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jeudi 31 juillet 2008

Nicolas Gilbert : « Le Dix-huitième siècle », une satire oubliée N°258 - 1ere année

Ce poète vosgien né en 1750 dans une famille aisée, passa par les salons lorrains à la fin de la décennie 1760 où il fit ses premières pas de poète chez le comte de Lupcourt, Mandel et Darbès. Venu à Paris se mesurer aux grands esprit du temps, il essuiera bien des échecs mais bénéficiera d’une pension de Louis XVI.
Dans
Dix-huitième siècle (1775), dont des extraits sont proposés ci-dessous, Gilbert fustige les fausses gloires et les faux grands hommes. Cette critique des Encyclopédistes, de Voltaire et des Académies lui valut le mépris et les applaudissements.
Dans
Le Poète malheureux (1772), Nicolas Gilbert ne disait-il pas :
« Savez-vous quel trésor eût satisfait mon coeur ?
La gloire : mais la gloire est rebelle au malheur. »

Il meurt à vingt-neuf ans (1780) des suites d’une chute de cheval avant d’avoir pu donner toute la mesure de son talent que laissait deviner son Ode ou Adieux à la vie (1780) qu’Alfred de Vigny rappela dans Stello. Musset, Flaubert et Charles Nodier, qui publia toute son œuvre en 1826, l’admirent parmi les figures tutélaires du romantisme.
Cette satire sur le dix-huitième siècle n’est-elle pas transposable en 2008 ?

« C' est vainement, Fréron, qu' en tes sages écrits
dévouant nos cotins à de justes mépris,
tu prétens, du bon goût retarder la ruine ;
c' en est fait : sur ces bords, où le vice domine,
plus puissante, renaît l' hydre des sots rimeurs,
et la chûte des arts suit la perte des moeurs.
Par l' erreur et l' orgueil nommé philosophie,
un monstre, chaque jour, croît et se fortifie,
qui, d' honneurs usurpés, parmi nous revêtu,
étouffe les talens et détruit la vertu :
c' est, en nous dégradant, qu' il brigue nos louanges ;
précipité par lui du ciel dépeuplé d' anges,
,
Dieu n' est plus ; l' ame expire ; et roi des animaux,
l' homme voit ses sujets devenir ses égaux :
ce monstre toutefois n' a point un air farouche,
et le nom des vertus est toujours dans sa bouche.
[….]
Ces français si vantés, peux-tu les reconnaître ?
Jadis peuple héros, peuple femme en nos jours,
la vertu qu' ils avoient n' est plus qu' en leur discours.
Suis les pas de nos grands : énervés de molesse,
ils se trainent à peine, en leur vieille jeunesse,
courbés avant le temps, consumés de langueur,
enfans efféminés de pères sans vigueur ;
et cependant, nourris des leçons de nos sages,
vous les voyez encore, amoureux et volages,
chercher, la bourse en main, de beautés en beautés,
la mort qui les attend au sein des voluptés ;
de leurs biens, prodigués pour d' infâmes caprices,
enrichir nos Laïs dont ils gagent les vices,
tandis que l' honnête homme, à leur porte oublié,
n' en peut même obtenir une avare pitié :
destinés en naissant aux combats, aux alarmes,
formés dans un serrail au dur métier des armes ;
qu' ils promettent d' exploits tous ces héros futurs !
[….]
J' aurois pû te montrer nos duchesses fameuses,
tantôt d’un histrion amantes scandaleuses,
fières de ses soupirs obtenus à grand prix,
elles-même aux railleurs dénonçant leurs maris ;
tantôt, pour égayer leurs courses solitaires,
imitant noblement ces grâces mercénaires
qui, par couples nombreux, sur le déclin du jour,
vont aux lieux fréquentés colporter leur amour ;
contens d' un héritier, dans les jours de leur force,
les époux, très-amis, vivant dans le divorce ;
vainqueurs des préjugés, les pères bienfaisans
du serrail de leurs fils eunuques complaisans ;
quelques marquis, d' ailleurs doués de moeurs
austères,
polygames galans et vieux célibataires ;
plusieurs encor, vraiment philosophes parfaits,
en petite Gomorre érigeant leur palais.
Mais la corruption, à son comble portée,
dans le cercle des grands ne s' est point arrêtée ;
elle infecte l' empire, et les mêmes travers
règnent également dans tous les rangs divers.
Il faut voir ce marchand, philosophe en boutique,
qui déclarant trois fois sa ruine authentique,
trois fois s' est enrichi d' un heureux deshonneur,
trancher du financier, jouer le grand seigneur :
monsieur, pour ses amis, entretient une actrice ;
madame, des beaux arts bourgeoise protectrice,
en couvent d' esprits-forts transforme sa maison
et fait de son comptoir un bureau de raison.
Par-tout s' offre l' orgueil et le luxe et l' audace ;
Orgon, à prix d' argent, veut annoblir sa race :
devenu magistrat de mince roturier,
pour être un jour baron, il se fait usurier :
jadis, son clerc, Mondor envioit sont partage ;
tout-à-coup, des bureaux secouant l' esclavage,
il loge sa molesse en un riche palais
et derrière un char d' or promenant trois valets,
sous six chevaux pareils ébranle au loin la rue ;
mais sa fortune, ami, comment l' a-t-il accrue ?
Il a vendu sa femme, et ce couple abhorré,
enveloppé d’opprobre, est pourtant honoré.
[…]

