« Le Président de la
république a décidé que les mesures à prendre pour lutter contre les
dérèglements climatiques seraient proposées par 150 citoyens tirés au sort. On
peut s’étonner qu’une telle décision ait été prise sans susciter plus de
réactions : ignorance, lassitude, acceptation béate devant les
dangers ? Vous trouverez ci-dessous quelques réflexions sur ce sujet. »
« Le monde est fou, la planète brule. Et, comme toujours devant les
dangers et les peurs, se dressent des prophètes, chacun porteur de la solution
miracle. Apparemment, rien ne nouveau sous le soleil. Tous les apprentis
dictateurs ont toujours expliqué qu’ils demandaient le pouvoir absolu pour
résoudre des dangers auxquels le peuple ne sait pas faire face.
La nouveauté vient en fait de la méthode. Car les nouveaux sauveurs
suprêmes prétendent, par des biais bizarres, incarner le vraie démocratie. Le
détour utilisé pour réaliser ce tour de force est l’idéalisation du tirage au
sort, censé remplacer une démocratie en trompe l’œil par la seule vraie.
Le Dieu hasard contre la raison
L’histoire commence il y a déjà quelques décennies par une propagande
magnifiant le système grec qui, aux dires d’historiens du dimanche et de
philosophes d’opérettes, choisissait les responsables par le tirage au sort.
Remarquons simplement que ce système, d’ailleurs pratiqué entre les seuls
citoyens les plus aisés, excluant les femmes et les esclaves, ne tirait au sort
que les responsables de postes secondaires, souvent temporaires, alors que les
responsables militaires et financiers étaient, pour leur part, élus. L’objectif
de cette réécriture de l’Histoire est surtout de déconsidérer le suffrage
universel, traduction politique de la pensée humaniste.
On ne saurait, cela étant, se contenter de se moquer de ce stratagème car
il reflète la profonde crise de la démocratie représentative. Les députés ne
représentent plus les citoyens. De plus en plus enserrés dans les partis
auxquels ils doivent souvent leur carrière et même leurs revenus, ne rendant de
comptes qu’aux membres de l’exécutif, tout particulièrement au Président de la
République qui désigne la plupart d’entre eux, ils ne sont soumis à une
sanction populaire que tous les 5 ans, à l’occasion de leur renouvellement.
L’idée de sélectionner n’importe qui par le hasard apparait alors comme un
moindre mal à tous ceux qui ne veulent pas se battre pour reconstruire une
vraie démocratie. Ainsi, une certaine classe dirigeante joue-t-elle sur deux
tableaux. D’abord, elle déconsidère le principe de la souveraineté populaire,
ensuite, elle se propose de remettre elle-même la démocrate sur pieds dans son
propre intérêt.
La chose est légitimée et amplifiée par des rhétoriciens officiels qui, se
présentant comme garants de ce qu’ils appellent le « bien commun »,
passent leur temps, avec l’aide de médias complaisants, à critiquer le suffrage
universel. On peut multiplier les exemples : prenons celui de Thierry Pech
car celui-ci, après avoir été, en tant que directeur général de Terra Nova, une
des coqueluches d’un PS en perpétuelle trahison, semble être en odeur de
sainteté dans les lambris du nouveau pouvoir. Sur France Culture, le 5 novembre
2018, il avait déclaré que « les populismes à l’œuvre reposent sur une
absolutisation du suffrage. Ni Bolsonaro, ni Orban, ni Poutine, ne sont le
produit d’autre chose que des élections. Mais, en dehors de ça, ils n’ont pas
de légitimité, ni à la presse, ni aux corps intermédiaires, ni à la justice ».
Un positionnement charmant, à mi-chemin entre la naïveté et le
totalitarisme ; une manière désarmante de confondre les effets et les
causes au profit d’un totalitarisme tranquille. Notons l’énormité du
propos : la légitimité ne vient pas des urnes, elle vient des médias ou
des corps intermédiaires.
Pas si naïf que cela finalement lorsqu’on découvre que le fameux Thierry
Pech est, avec Laurence Tubiana, un des deux coprésident du « comité de
gouvernance » de la Convention citoyenne pour le climat lancée début
octobre. A bas la souveraineté populaire, vive les nouveaux conseillers
des princes !
Un zoo humain de la démocratie
Instructive initiative que cette convention ! Née de la volonté
suprême d’Emmanuel Macron à l’issue du « grand débat », elle a
commencé ses travaux. 150 personnes tirés au sort a partir des annuaires
électroniques (pourquoi pas les listes électorales ?) sont rassemblés au
palais d’Iéna où ils travailleront pendant 6 week-end. Ils doivent
produire des textes de loi visant à réduire les émissions de gaz à effet
de serre. Nous passerons sur les surprises heureuses du sort : il
semblerait que le doigt de la chance se soit posé sur Cohn Bendit, mais qu’il
aurait refusé.
