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vendredi 4 janvier 2008

Kenya : une « Méditerranée d'Orient » N°110 - 1ere année

Les violences populaires qui accompagnent la contestation de l’élection présidentielle surprennent les médias habitués à voir le Kenya comme une aimable terre pour des safaris ou bien les romans d’européens si magnifiquement décrits par Karen Blixen et popularisés par le film Out of Africa. Or, le Kenya ne se limite pas à la Rift Valley où vit toujours une aristocratie européenne : anglaise, danoise, suédoise.
D’où vient le Kenyan ? Deux peuples migrants s’y installèrent : les Bantous venus du Cameroun et les peuples nilotiques descendus du Nord dont les fameux Massaïs. Etablis aussi le long de la côte, les Arabes venus d’Oman les dénommèrent dés le XIe siècle les Swahilis ou gens du Sahel (signifiant «le rivage», en arabe). Cette « côte swahilie » s'étendait du sud de la Somalie au Mozambique en incluant l'archipel des Comores. Les Swahilis étaient des commerçants métissés d'Africains, d'Arabes (plus exactement d’arabo-persans, les shirazis) et d'Indiens établis dans les comptoirs côtiers et sur les routes menant à la région des Grands Lacs. Le brassage de populations nées du commerce avec le golfe Arabo-Persique et l'Inde a donné naissance à une civilisation originale fondée essentiellement sur le commerce et sur l’existence de nombreuses cités marchandes comme Mogadiscio, Mombasa, Zanzibar, Kilwa et Sofala, véritable Méditerranée d'Orient dont le Portugal de Vasco de Gama s'est emparé au XVIe siècle. Aujourd'hui, le kiswahili, parlé de Djibouti au Mozambique et jusqu'à Kinshasa, est la langue officielle de la Tanzanie et la grande langue véhiculaire de l'Afrique soit entre 40 et 50 millions de locuteurs.
Au cours du XVIIIe siècle, le Swahili se répandit dans l'océan Indien, notamment aux îles Comores et à Madagascar, puis en Afrique du Sud, à Oman et aux Émirats arabes unis. Au siècle suivant, la langue a atteint des pays tels que la Tanzanie, l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi, le Congo-Kinshasa, la République centrafricaine et le Mozambique.
A compter des années 1800, les Anglais qui succédaient aux Portugais chassés du pays vers 1730 par les forces du sultan d’Oman qui établit sa capitale à Zanzibar, inauguraient une période coloniale qui se termina par l’indépendance du Kenya en 1960 au terme de multiples et sanglantes répressions de 1920 à la fin des années cinquante.Le Kenya compte 70 ethnies dont 5 représentent 70% de la population : Kikuyu, Liyia, Luo, Kalenjin, Kambin et deux religions principales, chrétienne (78%) et musulmane(10%). Mais, plus important, la langue swahilie a donné un genre littéraire original, le tenzi ou utenzi qui est une « narration rimée » poétique sous forme de strophes de quatre octosyllabes. Le tenzi est chanté. D’abord rédigé en caractères arabes puis en caractères latins le tenzi illustre tous les faits de la vie, nationale, internationale. Il peut compter jusqu’à 3000 strophes. J’emprunte au professeur Xavier Garnier les trois tenzi ci-dessous.¹
Celui d’Hemedi Al-Buhry décrit le désarroi kenyan face aux colonisateurs européens :

« Une chose, Seigneur,
nous porte atteinte,
nous ne sommes pas organisés
ni suffisamment coordonnés.
La guerre est un art délicat
et nous avons besoin d’un magicien
qui puisse faire usage de sortilèges. »

Shaaban Robert dans son Utenzi Wa Vita vya Uhuru rapporte les événements de la guerre :

« Entre les Anglais et les Allemands,
Je les dépose dans un livre,
Pour qu’ils ne se perdent pas.
Je les dépose dans un livre,
Pour qu’ils ne restent pas cachés,
Et qu’ils soient étudiés par les écoliers,
Qui en auront ainsi connaissance.
[…]
Hitler a essayé
De détruire la Russie
Mais il rencontre des problèmes
Et il est sur le point de se faire attaquer.
Nous devons faire tout ce qu’il faut,
Et cela sans plus tarder,
Pour être en mesure
D’aider la Russie.
Je veux que nous n’oubliions pas
Qu’il nous faut cette année
Faire de gros efforts
Pour partager la peine de la Russie.
Si nous partageons ces terribles
Epreuves qu’ils supportent
Nous viendrons à bout des difficultés
Nombreuses qu’ils rencontrent.Prenons une part
De ces dures épreuves
Et Dieu nous bénira
D’avoir sauvé la Russie.
[…]
Si tu veux comprendre,
Comment était cette guerre,
Imagine une grande marée,
Avec son flux et son reflux. »

Le tenzi de Muhanika, conte la chute d’un dictateur africain tel Idi amin Dada en 1979 après a guerre menée par la Tanzanie :
« Les chanteurs à cette époque,
Ne chantaient qu’à propos du serpent,
Les peintres à cette époque,
Ne dessinaient que le serpent,
Les écrivains à cette époque,
N’écrivaient que sur le serpent.
On n’entendait parler,
A quelque endroit que ce soit,
Que de chasser le serpent,
Que de tuer le serpent. »

Le Kenya a reçu un prix Nobel de la Paix en 2001, une femme Wangari Maathai² et compte des écrivains majeurs du continent dont Rocha Chimera, Meja Mwangi, Ngugi wa Thiong’o³.
Aujourd’hui le Kenya est dans les troubles sur fond de querelles ethniques mais pas seulement comme le rapporte le candidat opposé au président sortant Mwai Kibaki (Kikuyu), Raila Odinga (Luo) :
« Le tribalisme est une idéologie très primitive, dit-il, mais ce n'est pas une fatalité. Je ne voudrais pas chanter ma propre gloire, mais je crois que le peuple est convaincu que j'ai le profil requis pour diriger le pays durant cette transition vers une constitution démocratique ».4
La fin de la présidence de Kibaki rappelle toutes les violences et les atteintes aux droits de l’homme qui marquèrent le « règne » d’Arap Moi entre 1978 et 2002. Doit-on déjà parler de « démons libérés » comme le titre Le Monde5 ? Le pays a du coffre. Petit clin d’œil : le candidat démocrate américain Obama est issu de l’ethnie Luo comme Odinga : un signe ?
Le Kenya, éblouissante « Méditerranée d’Orient », nous offre une Afrique envers laquelle nous sommes toujours dans les préjugés et la méconnaissance.

©Jean Vinatier 2008

Carte du Kenya :
http://www.africa-onweb.com/pays/kenya/carte.htm
Liens :
1-
http://www.univ-paris13.fr/cenel/articles/GarnierUtenzi.htm
2-http://www.greenbeltmovement.org/
3- Sites de deux des écrivains :
http://www.mejamwangi.com/index.html
http://www.ngugiwathiongo.com/
4- All Africa.com François Gouahinga Washington, DC, 7 mars 07
5-
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3212,36-995925@51-993693,0.html

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