Chacun veut de la vie embellir le passage ;
l' homme le plus heureux est aussi le plus sage ;
et depuis le vieillard qui touche à son tombeau,
jusqu' au jeune homme, à peine échappé du berceau,
à la ville, à la cour, au sein de l' opulence,
sous les affreux lambeaux de l' obscure indigence,
la débauche au teint pâle, aux regards effrontés,
enflamme tous les coeurs, vers le crime emportés :
c' est envain que fidèle à sa vertu première,
Louis instruit aux moeurs la monarchie entière ;
la monarchie entière est en proie aux Laïs,
idoles d' un moment, qui perdent leur pays ;
et la religion, mère désespérée,
par ses propres enfans sans cesse déchirée,
dans ses temples déserts pleurant leurs attentats,
le pardon sur la bouche, envain leur tend les bras ;
son culte est avili ; ses loix sont profanées :
dans un cercle brillant de nymphes fortunées
entens ce jeune abbé : sophiste-bel-esprit,
monsieur fait le procès au dieu qui le nourrit ;
[….]
Sans doute le respect des antiques modèles
eût au vrai ramené les muses infidelles :
eux seuls, de la nature imitateurs constans,
toujours lûs avec fruit, sont beaux dans tous lestems :
heureux:
qui, jeune encor, a senti leur mérite :
même, en les surpassant, il faut qu' on les imite :
mais les sages du jour ou d' heureux novateurs,
de leur goût corrompu partisans corrupteurs,
pour s' asseoir sur le Pinde au rang de nos ancêtres,
ne pouvant les atteindre, ont dégradé leurs maîtres.
Boileau, dit Marmontel, tourne assez bien un vers ;
ce chantre gazettier, Pindare des déserts,
La Harpe, enfant gâté de nos penseurs sublimes,
quelquefois, dans Rousseau, trouve de belles rimes.
Si l' on en croit Mercier, Racine a de l' esprit ;
mais Perraut, plus profond, Diderot nousl' apprit,
Perraut, tout plat qu' il est, pétille de génie :
il eût pû travailler à l' encyclopédie.
Périsse Bossuet ! Quoi ! Ton pinceau flatteur
souilla de son éloge un papier imposteur ?
étoit-il philosophe ? Aveugles que nous sommes !
Combien l' erreur publique a fait de faux grands hommes !
Enfin la raison luit ; leurs talens sont jugés ;
des affronts du sifflet les Cotins sont vengés :
Voltaire en soit loué ! Chacun sçait au Parnasse
que Malherbe est un sot et Quinaut un Horace :
dans un long commentaire il prouve longuement
que Corneille par fois pourroit plaire un moment,
et tous ces demi-dieux que l' Europe en délire
a, depuis cent hivers, l' indulgence de lire,
vont dans un juste oubli retomber désormais,
comme de vains auteurs qui ne pensent jamais.
[….]
Ainsi, de nos tyrans la ligue protectrice
d' une gloire précoce enfle un rimeur novice :
l' auteur le plus fécond, sans leur appui vanté,
travaille dans l' oubli pour la postérité ;
mais par eux, sans rien faire, un fat nous en impose ;
Turpin n' est que Turpin ; Arnaud est quelque chose.
ô combien d' écrivains, philosophes titrés,
sur le Pinde français parvenus illustrés,
ont, par cet art puissant, usurpé nos hommages !
L' encens de tout un peuple enfume leurs images :