Nous noterons au passage que 30% seulement des tirés au sort ont accepté ce
don du ciel, du moins dans un premier temps. Peut-être faudrait-il s’intéresser
aux raisons du refus des autres ! Mais la question principale n’est pas
là. Elle est de savoir en quoi 150 citoyens tirés au sort sont en capacité de
représenter plus de 60 millions de citoyens. Les responsables de l’opération nous
précisent qu’on a choisi ces porte-flambeaux en tenant compte de l’âge, du
sexe, des catégories socioprofessionnelles, … Remarquons que ce discours
signifie, contre maints exemples contraires, que les positions sociales
déterminent les options politiques. N’y a-t-il pas des ouvriers réactionnaires
et des ouvriers progressistes ?
Mais surtout, en quoi un tel machin est-il plus pertinent qu’un processus
basé sur la confrontation générale des idées et la sélection électorale des
porte-paroles ? En quoi est-il plus juste, plus adapté aux défis du
moment, que l’élection au suffrage universel d’une Constituante partant des
communes avec débat local de tous les citoyens et cahiers de doléances ?
Pensera-t-on, suivant en cela l’originalité de Thierry Pech, que ce panel
permet un rapport direct à la presse ou aux corps intermédiaires et devient, du
ce fait, plus démocratique ? On ne s’étonnera donc pas de voir les
journalistes mettre en avant, parmi les tirés au sort, quelques personnages
hauts en couleur et dont la verve permet une légitimation médiatique. Sur le
fond, ça ne mange pas de pain. Les plateaux télé ont mis en valeur l’effet
anesthésiant des « bons clients » qui s’expriment façon
micro-trottoir.
Car, finalement, ce sont les médias qui maximisent les effets de cette
nouvelle martingale. En observant ses membres comme s’il s’agissait d’un zoo
humain, ils en font un récit édifiant au service de la pensée dominante.
Le miracle de l’expert
Encore plus fort dans le tour de passe-passe ! Non seulement les
sélectionnés sont supervisés par deux coprésidents dont personne ne songeraient
à penser qu’ils n’ont qu’un rôle d’observation, mais encadrés par douze
« pilotes » dont on ignore les critères de sélection. Et ce n’est pas
tout : Pour aider à leur travail, les tirés au sort bénéficieront de
« fact-checkers », d’« experts » du climat, de la société
civile et des acteurs politiques pour « décrire la situation, les
enjeux et les obstacles à la lutte contre le changement climatique ».
Un comité d’experts juridiques aura de plus pour tâche de « traduire
leur volonté en termes juridiques ». Bigre ! C’est vrai que
les citoyens sont mieux encadrés que lors des élections où, si l’on en croit
nos spécialistes de la « démocratie participative », ils sont tentés
par les « dérives populistes ». On voit d’ailleurs mal en quoi cette
débauche d’intervenants n’aurait pas son mot à dire dans le cadre d’un
processus électoral quelconque si le débat public est respecté.
Mais revenons à la question de savoir pourquoi ils sont ainsi rassemblés.
Eh bien, ils doivent répondre à la question « Comment réduire d’au
moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans une
logique de justice sociale » ? Et pour aider à leur réflexion,
ils se verront dresser un « état des lieux problématisé de l’action en
France » et seront éclairés sur les « leviers et points de
blocage ».
Pourquoi diable une telle usine à gaz ? L’artiste Cyril Dion, un de
nos nouveaux prophètes, nous apporte la réponse dans We demain le 12 août
2019 : « Se pose aussi le problème de l'opinion… Les politiques se
réfugient toujours derrière cet argument, qui est une réalité politique : ils
ont besoin de contenter la majorité pour être réélus. C’est le problème de la
démocratie représentative : c’est un modèle qui ne convient pas à l’urgence.
C’est pourquoi il faut permettre aux gens de délibérer, en leur donnant tous
les tenants et les aboutissants des problèmes ». Cette stupéfiante
déclaration peut se résumer ainsi : arrêtons de demander aux citoyens leur
avis, nous (traduisez par « lui-même ») savons mieux qu’eux quelles
sont les bonnes questions. Le peuple est ignorant et mesquin et, entrainé par
de petits intérêts, il ne saurait faire face aux défis du moment. Pourquoi,
direz-vous, créer alors, par tirage au sort, une sorte d’Assemblée en
réduction ? Parce que l’irruption du monde médiatico-artistique
comme guide du peuple a besoin d’être légitimé par une assemblée Potemkine, non
pas exempte des « petits intérêts », mais évidemment plus facile à contrôler.
