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vendredi 30 janvier 2009

Madagascar : « chercher ce qui est perdu » N°389 - 2eme année

Antananarivo est le théâtre de violents affrontements (100 victimes) entre les partisans de l’actuel Président, Marc Ravalomanana et ceux du maire de la capitale malgache, Andry Rajoelina. Les Etats-Unis et la France se concurrencent pour trouver une solution d’apaisement.
Madagascar est une île lointaine, énigmatique, tragique toujours marquée par la terrible répression des autorités françaises menée contre les Malgaches en 1947 (treize ans avant l’indépendance) qui fit entre 30 000 et 40 000 tués. L’armée française alla jusqu’à jeter vivants d’un avion des nationalistes pour impressionner la population !
Quelques années auparavant, en 1937, Madagascar apprenait le suicide au cyanure de Jean-Joseph Rabearivelo, plus tard considéré comme le plus grand poète de l’Afrique moderne. Né en 1901 dans une famille noble ruinée, il ne pourra aller à l’école. Son itinéraire sera paradoxal :
« d'un côté, autodidacte fasciné par les milieux coloniaux, il fera une timide carrière à l'ombre de l'administration française. Mais parallèlement, [il] poursuit une quête poétique d'un très haut vol, qui l'inscrit en fer de lance des mouvements littéraires de son époque. »¹
Ce lecteur jamais satisfait embrasse toutes les activités intellectuelles (romancier, dramaturge, essayiste, poète) et publie son premier recueil, La coupe de cendres, dés 1924 avant de traduire en malgache les œuvres de Baudelaire, Rimbaud et même celles de l’Américain
Walt Whitman. Toute sa vie, il voudra être un lien double entre sa culture et celles du monde extérieur. Il ressentira durement la promesse non-tenue de la part des autorités coloniales d’être le représentant de Madagascar à Paris lors de l’Exposition universelle. Ce sera la goutte d’eau de trop : il écrira une dernière lettre à son épouse et ses cinq enfants avant de se suicider en juin 1937.
C’est dans les recueils poétiques jumeaux
Presque-Songes et Traduit de la nuit (1931-1932) qu’il tentera la double écriture simultanée, française et malgache. La préface n’est-elle pas :
« À tous mes Amis, morts et vivants fils d’Orient et d’Occident « ?
N’était-ce pas « chercher ce qui est perdu » ?

« Flûtistes

Ta flûte,
tu l’as taillée dans un tibia de taureau puissant,
et tu l’as polie sur les collines arides
flagellées de soleil ;
sa flûte,
il l’a taillée dans un roseau tremblotant de brise,
et il l’a perforée au bord d’une eau courante
ivre de songes lunaires.

Vous en jouez ensemble au fond du soir,
comme pour retenir la pirogue sphérique
qui chavire aux rives du ciel ;
comme pour la délivrer
de son sort ;
mais vos plaintives incantations
sont-elles entendues des dieux du vent,
et de la terre, et de la forêt,
et du sable ?

Ta flûte
tire un accent où se perçoit la marche d’un taureau furieux
qui court vers le désert
et en revient en courant,
brûlé de soif et de faim,
mais abattu par la fatigue
au pied d’un arbre sans ombre,
ni fruit, ni feuilles.

Sa flûte
est comme un roseau qui se plie
sous le poids d’un oiseau de passage –
non d’un oiseau pris par un enfant
et dont les plumes se dressent,
mais d’un oiseau séparé des siens
qui regarde sa propre ombre, pour se consoler,
sur l’eau courante.

Ta flûte
et la sienne –
elles regrettent leurs origines
dans les chants de vos peines.
»²



« Ton œuvre

Tu n’as fait qu’écouter des chants,
tu n’as fait toi-même que chanter ;
tu n’as pas écouté parler les hommes,
et tu n’as pas parlé toi-même.

Quels livres as-tu lus,
en dehors de ceux qui conservent la voix des femmes
et des choses irréelles ?

Tu as chanté, mais n’as pas parlé,
tu n’as pas interrogé le coeur des choses
et ne peux pas les connaître
disent les orateurs et les scribes
qui rient de te voir magnifier
le miracle quotidien de la mer et de l’azur.

Mais tu chantes toujours
et t’étonnes en pensant à l’étrave
qui cherche une route intracée
sur l’eau étale
et va vers des golfes inconnus.
Tu t’étonnes en suivant des yeux cet oiseau
qui ne s’égare pas dans le désert du ciel
et retrouve dans le vent
les sentiers qui mènent à la forêt natale.

Et les livres que tu écris
bruiront de choses irréelles –
irréelles à force de trop être,
comme les songes.
»²




Jean Vinatier

©SERIATIM 2009

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Sources et notes :

1-
http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/rabearivelo.html

2- Presque Songes, Éd. Tsipika, Antananarivo 2007, pp.20-21 ; 56
Traduit de la nuit, Éd. Tsipika, Antananarivo 2007


http://www.lrdb.fr/articles.php?lng=fr&pg=383

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