eux-même avec candeur se disant immortels,
de leurs mains tour à tour se dressent des autels :
sous peine d' être un sot, nul plaisant téméraire
ne rit de nos amis et sur-tout de Voltaire.
On auroit beau montrer tous ses vers faits sans art,
d' une moitié de rime habillés au hazard,
seuls, et jettés par ligne exactement pareille,
de leur chûte uniforme importunant l' oreille,
ou, bouffis de grands mots qui se choquent entr' eux,
l' un sur l' autre appuyés, se traînant deux à deux ;
et sa prose frivole, en pointes aiguisée,
pour braver l' harmonie, incessamment brisée :
parfaite on croit sa prose, et parfaits ses accords ;
lui seul a de l' esprit, comme quarante en corps :
qui pourroit le nier ? Moi peut-être : j' avoue
que d' un rare savoir à bon droit on le loue ;
que ses chefs-d' oeuvres faux, trompeuses
nouveautés,
étonnent quelquefois par d' antiques beautés ;
que par ses défauts même il sait encor séduire :
talent qui peut absoudre un siècle qui l' admire ;
mais qu' on m' ose prôner des sophistes pesans,
apostats effrontés du goût et du bon sens :
Saint-Lambert, noble auteur dont la muse pédante
fait des vers fort vantés par Voltaire qu' il
vante ;
qui, prêchant les pervers, pour ennuyer les bons,
en quatre points mortels a rimé les saisons ;
et ce vain Beaumarchais qui trois fois avec gloire
mit le mémoire en drame et le drame en mémoire ;
et ce lourd Diderot, docteur en stile dur,
qui passe pour sublime, à force d' être obscur ;
et ce froid d' Alembert, chancelier du Parnasse,
qui se croit un grand homme et fit une préface ;
et tant d' autres encor dont le public épris,
connoit beaucoup les noms et fort peu les écrits ;
alors, certes alors ma colère s' allume,
et la vérité court se placer sous ma plume.
Ah ! Du moins par pitié s' ils cessoient d' imprimer,
dans le secret, contens de proser, de rimer ;
mais de l' humanité maudits missionnaires,
pour leurs tristes lecteurs ces prêcheurs n' en ont
guères :
La Harpe mille fois jura sur Pharamon
de bien nous ennuyer, pour se faire un beau nom ;
Thomas est en travail d' un gros poëme épique ;
Marmontel enjolive un roman poétique
et même Durosoy, fameux par des chansons,
met l' histoire de France en opéras-bouffons :
tout compose ; et déjà de tant d' auteurs manoeuvres
aucun n' est riche assez, pour acheter ses oeuvres.
Pour moi qui démasquant nos sages dangereux,
peignis de leurs erreurs les effets désastreux ;
l' athéisme en crédit ; la licence honorée
et le lévite enfin brisant l' arche sacrée ;
qui retraçai des arts les malheurs éclatans,
les ligues, le pouvoir des novateurs du temps
et leur fureur d' écrire et leur honteuse gloire
et de mon siècle entier la déplorable histoire,
j' ai vû les maux, promis à ma sincérité
et devant craindre tout, j' ai dit la vérité. »

©Jean Vinatier 2008

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Source :

Nicolas Gilbert : Le Dix-Huitième Siècle, satire à M. Fréron Amsterdam, 1775

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