La chose n’est pas limitée à la question climatique en France. Les moines
guerriers du tirage au sort expliquent a tirelarigot que les expériences
positives font florès et que l’exemple de l’Irlande, à partir de 2009, est
particulièrement symbolique. Or, s’il est vrai qu’une telle assemblé citoyenne
a existé en Irlande, elle a essentiellement mis en avant deux questions, le
droit à l’avortement et le mariage homosexuel. Remarquons que l’apparition de
ces sujets n’est pas vraiment une originalité et que leur légalisation a été
obtenue par référendum, c’est-à-dire par le suffrage universel. En fait, le
tirage au sort est un subterfuge pour légitimer la remise en cause de la
volonté populaire, tout particulièrement par la sélection préalable des
questions acceptables par le système économique dominant. Là encore, au lieu de
ce biais bizarre, il aurait été plus simple d’accepter de poser la question de
la légitimité de la représentation nationale et, éventuellement, d’un
référendum d’initiative populaire, toutes choses qui demandent de remettre en
cause les institutions dans un souci réellement démocratique fondé sur le
suffrage universel. Cet objectif demande l’appel au peuple tout entier et non à
un panel contrôlé par des personnalités miracles.
La fatuité de l’inculture
Mais nos nouveaux apôtres ne veulent pas de ce recours car, comme
l’explique Cyril Dion, « si on dit aux gens qu’il faut réduire le
nombre de véhicules de 50 %, arrêter de consommer, arrêter de prendre l’avion
sur les lignes intérieures, arrêter de manger de la viande… Ils ne vont pas
être d’accord ». A sa suite, le climatologue
François-Marie Bréon clame, dans Libération du 29 juillet 2018, que « Les
mesures qu’il faudrait prendre seront difficilement acceptées. On peut dire que
la lutte contre le changement climatique est contraire aux libertés
individuelles et donc sans doute avec la démocratie. » quand, de son
côté, l’astrophysicien Aurélien Barreau, tout en admettant que, face aux
questions climatiques, il ne prétend pas « avoir les solutions car il y
a des experts bien plus compétents pour ça », explique dans
l’express du 10 octobre 2018 qu’i faudra prendre des « mesures
coercitives, impopulaires, s'opposant à nos libertés individuelles ».
L’irruption soudaine de Greta Grumberg est alors particulièrement opportune
pour supprimer nos principes démocratiques et nos valeurs humanistes. On dira
que, de tous temps, sont apparus des prophètes face aux grandes crises. Mais
Bernadette Soubirou n’était pas invitée à l’Assemblée nationale. Ceci
explique-t-il la relative complaisance des pouvoirs publics face aux blocages
d’Extinction Rébellion qui ne peuvent qu’étonner comparés à la répression
violente menée contre les gilets jaunes. Mais sans doute un Cyril Dion
expliquera-t-il qu’il y a d’un côté le bien et d’un autre le mal.
Rien ne prouve, et surtout pas les gilets jaunes, que les gens sont
hostiles par principe aux contraintes écologiques. Ils veulent en revanche
qu’elle soit juste. S’exercera-t-elle, par exemple, sur les gourous du tourisme
de masse ou sur les grands industriels ? Ne doit-on pas voir tout
simplement, dans la volonté antidémocratique des nouveaux tribuns, un appui
silencieux, peut-être inconscient, à l’émergence d’un capitalisme vert ?
Celui-ci est d‘autant plus totalitaire et hostile à tout contrat social qu’il
est porté par la bonne conscience et par une marche vers la servitude
volontaire.
Le monde traverse une crise profonde, climatique certes, mais aussi
philosophique, sociale et géopolitique. La solution n’est évidemment pas
simple. Vouloir la régler par la coercition n’est pas un choix d’efficacité,
mais un choix philosophique. La question légitime de savoir quel est l’avenir
de la planète ne saurait en aucune façon nier celle de l’avenir de l’Humanité.
Les plaisantins qui se réfèrent toujours à Rousseau devaient rappeler
qu’avant tout, celui-ci se réfère à la volonté générale, c’est-à-dire à la
souveraineté populaire. L’intérêt général n’est pas l’apanage de quelques-uns,
mais situé au-delà de tout intérêt particulier.
L’individu doit être un individu responsable, libre et conscient. Il ne
s’agit pas de laisser l’humain survivre sous un gouvernement mondial sans
contrôle des citoyens. Faute de quoi, nous aurons réussi la prophétie de George
Orwell lorsqu’il faisait dire à Big Brother : « Tant
que votre but sera de rester vivants, non de rester humains, rien ne changera.
Mais, à la qualité d’êtres humains, vous avez préféré celle d’êtres vivants,
vous confinant ainsi dans un éternel présent et vous assurant que je serai
toujours là. Ne vous en plaignez pas ».
Source :
Jean Vinatier
Seriatim 2019
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