être dans une « fin de l’histoire » c’est-à-dire de la division du monde et que débutait une histoire globale américaine1 et que naturellement ni l’Otan ni l’Union européenne n’auraient plus de frontière arrêtée (rappelons-nous les débats lancés alors sur les frontières supposées ou pas et les adhésions jusqu’en Asie centrale). Dès lors, la logique de la politique américaine était de faire en sorte que les accords de Minsk ne se réalisassent pas. De son côté la Russie entamait, parallèlement aux ambitions étasuniennes, une série de propositions auprès des Européens autour de la Maison commune de l’Atlantique à l’Oural.

Au milieu de tous ces enjeux globaux, l’Ukraine apparait comme un jouet. Elle prend le chemin de la Pologne au XVIIIe siècle, vers un partage entre les puissances, la Russie et l’Union européenne (en réalité l’Allemagne pour assouvir un vieux rêve de Guillaume II et l’Otan pour casser les reins de la Russie et la cadenasser dans la mer Noire). Je l’ai écrit à plusieurs reprises, l’Ukraine est une puissance blette.

Mais voilà, Vladimir Poutine en envahissant sans déclaration de guerre l’Ukraine, surprenant tout le monde (Eh oui, je me suis planté) place les acteurs au pied du mur : il fait en plus violemment ce que les Otaniens firent à la Serbie au Kosovo avec cette différence que ceux-ci avaient un mandat onusien, leur donnant donc une légitimité qui ne se retrouve pas dans le cas présent. C’est le maillon faible juridique de l’offensive russe.

Est-ce que les États-Unis et les Européens ont piégé la Russie en affirmant ne pas vouloir envoyer des soldats, à l’instar de ce qu’ils dirent à Saddam Hussein en 1990 sur le Koweït ?  Et maintenant, allons -nous avoir se former une grande coalition « des démocraties » ou non comme en 1990 ?

Les États-Unis, l’Union européenne ont une part de responsabilité dans cette offensive russe à force de biaiser, de jouer avec les nerfs, d’éterniser les palabres de Minsk, de ne pas avoir compris depuis 2008 en Géorgie que Vladimir Poutine, quoique plus attirer par un accord avec l’Ouest qu’avec la Chine en avait soupé, selon lui, des condescendances euro-américaines. La Russie se jettera-t-elle dans les bras de la Chine ? Pour l’heure il n’y a pas d’alliance militaire et heureusement car aujourd’hui nous serions au départ d’une troisième guerre mondiale.

On rappellera que les États-Unis et le Royaume-Uni passèrent outre l’ONU quand ils décidèrent d’abattre Saddam Hussein en 2003, en mentant effrontément (fiole de Colin Powell, Tony blair…etc). Sans excuser l’invasion en Ukraine par Vladimir Poutine, rappelons-nous que les États-Unis se dotèrent d’une législation pour rendre inattaquable juridiquement tous les acteurs de l’invasion de l’Irak en 2003…

Les sanctions prises par les États-Unis et l’Union européenne ne contrarieront pas trop un pays préparé depuis longtemps à faire face à cette situation. Signalons que la Maison Blanche tout en veillant à la sévérité à l’encontre des sociétés qui commerceraient avec la Russie a prévu des exemptions…pour les leurs. Les Européens auront donc ce point commun avec l’Ukraine d’être les possibles dindons d’une tragédie.

Du Kosovo au Donbass, il y a , selon moi, un fil conducteur qui trouve une mèche nouvelle en Russie et dont l’Ukraine paie le prix fort. Nous verrons dans les prochains jours si c’est un nouveau Munich ou bien quelque chose de réactif militairement.

Je termine en écrivant que ceux qui s’étonnent de cette précipitation à intervenir, je ferai cette remarque météorologique : Poutine voulait éviter le dégel du printemps qui rend le sol boueux, impraticable pour les blindés et les ravitaillements motorisés….

 

Note :

1-Il est instructif de voir que les Présidents américains entre 1990 et 2017 tant républicain que démocrate étaient sur la même longueur d’onde : George Bush père, Bill Clinton, George W. Bush fils, Barack Obama. Cependant, une histoire globale commence à diviser beaucoup aux États-Unis : élection de Trump puis de Biden.

 

 

Jean Vinatier

Seriatim 2022

 

 

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